GP de Monaco 1973
Circuit de Monte-Carlo, Principauté de Monaco, le 3 juin 1973
Le Fokker F27 d’Air Inter était encore au point fixe sur le tarmac d’Orly Sud quand l’homme sur le siège d’à-côté tira d’un sac plastique aux couleurs d’une enseigne de produits culturels un livre dont il entama la lecture avec une gourmandise mêlée de sa componction naturelle : « Trente secondes. Le cercle épais du volant. Il vibre différemment selon la pression du pied droit qui déchaîne le tonnerre. »
Patrice Vatan
A lire en écoutant Barry White

Monaco ou le Roman d’un champion
Le livre de Johnny Rives sur Beltoise, tout juste sorti. Un incipit qui deviendrait fameux. Il ouvre un sensationnel chapitre narrant le premier tour de JPB au GP de Monaco de l’an dernier.

C’est alléchés par la victoire qui en découla, historique, que nous nous sommes retrouvés à une vingtaine hier matin à l’embarquement, participants d’un voyage organisé par Sport-Auto.
Un fol espoir nous enflamme, la réédition de cet exploit.
Barry White s’échappe d’un ghetto-blaster.
Au sein de l’aréopage chamarré de blousons de course et bobs pétroliers, deux silhouettes faisaient tache, vêtues en « civil ». L’une, longue figure sombre en costume et cravate, imperméable en sautoir, conversait avec son homologue, un individu malingre en veste de tweed ; deux intellos auxquels je me mêlais, peut-être présomptueusement.
Très vieille France, ils se présentèrent. Michel Mathieu [1], fit le grand, docteur en droit ; Maurice Berthon, greffier au tribunal de Versailles, répondit le petit, précisant n’être pas affilié au fondateur de BRM. Le ton était donné.
Attiré, on ne sut pourquoi, par notre curieux attelage, un quatrième lascar nous emboîta le pas, un brin gouailleur, le verbe vif, un certain Pierre Chrétien, contrôleur qualité chez Simca à Poissy.
Seuls dans les plaines de Monaco
Envoûtés par l’ambiance monégasque en cette veille de Grand Prix, nous laissâmes tous les quatre partir le car qui convoyait les participants vers l’hôtel, à Cannes, et décidâmes de passer la soirée in situ.
Une terrasse en bois nous tendait ses appâts, rue Princesse Caroline. Éclatait partout en ville l’hymne Marlboro appuyé par une cavalcade de diligence et girls en blanc et rouge (https://tinyurl.com/yhb3f4bu).
Bandes de tifosi hurlant les noms de Merzario et Ickx. Soleil couchant jouant avec les reflets mordorés des pintes de seize soixante-quatre.
Nous débattions des chances de Fittipaldi, englué en 3e ligne sur sa rétive Lotus 72, et de Bébel, bien loin sur une BRM freinant mal, quand une Ferrari Daytona se rangea aux abords du resto. Un grand gaillard en sortit, déballa du coffre un carton de tee-shirts qu’il déploya sur le capot avant : la nouvelle écurie Hesketh Racing, toute d’une flamboyance hollywoodienne. Elle préside aux débuts en F1 de James « the shunt » Hunt.
Tout nous semble, ici, hollywoodien, démesuré, décadent.
Les Saintes Ecritures
Fidèle au détail près, l’affiche, personnalisée par ce diable de Manuhead, montre un Michel Mathieu nous faisant la lecture du bouquin de Johnny Rives peu avant le début des hostilités.
Nous sommes réfugiés dans les jardins du Casino, avec vue sur la descente de Mirabeau.
Surprise, Cevert, en deuxième ligne, déboule en tête (https://tinyurl.com/mv3pn8cs) !
Il nous refait le coup de son beau-frère en 72 ? Non, il tape au Casino, au deuxième tour. L’élève a encore à apprendre du maître Stewart.
Quant au beauf, sa suspension défaille au 40e tour et l’expédie dans le rail de l’Hôtel de Paris, méchamment. Sa BRM barre en quenouille et atterrit en vrac à nos pieds, salement abîmée.
Michel range discrètement son bouquin en sifflotant.

