Le 18 mai 2025, lors du GP d’Emilie Romagne a été commémorée l’arrivée échevelée du GP de Saint Marin 1985. Thierry Boutsen a retrouvé l’Arrows qui lui avait permis d’être classé deuxième de ce Grand Prix, sur ce même circuit. D’une façon peu banale, puisqu’il avait franchi la ligne d’arrivée en poussant sa voiture.
Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu ça en F1. De quoi « pousser » notre curiosité et débusquer quelques précédents à cette inhabituelle manière de finir une course automobile.
Olivier Rogar
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Un record qui tient depuis 40 ans en F1
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Thierry Boutsen, finir à pied certes, mais deuxième

Pour regarder la fin de ce grand prix : https://youtu.be/6Y9xsmUEw8w?feature=shared
F1, Emilie Romagne, circuit d’Imola, GP de Saint Marin 1985 – Nous voilà donc en pleine bataille sur ce circuit rapide et sinueux qui impose nombre de changements de rythme aux monoplaces. La consommation y est donc élevée. Le quota de 220 litres suffira-t-il aux plus véloces ? Pas à tous. Tandis que Senna, parti en pole sur sa Lotus 97T Renault, caracole en tête, Prost depuis sa 6e position ne se ménage pas. Il remonte à la 2e place. Mais le « Professeur » avec sa vista habituelle renonce soudain à la bataille des derniers tours, craignant pour son autonomie.

Il a vu juste. Johansson sur Ferrari prend sa deuxième place. Il reste six tours à couvrir. Mais deux tours plus tard, la Lotus de Senna tombe en panne sèche. Suivie un tour plus tard par la Ferrari. Prost récupère deux places. Il est premier. Elio de Angelis et Thierry Boutsen le suivent.
Le drapeau à damiers est en vue. Prost passe, puis Elio de Angelis et on attend Thierry Boutsen dont le moteur s’éteint à quelques dizaines de mètres de la ligne d’arrivée. Le pilote Belge n’hésite pas une seconde. Il saute de sa voiture et se met à la pousser. Il franchit la ligne trois seconde avant Patrick Tambay. Classement : Prost, Angelis, Boutsen, Tambay, Lauda, Mansell et Johansson.

La pesée d’après course est toutefois fatale à Alain Prost dont la McLaren affiche 538 kg contre 540 obligatoires. Le pilote et sa monture sont disqualifiés. Elio de Angelis empoche une victoire chanceuse et Thierry Boutsen une deuxième place miraculeuse. Fallait-il que le pilote belge en veuille pour pousser son Arrows de la sorte, établissant un record F1 qui dure depuis 40 ans !
Un petit point d’histoire
Renault a sérieusement perturbé le petit monde de la F1 en débarquant en 1977 avec son moteur turbo de 1.5L auquel personne ne croyait. On se souvient du surnom dont fut affublée la RS01 F1 par nos amis britanniques : the yellow teapot. Elle fumait effectivement copieusement lorsque son moteur cassait. Souvent.

A partir de 1979, la victoire de Jean-Pierre Jabouille au GP de France fit taire les sarcasmes. De jaune, il ne restait que la Renault F1 et le rire de ses contempteurs.
Une fameuse bataille s’en suivit qui opposa les « grands » constructeurs F1 ou assimilés liés à la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile) dont le président était Jean-Marie Balestre, aux petits « assembleurs » F1, membres de la FOCA (Formula One Constructors Association) dont le président était Bernie Ecclestone. D’un côté ceux disposant de la technologie du turbo et de l’autre ceux qui avaient été les précurseurs en matière d’aérodynamique et d’effet de sol.

La bataille fut homérique, on l’a évoquée ici même. (Voir les liens ci-dessus). Pour être brefs, le titre « Jupes contre turbos » résume la situation. Les unes, à force d’être défendues par la FOCA finirent par être interdites par la FIA et les autres furent pénalisés. Et comment mieux pénaliser un turbo qu’en limitant la consommation de son moteur ?
Les réservoirs des F1 furent ramenés de 250 à 220 litres en 1984, 195 litres en 1986 et 150 litres en 1988. Dans le même temps et comme en compensation, le poids des monoplaces fut ramené de 580 kg à 500 kg en 1987, ce qui était censé avantager les « non-turbo », celles des « assembleurs ». Et pour rappel, les ravitaillements initiés en 1982 par l’astucieux Gordon Murray chez Brabham furent interdits dès 1984.

