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Interview Jacques Vassal : Folksong, la réédition.

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Ceux qui le connaissent un peu savent que Jacques Vassal est avant tout un amoureux de musique, et de folk en particulier. Il fit partie du tout début de l’aventure Rock & Folk en 1966, magazine emblématique dans lequel il tint, entre autres, la rubrique dédiée à ce style musical. En 1971, il publiait aux éditions du dit magazine un bouquin de 400 pages qui deviendrait vite un ouvrage de référence, Folksong – Racines et branches de la musique folk américaine. Cinquante ans plus tard, il était temps de remettre l’ouvrage sur le métier, aux éditions Les Fondeurs de briques cette fois-ci.

Pierre Ménard

Folksong Jacques Vassal

Jacques Vassal, pourquoi ressortir ce livre cinquante ans après sa première parution, et deux rééditions (77 et 84) ?

Pas spécialement parce que c’est  cinquante ans après, mais j’ai toujours pensé qu’un jour ou l’autre, ce livre mériterait une nouvelle édition, enrichie, réactualisée. Parce que cette histoire de folksong n’arrête pas de s’écrire. Des carrières ont continué pour certains artistes dont je parlais dans les précédentes éditions, d’autres sont morts et de nouveaux artistes sont apparus depuis. Au fil du temps, je me suis également aperçu en continuant à fréquenter la chanson américaine qu’on bénéficiait maintenant d’une meilleure connaissance historique sur des artistes plus anciens. Et il fallait en tenir compte. Même sur la carrière de Woody Guthrie, qui est un des personnages clé de ce livre, on en apprend encore ! (1)

Woody Guthrie –  This land is your land : https://www.youtube.com/watch?v=wxiMrvDbq3s

Ce livre fait désormais 680 pages. A-t-il pour vocation de passer en revue tous les aspects du folksong ? Car tu parles des origines, des musiciens, des instruments, de l’évolution du folk.

Malgré les impératifs de longueur, j’essaie de faire un ouvrage de synthèse. Bien sûr, les connaisseurs pointus pourront toujours trouver des manques, voire ne pas être d’accord avec le nombre de pages accordé à untel ou untel. On part de la connaissance des premiers peuples des États-Unis, à commencer par les Indiens, puis les noirs venus d’Afrique pour l’esclavage et qui deviennent petit à petit des Noirs américains, afro-américains comme on les appelle maintenant. Ces gens vont donner une impulsion majeure à la musique populaire, à travers les negro spirituals, puis le blues, et le worksong qui est un chant de travail. On a aussi des chants venus de la vieille Europe, Hollande, Suède, Russie, France, etc. qui va créer une sorte de melting pot musical, je dirais, à l’image de ce qu’on a appelé le melting pot de la population elle-même.

Quant aux instruments, je ne fais pas le détail de chaque instrument utilisé parce que ça serait trop long, ou trop technique, je donne par ailleurs un certain nombre de livres en référence sur le sujet. Mais l’instrument est très important. La guitare, qui a été amenée d’Espagne aux États-Unis via le Mexique, s’est transformée : cordes métal, caisse plus volumineuse pour une meilleure sonorité, bottleneck, tout est signalé. D’autres instruments ont une part essentielle dans le folksong, comme la mandoline venue d’Italie et de Grèce ou la cithare venue d’Europe de l’Est devient autoharp. L’accordéon venu principalement d’Allemagne via la firme Hohner prend toute sa place dans la musique cajun de Louisiane ou dans la tex-mex. À la base, la guitare, l’harmonica ou le banjo sont des instruments transportables. Or dans la tradition, ce sont des musiques itinérantes, des musiques de route, de rail.

Tu as parlé des origines remontant aux Indiens et aux Noirs américains, deux peuples longtemps opprimés. Peut-on dire que le folksong possède une dimension éminemment revendicatrice, voire politique ?

Oui… mais avant tout, je dirais qu’il y a une histoire sociale : l’histoire de la chanson populaire est étroitement liée à celle des populations concernées. On a là des catégories méprisées par l’establishment, des gens pauvres, mal vus. Les Etats-Unis sont un pays immense qui se prête bien au jeu des migrations. On trouve des migrations climatiques, parce que dans certains états du centre comme l’Arkansas ou l’Oklahoma, des tempêtes de poussière, dust storms, poussaient les gens à partir car ils étaient ruinés. On est là dans la dimension sociale. Woody Guthrie en parle dans pas mal de ses chansons.