Le maître Stewart s’installe au commandement après 7 tours, Peterson out. L’excellent Luc Augier sera le seul à indiquer dans « Moteurs » la raison de l’envol moyen de Jackie : il avait monté les deux premiers rapports longs afin de s’éviter des changements de vitesse dans la nouvelle section de la Piscine.
Sacré Ecossais qui pousse l’économie jusque dans ses ultimes retranchements ; qui remportera cet après-midi son 25e Grand Prix, égalant le record de Clark en contenant avec un sens magique de la course un Fittipaldi agressif comme pas possible ; futur triple champion du monde que teindrait d’étrange, d’impensable, ce qu’un certain documentaire révèlerait de lui, cinquante ans plus tard,.
Ca part en vrille ?
Le fragile coucou à hélices s’envole au-dessus de la Baie des Anges, souligné par les lumières de Nice. Rien ne nous sépare du plongeon dans la grande bleue, sinon une loi physique qui ne demande qu’à partir en vrille, comme le Tupolev 144 qui s’est écrasé au Bourget à peu près au moment où le Grand Prix commençait. Quatorze morts.
Derrière nous, ça parle de la limitation de vitesse à 100 km/h sur les routes à partir du 1er juillet, et quelqu’un évoque la 1ère Journée de l’environnement tenue ce dimanche.
Ça part en vrille déjà ?
[1] Le futur Professeur Reimsparing
© Manu Lacherie (un grand merci à)
Merci de redonner une existence à ce bouquin écrit il y a cinquante ans!
Mais quel bouquin, Johnny !
C’est en effet une étrange confession que celle de Stewart dans le documentaire dont on parle ….Qui renforce le respect qu’on peut accorder à ce diable de pilote écossais…
Si Johnny nous a marqué avec le roman d’un champion, ode à la vitesse, au courage et à la détermination, Patrice Vatan post après post nous délivre le mémoire de l’amitié et de la fidélité. Qui sinon lui tisse le fil de ce lien fait de rencontres construites ou fortuites au fil des décennies ? Fêter les 50 ans d une rencontre, c’est beau. C’est rare. Sinon en amour.
J’y étais avec deux copains mais nous on s’est payé 2000 kms d’autoroute , d’essence et de péages .Et on était heureux car à l’époque , au flanc, tu passais tous les grillages et controles pour accéder gratos au paddock et juste derrière le rail vers la piscine .
Photos à l’appui !
C’est le premier Grand Prix auquel j’ai assisté « en vrai » en compagnie de mon frère. Nous étions arrivés à Monaco en train de nuit depuis notre Lorraine natale. En qualité de passionné et d’admirateur inconditionnel de Jackie STEWART, j’étais émerveillé d’autant plus que nous avions un pass nous permettant de nous déplacer sur tout le circuit et y compris dans les stands! La première et la dernière fois aussi où j’ai vu François CEVERT. Il était totalement effondré après la course qu’il avait menée dans le premier tour, avant sa touchette.
« Le début de la fin » faisait suite à un pic de 16.545 morts sur les routes pour l’année 1972, Patrice.
Et je ne sais pas ce que vous avez pu penser du débat débile dans les familles sur la ceinture de sécurité… L’oncle W. qui la ramenait toujours en expliquant qu’il préférait être éjecté que de brûler dans sa voiture, oubliant que ses 120 kilos lui auraient certainement interdit de passer sans dégâts par la fenêtre de sa Fiat de VRP.
Mais oui, beau récit d’une époque dont on a oublié la violence et l’insouciance. 50 ans.
1975. Les groupies du Hesketh racing distribuaient des tee shirts à l’effigie du patron en Ferrari « Daytona » spider couverte de poussière sous le soleil du circuit Paul Ricard. Show off et train de vie de milliardaire… 1976, Mac Laren enrolait James Hunt.