6 juin 2016

Barquettes classées

Il y a deux ans je vous ai proposé un classement esthétique des F1 de la période 1966-81, qui a suscité de nombreux commentaires. Car les goûts et les couleurs, ça ne se discute peut-être pas, mais ça provoque des débats ! Aujourd’hui, je vous soumets un classement du même type et sur une époque quasi-identique, mais qui concerne cette fois les prototypes ouverts à moteur central, ceux qu’on appellera aussi les Barquettes dans les années 70.

Olivier Favre

Des voitures qui m’ont marqué quand j’étais gosse et qui restent aujourd’hui encore mes préférées. Afin de comparer des voitures comparables dans leur architecture technique et leur philosophie, je vous propose de retenir trois critères pour ces voitures : moteur central et absence de toit bien sûr. Mais aussi absence de pare-brise et d’arceau-pavillon (type Ferrari P et P2 par exemple).

Incluant aussi bien les Groupe 6 que les Groupe 7 qui firent les beaux jours des challenges Can-Am et Intersérie, la période définie est quasiment la même que pour les F1, mais elle diffère quelque peu selon le côté de l’Atlantique considéré : jusqu’en 1968 les règles européennes imposaient de facto un pare-brise et induisaient donc la conception de berlinettes. Alors que les règles américaines, plus libérales, permirent dès le début des années 60 l’apparition de gros spyders à moteur 7 litres Ford ou Chevrolet, tels les King-Cobra, Cooper-Zerex ou McLaren M1. En 1969, la CSI abolit la notion de « hauteur protégée » et les spyders se multiplièrent jusqu’en 1982 et la Lancia LC1, dernière barquette avant l’avènement du groupe C qui changea radicalement l’aspect des protos.

Ceci posé, voici mon top ten en commençant par la fin :

10) Porsche 908/3 (1970) – On peut légitimement s’étonner de trouver cette voiture dans un tel classement, même à la 10e place. Car il est quand même difficile de qualifier de « belles » les lignes simplifiées à l’extrême de ce « vélo » ultra-léger conçu spécifiquement pour la Targa Florio à partir du Bergspyder de l’année précédente. Mais l’épure a un intérêt esthétique propre, celui que la forme crée en se rapprochant au plus près de la fonction. Et surtout, cette Porsche marque une date dans l’évolution des protos, en lançant la mode des barquettes aux lignes en coin qui vont se multiplier dans la première moitié des seventies. Citons aussi la décoration des quatre exemplaires qui font leur apparition à la Targa Florio 1970 : due au bureau de style Porsche sous la direction du chef designer Anatole Lapine, elle offre une nouvelle variation de la déjà célèbre livrée bleue et orange Gulf, chaque voiture étant en outre marquée d’une enseigne de carte à jouer (trèfle, pique, carreau, cœur).

Porsche 908-3

9) Chevron B36 (1976) – Les voitures de Derek Bennett constituent l’archétype de la barquette des années 70. Les premières de la lignée, les B19, B21, B23 ont repris les lignes en coin de la 908/3, en un peu plus tendu. Puis, le style Chevron s’est individualisé et affirmé. Et c’est la B36, avec son museau ramasse-miettes, ses hanches marquées et son large aileron parfaitement intégré aux lignes tendues, qui représente l’apogée esthétique de la petite firme anglaise. Elle fit le bonheur de nombreuses écuries privées, notamment anglaises et françaises, qui l’équipèrent de 4 cylindres Ford, BMW ou ROC et décrochèrent avec elle quelques beaux succès de catégorie, en particulier au Mans.

Chevron B36

8) Matra 670 (1973) – On peut disserter sur les vertus esthétiques comparées des protos Matra ouverts. La 650 a de la gueule, la 660 est déjà plus fine, plus légère visuellement ; la 670 s’inscrit dans son sillage, mais évidemment, elle a pour elle quelque chose en plus : le palmarès. Trois victoires au Mans, deux titres mondiaux, ce n’est pas rien. Née en 1972, elle courut sous plusieurs robes, courtes ou longues, pendant trois saisons. C’est subjectif bien sûr, mais la plus agréable à l’œil me paraît être la version courte de 1973. Plus légère et racée que la version longue de la même année, plus pure de lignes que la version 74 un peu « gâchée » par sa haute prise d’air, cette 670 typée 1000 km bénéficie en outre d’une trouvaille esthétique remarquable : les demi caches-phares arrondis qui donnent à la bête des yeux de chat prêt à bondir.

Matra 670

7) Lola T70 (1965) – C’est la plus ancienne dans ce classement et la seule d’avant 1970. Avec ses formes voluptueuses, toutes en courbes, son profil ramassé et sa gueule ouverte, elle est à la fois sensuelle et bestiale. Apparue en 1965 en vue des courses américaines, la T70 inaugure toute une lignée de prototypes ouverts de la fin des sixties. D’abord aux USA puis, une fois le règlement modifié en 1969, en Europe. Ainsi, par leurs passages de roues très accentués émergeant de la ligne de caisse et leur carrosserie qui se prolonge au-delà des roues arrière, la Matra 650, la Porsche 908/2, la Ferrari 312 P sont visuellement des héritières directes de la T70.

Lola T70

6) Porsche 936 (1977) – Apparue en 1976, la première 936 n’avait aucun charme particulier, ni en noir, couleur adoptée lors de sa première sortie, ni ensuite en blanc. Mais tout change l’année suivante. En étirant ses lignes, en intégrant mieux la prise d’air dynamique, la 936 millésime 77 apparaît plus fine, plus légère et atteint une plénitude esthétique à laquelle contribue également la livrée Martini, elle aussi remaniée. Ce profil parfait sera hélas gâché dès l’année suivante par l’adoption d’un nouvel aileron en U inversé, certainement efficace, mais beaucoup moins convaincant à l’œil. Mais la 936 de 1977 garde pour elle le mérite d’avoir conquis une victoire légendaire au Mans, à l’issue d’une épreuve que Jacky Ickx considère encore aujourd’hui comme sa plus belle course.