La chanson sert à être comprise par tout le monde, de manière très simple et spontanée, et très immédiate aussi. Cette immédiateté a une grande importance dans l’histoire du folksong : ces chansons existaient quand ni la radio, ni le disque, ni la télévision n’avaient encore été créés. Bien sûr que les médias susnommés ont donné un autre écho aux chansons, mais celles-ci auraient quand même existé sans eux. Les folksingers ont aussi, et souvent, été les premiers à traiter de la cause des femmes ou de l’écologie. Ainsi Malvina Reynolds, une dame de San Francisco qui a écrit des centaines de chansons et souvent travaillé avec Pete Seeger.

Qu’est-ce qui t’attirait – et t’attire toujours – en priorité dans cette musique par rapport à d’autres formes comme le rock dans toutes ses déclinaisons ? Sa relative simplicité, une voix, un texte, une guitare ?

En gros c’est ça. Ça parle de façon spontanée et à des gens très différents, et d’âges différents. On trouve aussi tous les styles de chanson dans le folksong. Le style satirique est souvent utilisé : si on arrive à faire rire sur une situation pas forcément drôle ou sur un certain conformisme de la société, on met les rieurs de son côté, si je puis dire, tout en évitant le côté pesant d’un discours solennel. Cela dit, il y a des chansons très sérieuses dans le folksong, parce que le sujet est trop grave pour rire dessus. La chanson témoigne aussi de ces instants-là, elle interroge la conscience d’une nation. Pete Seeger, entre autres, a écrit sur la guerre des chansons très dures, dont son Last train to Nuremberg qui parle du procès des militaires américains qui avaient perpétré le massacre de My Lai (2). Il se demande s’il voit dans ce train le Lieutenant Calley, ou le président Nixon. Il se pose la question de savoir si « nous aussi », nous y sommes pour quelque chose : c’est en notre nom qu’on massacre des gens dans certains pays. (3)

(3) Pete Seeger – Last train to Nuremberg : https://www.youtube.com/watch?v=R6v3VLK0oSw

Peut-on parler de folk chez des artistes tels Neil Young, ou Bruce Springsteen, qui ont alterné rock électrique musclé et chansons acoustiques dépouillées à la portée sociale évidente ?

Oui bien sûr. Il y a cette dimension qui relève de la folk music chez ces deux-là qui sont un excellent exemple, mais on peut aussi citer Tom Petty ou Elliott Murphy. Ils s’accompagnent parfaitement à la guitare, et à l’harmonica, monté sur un porte-harmonica. Woody Guthrie l’avait fait, bien avant Bob Dylan, qui a finalement copié son héros (4). Les vieux bluesmen, comme Jesse Fuller, arrivaient d’ailleurs à jouer de pas mal d’instruments en même temps. C’est le côté commodité, mais aussi d’amuser le public en montrant qu’on sait tout faire. A l’origine, c’était l’idée qu’un homme seul pouvait produire une musique un peu sophistiquée malgré des moyens réduits.

(4) Bob Dylan – The times they are a-changin’ : https://www.youtube.com/watch?v=Q9_nWlSX6Us

Musicalement, est-ce qu’on peut parler d’un « son folk » ?

Oui, mais il ne faudrait pas que ça soit trop limitatif dans la perception qu’on peut en avoir. Mais c’est vrai que des cordes métal, une belle caisse de résonance sur une Martin D28 ou une Gibson Hummingbird donne un son caractéristique. Ou la 12 cordes utilisée par Pete Seeger, qui alternait avec le banjo. Ces instruments font intimement partie de la musique folk. Comme le violon et l’harmonica. Et puis il y a le chant a cappella : beaucoup de chants, aussi bien berceuses que revendicatifs sont interprétés a cappella. Au niveau du chant d’ailleurs, on peut dire que, en dehors de quelques cas exceptionnels comme Joan Baez (5), la plupart des chanteurs de folk ne sont pas de grands vocalistes. Mais ce n’est pas très important…

(5) Joan Baez – Joe Hill : https://www.youtube.com/watch?v=l-JW4DKxwQM

… sinon Dylan n’aurait jamais fait carrière…

… absolument ! Cependant, quand on écoute les inflexions de la voix de ces gens-là, et si en plus on a la chance de comprendre les textes, on sent derrière la souffrance, la dérision, la sincérité du propos. Ça nous émeut. Mais on ne peut évidemment pas les comparer à des grands chanteurs lyriques, ce n’est pas du tout la même démarche, et on ferait fausse route en faisant cela.

Un des intérêts de cette nouvelle édition est de réactualiser le texte d’origine. De nouveaux artistes ont pourtant émergé dans les époques récentes. Je pense à des gens comme Alela Diane par exemple.

Eh ben voilà ! La première édition faisait 400 pages, là on est à 680. Dans cette nouvelle édition, il y a tout un chapitre sur les nouveaux artistes depuis, disons les années 90 jusqu’à nos jours. Là-encore, je ne prétends pas être exhaustif. Mais j’essaie d’être significatif. Des gens comme Susanne Vega ou Tracy Chapman avaient une dimension folk dans leurs textes, notamment dans les premiers disques. Tom Waits aussi fait partie de ces gens qui ont été influencé par le folk, même si son image est plus blues. Mais ils font vivre des morceaux d’Amérique à travers leurs chansons. Finalement, c’est ça, le folksong.