Un cas fréquent dans les années 50
De 1954 à 1960, douze pilotes de F1 et pas des moindres, au cours de quinze grands prix finirent en poussant ou en redémarrant leur F1 arrêtée depuis plusieurs tours, pour franchir la ligne d’arrivé. On doit cette possibilité au fait que le nombre de participants était souvent de l’ordre d’une quinzaine, voire moins et que les écarts de performances entre eux étaient très importants.
Dans les exemples qui suivent il arrive parfois mais rarement que le 2e soit à un tour du premier. Si l’on s’intéresse par exemple au 5e, le dernier à marquer des points, un point en l’occurrence, il est en moyenne à 3.5 tours du vainqueur quant au 6e il est à 7 tours.
La situation permettait donc en finissant à pied, de finir classé. Et parfois dans les points. Assurément la poussette la plus productive de cette période fut celle de Jack Brabham qui remporta ainsi son premier titre.
Stirling Moss
GP d’Italie 1954 : Moss est dans la cour des grands. 3e aux essais derrière Ascari et Fangio, il prend la tête du grand prix au 47e tour. Las, vingt tours plus tard le moteur de la Maserati 250 F casse. Il la laisse aller sur son aire jusqu’à proximité de la ligne d’arrivée. Lorsque Fangio la franchit, il ne reste plus à Moss qu’à pousser son auto jusqu’au drapeau à damier. Classé 9e à 10 tours.
Même scénario en 1955 à Monaco. La course fait alors 100 tours et dure 3 heures. Imagine-t-on le travail des pilotes ? Moss est à nouveau qualifié en 3e position derrière Ascari sur Lancia et Fangio, lui aussi sur Mercedes W196. Fangio s’envole mais abandonne au 49e tour. Moss prend la tête et tient bon 30 tours durant. Son moteur explose. Même stratégie qu’à Monza. La poussette ! 9e à 19 tours. Trintignant est vainqueur.
Alfonso de Portago
Il se qualifie sa Ferrari en 12e position lors du GP de Grande Bretagne 1956. Il doit abandonner alors qu’il navigue en 3e position. Castelotti, son coéquipier, part en tête à queue. Il est épuisé. Comme cela est possible à l’époque, il cède son volant à Portago qui se maintient en 6e position. Mais les dommages subis son tels que les commissaires arrêtent la voiture au drapeau noir. L’espagnol se gare à proximité de la ligne d’arrivée. Il n’a qu’à attendre le passage du vainqueur, Fangio, pour la franchir à son tour. Il partage sa 10e place avec Castelotti, comme il est d’usage alors. A 9 tours.
Jack Brabham, champion du monde à la poussette
L’énergique Australien, se distingua deux fois dans l’exercice de la poussette. A Monaco en 1957, la rupture de sa pompe à essence lui fait perdre une belle 3e place. ll saute de sa Cooper T43 Climax et la pousse jusqu’à la ligne d’arrivée. Il se classe 6e. Fangio vainqueur.
Plus fort encore, en 1959, lors du GP des USA à Sebring, il est en lutte pour le titre mondial avec Moss et Brooks. En tête depuis le 5e tour, il est stoppé par une panne d’essence dans l’avant dernier tour. Que croyez-vous qu’il fit ? Il poussa bien sûr ! Bruce McLaren remporta la course mais la 4eplace de Brabham et les 3 points qui allaient avec lui apportèrent le premier de ses trois titres. Ce fut aussi le premier d’une voiture à moteur arrière, la Cooper.

Jean Behra
Lors du GP de France 1957, radiateur endommagé, il dut lui aussi pousser sa belle Maserati 250F. Classé 6e. Fangio vainqueur.
Roy Salvadori – Un point à 5 tours
GP de Grande Bretagne 1957. Boite cassée alors qu’il est 4e dans le tour des leaders, selon la technique désormais bien connue, il pousse sa Cooper T43 Climax jusqu’à l’arrivée. Il est classé 5e à 5 tours des vainqueurs Moss – Brooks et marque un point.
Au GP de Monaco 1959, c’est une rupture de transmission qui le contraint à pousser sa Cooper T45 Maserati pour franchir la ligne en 6e position, à 17 tours du vainqueur, Jack Brabham. .
Peter Collins – Un point aussi
GP de France 1958, Peter Collins, qualifié en 9e position sur sa Ferrari navigue en 3e position quand un premier incident le relègue dès le 5e tour à la 18e place. Il cravache sa monture pour revenir en 4e position à quatre tours de la fin de l’épreuve. Mais il tombe aussitôt en panne d’essence au Thillois. Il pousse sa voiture jusqu’au drapeau et sauve le point de la 5e position, dans le même tour que son « Ami Mate » Mike Hawthorn.
Harry Schell
Lors du GP d’Allemagne 1959, le pilote américain se qualifie en 8e position sur sa BRM. En course il est victime d’une rupture d’embrayage. Il doit attendre la victoire de Tony Brooks pour pousser sa voiture sur la ligne. 7e à onze tours du vainqueur.
Wolfgang von Trips
GP des USA 1959 à Sebring, l’Allemand casse le moteur de sa Ferrari 246 Dino alors qu’il est 4e. Tout comme Jack Brabham dans la même course, il pousse aussi sa voiture sur la ligne. Il se classe 6e à quatre tours du vainqueur, Bruce McLaren.
Richie Ginther – Encore un point
GP de Monaco 1960. L’exigence du circuit a eu raison de la boîte de vitesses de la Ferrari 246 Dino de l’Américain. Constatant le nombre important d’abandons ( 7), il se dit qu’il a une chance et se décide à pousser sa voiture. Bien lui en prend, il marque le point de la 6e place, attribué à partir de cette saison. Stirling Moss remporte l’épreuve.
Innes Ireland – Pilote de demi – fond !
GP de Monaco 1960 encore. L’Anglais qualifié en 7e position tombe en panne devant le Casino alors qu’il est en 9e position. Que fait – il ? Il pousse sa Lotus jusqu’à la ligne d’arrivée ! Certes, il y a de la descente mais aussi de la montée et du faux plat ! Casino, Mirabeau, la gare, le portier, le tunnel (!), le bureau de tabac, le gazomètre… La ligne de départ est alors de ce côté-ci. Du fait des abandons il finit là où il a commencé à pousser : en 9e position à… 44 tours du vainqueur, Stirling Moss.