936 Ickx 77

5) Ford M10 (1979) – Un cas à part dans ce classement car elle n’a aucun palmarès, n’ayant disputé qu’une seule course, sans succès. Du moins sous cette livrée. Car les Ford M10 des 24 Heures du Mans 1979 n’étaient autres que les Mirage à moteur Cosworth (1975-76) puis Renault (1977-78) qui avaient glané une victoire et trois podiums lors des 4 éditions précédentes. Pour une fois, l’apogée esthétique ne coïncide pas avec le pic du palmarès. Pourtant, bien que plus lourdes de quelque 100 kilos que la GR8 Gulf, ces M10 se montrèrent plus véloces sur un tour que leurs devancières. Sans doute un effet d’une aérodynamique efficace où l’on retrouve l’influence incontestable des Renault-Alpine A442/443 de 1978.

Ford M10

4) McLaren M8 D (1970) – La M8 D s’inscrit dans une impressionnante filiation de protos papaye trustant les victoires en Can-Am. Elle succède à la M8 B, imbattable en 1969, et précède la M8 F, championne en 1971. Deux modèles qui ne manquent pas de charme(s) mais qui n’ont pas l’équilibre de la D. La B est bestiale et radicale avec son immense aileron arrière façon Chaparral, la F ressemble à la D, mais une D aux proportions surdimensionnées, comme gonflée aux hormones. La D a pour elle un parfait équilibre, une élégance qui en font la plus belle voiture des grandes heures du challenge Can-Am. En poussant le bouchon un poil plus loin, on pourrait même dire que les McLaren sont les seules belles voitures que cette série ait enfantées. Elles prouvèrent qu’un « Big Banger » pouvait être beau, une équation qu’aucune des marques concurrentes (hormis Lola et sa T70) ne fut en mesure de résoudre. Comme par hasard, les McLaren furent aussi, et de loin, les plus efficaces. On en revient toujours au parallèle entre efficacité sur la piste et plaisir de l’œil. Notons enfin que la M8 D ne peut être regardée par le spécialiste sans une touche d’émotion et de regrets ; car elle fut la dernière McLaren conduite par Bruce, qui se tua à son volant le 2 juin 1970 à Goodwood.

McLaren M8D

3) Alpine-Renault A441 (1974) – Hormis la première de la lignée qui a bien l’air de ce qu’elle était, à savoir une voiture mal dégrossie, les Alpine A440 à A443 constituent une série de très beaux prototypes aux lignes fluides et élégantes. J’ai pour ma part un faible pour l’A441 de 1974. Est-ce la couleur bleue agrémentée de parements rouges et blancs, à la fois plus seyante et plus « cocorico » que le mélange jaune-blanc-noir de la Régie qui lui succédera ? Est-ce l’absence de toute prise d’air pour troubler l’harmonie des lignes ? Toujours est-il que cette barquette est certainement l’une des plus racées qui soient. Grâce en soit rendue au talent de l’aérodynamicien Marcel Hubert, récemment disparu.

Alpine A441

2) Lola T282 (1973) – Succédant à la T280, la T282 inaugure des lignes qui seront celles de la plupart des Lola 3 ou 2 litres des années 70. On pourrait d’ailleurs plutôt choisir la T298 de 1978, sans doute plus achevée esthétiquement avec son aileron abaissé et reculé à l’extrême. Mais la T282, première de cette lignée, est plus émouvante car elle a un goût de crépuscule : c’est la dernière voiture engagée sous les couleurs (sous la bannière plutôt car, signe des temps, le SEITA prend de la place sur la carrosserie) de la Scuderia Filipinetti, qui disparaît en 1973, à la suite de la mort de son fondateur. Si la T282 et ses descendantes à moteur Cosworth 3 litres n’eurent jamais aucun succès, les versions 2 litres T292 et suivantes firent les beaux jours de la petite classe du Groupe 6, notamment au Mans.

Lola T282 - Daytona

1) Ferrari 312 PB (1973) – Pris de vitesse par Porsche et sa 917, Enzo Ferrari a voulu éviter une redite et sorti dès 1971 sa nouvelle 312 P (non prévu par Maranello, le B pour « Boxer » n’apparaîtra que pour la distinguer du modèle V12 de 1969) en prévision de la saison 72. Emblématique de la forme en coin, cette première 312 est déjà d’une belle pureté de lignes, tout comme les versions courtes et longues qui écraseront le championnat du monde 1972 avec 10 victoires en autant de courses. Mais la plus belle est à mon avis la version longue engagée pour les circuits rapides (Monza, Spa, Le Mans) en 1973. Les lignes tendues taillées à la serpe, le rouge Ferrari et le mythe qui va avec, la décoration sobre et élégante, tout est beau dans cette voiture. Avec en prime l’émotion de contempler ce qui reste encore à ce jour le dernier proto engagé en course (et notamment au Mans) par la Scuderia Ferrari.

Voilà selon moi les 10 plus belles barquettes sur la période 1963-82. A n’en pas douter, il y en a une ou deux (au moins) qui manqueront dans cette liste pour certains d’entre vous : « quoi, pas d’Abarth ?! » ou bien « aucune Alfa, comment est-ce possible !? » Mais j’assume … et j’attends les contre-propositions.

Ferrari 312 PB

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