(1) Le 16 mars 1968, une compagnie d’un bataillon d’infanterie américain massacra les habitants du village vietnamien de My Lai, hommes, femmes et enfants. Les responsables furent jugés en 1971 et seul le lieutenant William Calley fut condamné à la rétention à perpétuité, mais ne fit en fait que trois ans et demi de résidence surveillée.

Jacques Vassal 35,00 €, 680 pages, Editions Les Fondeurs de Briques.

Sortie 14 mai.

Notes

(1) Woody Guthrie –  This land is your land : https://www.youtube.com/watch?v=wxiMrvDbq3s

(2) Le 16 mars 1968, une compagnie d’un bataillon d’infanterie américain massacra les habitants du village vietnamien de My Lai, hommes, femmes et enfants. Les responsables furent jugés en 1971 et seul le lieutenant William Calley fut condamné à la rétention à perpétuité, mais ne fit en fait que trois ans et demi de résidence surveillée.

(3) Pete Seeger – Last train to Nuremberg : https://www.youtube.com/watch?v=R6v3VLK0oSw

(4) Bob Dylan – The times they are a-changin’ : https://www.youtube.com/watch?v=Q9_nWlSX6Us

(5) Joan Baez – Joe Hill : https://www.youtube.com/watch?v=l-JW4DKxwQM

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Pierre Ménard

Illustrateur de formation et passionné de Formule 1, il collabore à la revue Auto-Passion de 1993 à 2001, ainsi qu’à l’annuel L’Année Formule 1 de 1996 à 2013. En 1997, il participera par le graphisme au début de l’aventure Prost Grand Prix. En 1999, Pierre Ménard produit la Grande Encyclopédie de la Formule 1, aux Editions Chronosports, ouvrage réédité à quatre reprises. Il est également le co-auteur, avec Jacques Vassal, de biographies sur Juan Manuel Fangio, Stirling Moss, Alberto Ascari, Niki Lauda, Ayrton Senna et Alain Prost dans la collection Les légendes de la Formule 1, toujours aux Editions Chronosports. Il a également collaboré à l’élaboration du livre de Jean-Claude Baudier La magie du diorama, aux Editions du Palmier. En tant que journaliste historique, il écrit dans le magazine Automobile Historique de 2001 à 2005, et depuis 2012 dans Grand Prix. Il a rejoint feu Mémoire des Stands en 2008 et fut associé à l’aventure Classic COURSES dès septembre 2012.

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Daniel Gautiez

Ça se précise, ce n’est plus Classic Courses, c’est « Auto Satisfaction ». La promotion des petits talents.
À quand les meilleures recettes de cuisine, d’un des « talentueux teneurs de ce blog » ?

Olivier Rogar

Il y a maintenant quelques années, bientôt neuf, la profession de foi de Classic Courses énonçant notre raison d’être, mentionnait notre goût pour les hors sujets. Voitures certes mais également une porte ouverte aux avions, motos, bateaux. Vrombissements, bien-entendu mais aussi le plaisir d’un bon concert ou d’une belle histoire concernant un instrument. Classic Courses, c’est une histoire d’hommes, de caractères et de talents. Disons-le. La course et ses valeurs nous unissent, et si l’un de nous fait parler de lui grâce à un livre ou un article, grâce à une réalisation, nous sommes heureux pour lui et impatients de… Lire la suite »

Daniel Gautiez

Merci au moins de m’avoir fait réponse.

Pierre Ménard

Cher monsieur Gauthiez, Jacques Vassal, que vous qualifiez – par pure ignorance – de « petit talent », est un des grands spécialistes français du folk, du blues, ainsi que de la chanson française. On peut aimer passionnément les boulons et les rondelles sans pour autant se fermer à d’autres plaisirs. Ouvrez vos chakras, vous n’en serez que plus heureux.

Christophe Montariol

Comme tout cela est bien dit. Parole d’expert, s’il en est ! Hormis Joan Baez, toujours vivante, et tellement au-dessus du lot, d’autres femmes avaient leur place dans l’interview, elles sont certainement dans les 680 pages. Sans vouloir te faire du mal, Jacques, j’avoue que je regrette pour toi que les parutions concernant le centenaire de Georges Brassens, à qui tu as également consacré quelques pages, ne fassent pas ou peu référence à tes travaux. Tu as pourtant quelque compétence à faire valoir, et bien connu la région. Je me suis permis d’en transmettre quelque contenu à une amie qui… Lire la suite »