Jim Hall
GP des USA 1960. Boîte cassée, la Lotus 18 privée du Californien doit être poussée sur une bonne distance pour rejoindre la ligne. Classé 7e à 3 tours de Stirling Moss.
Bernard Collomb
GP d’Allemagne 1961. Le moteur de la Cooper T53 Climax du Français casse à trois tours de la fin. Il pousse sa voiture jusqu’à la ligne mais est disqualifié. La règlementation avait changé en début de saison… Stirling Moss, vainqueur.
Beaucoup plus rare ensuite.
Entre le changement de règlementation qui depuis 1961 interdisait cette pratique aux voitures en panne mécanique, et 1974 où Brambilla poussa sa voiture en panne d’essence lors du dernier tour de course, il semble que rien de ce genre ne se soit produit.
Cela n’empêcha pas ensuite quelques champions de tenter eux aussi le coup. Outre Brambilla et Mansell avec le point de 6e , Cesaris avec ceux de 4e, le champion fut définitivement Thierry Boutsen avec sa 2e place. Difficile de penser que ce record puisse être battu prochainement tant les écarts entre les voitures à l’arrivée des GP sont minimes. Ainsi l’écart séparant le premier du dernier classé lors de ce GP d’Emilie Romagne 2025 était inférieur à 39 secondes. A Monaco peut-être où les écarts se sont comptés en tours à partir du 6e classé ?…
Vittorio Brambilla
GP de Suède 1974. Le « Gorille de Monza » sur sa March 741- Ford est 5e . Il se met à rêver de ses premiers points de la saison. Mais aussitôt sa pression d’huile tombe à zéro. Il tente de passer la ligne d’arrivée sur sa lancée. C’est insuffisant. Il descend et pousse. Un wagon passe devant lui. Classé 10e. Scheckter vainqueur sur Tyrrell.
Nigel Mansell
Pour regarder la fin de ce grand prix : https://www.facebook.com/share/r/16QKqkz5ri/
GP des USA Dallas 1984. Se souvient-on de ce grand prix dantesque ? Conditions de piste lamentables, détérioration, chaleur, virages masqués, dangereux, sans dégagement. Une piste de rallye-cross dessinée autour d’un stade de baseball…Fatigue des pilotes comme des mécaniques.
« Il Leone » comme il sera surnommé plus tard par nos amis Italiens, est qualifié en pole pour la première fois de sa carrière. Sa Lotus 95T Renault vole. Comme celle de son coéquipier Angelis à ses côtés en 2e position. Mansell mène pendant 35 tours et, pneus en souffrance, se fait passer par plusieurs pilotes.
Revenu malgré tout en 5e position, il heurte un mur dans son dernier tour. Le choc est fatal à sa boîte qui refuse tout service. Désespéré mais toujours volontaire « Il leone » saute de sa voiture et la pousse vers l’arrivée. Il donne tout. Mais la chaleur a raison de lui. 35°à l’ombre. Dans un final dramatique il s’effondre à côté de sa voiture. Remis de ses émotions, il est tout de même classé 6e d’une course qui ne voit que huit voitures à l’arrivée. Vainqueur : Keke Rosberg sur Williams.

Alain Prost
GP d’Allemagne 1986. La McLaren Tag MP4 / 2C de Prost est en 3e position quand, lors du dernier tour, les méfaits des petits réservoirs se manifestent à nouveau. Le moteur hoquète, coupe et s’arrête. Panne sèche.
Prost tente de donner de l’élan à sa voiture en se dégrafant et en se balançant d’avant en arrière. Mais c’est insuffisant. Il saute sur la piste et la pousse. Presqu’immédiatement il constate que ce n’est pas jouable. Il laisse tomber. Classé 6e. Piquet vainqueur sur Williams. Rosberg, le coéquipier de Prost, échoue à la 5e place après avoir lui aussi subi les affres de la consommation du TAG Porsche.
Andrea de Cesaris
GP du Mexique 1991. Le sympathique italien fut le dernier à ce jour à tenter une arrivée à la poussette. Sa Jordan victime d’un problème d’accélérateur, les commissaires l’autorisèrent à franchir la ligne en poussant. Classé 4e. Patrese vainqueur sur Williams.

Notes
Pour essayer d’avoir une liste la plus complète possible de ces arrivées particulières, nous avons utilisé les sites Jalopnik.com et F1 Stat qui avaient bien défriché le terrain. Avons nous été exhaustifs ? A nos lecteurs de répondre à cette question.