Keke 1982 : une couronne disputée… et discutée.

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Tous les médias le claironnent peu ou prou : 34 ans après le père, le fils devient champion du monde. Et tout de monde de se féliciter de ce titre récompensant (enfin !) un garçon bien sous tous rapports et qui a su attendre son heure. Cet unanimisme ne fut pas de mise il y a 34 ans lors du sacre de son père, Keke Rosberg. Et pourtant, le « Finlandais flamboyant » ne l’avait vraiment pas volé !

Pierre Ménard

Au soir du Caesar Palace Grand Prix 1982 à Las Vegas qui clôturait une saison éprouvante à tous points de vue, Frank Williams pouvait dire un grand merci à Keke Rosberg : CC 2 Keke 1982un an plus tôt, le patron de l’équipe championne du monde de Formule 1 voyait se profiler une saison 1982 très problématique : ses deux pilotes vedettes allaient le lâcher, sans réelle possibilité pour lui de se retourner. Les contrats pour l’année à suivre étaient signés, les bons pilotes tous casés, et il fallut à Frank se creuser sérieusement les méninges pour tenter de dégoter celui qui pourrait prendre la difficile succession de l’indispensable Alan Jones, et même du discuté Carlos Reutemann avec qui on n’avait pas su trouver la bonne communication en cette saison 1981, c’est le moins qu’on puisse dire (1). Frank se rappela alors ce Finlandais inconnu qui avait damé le pion à tous les ténors sur sa très modeste Theodore lors de l’International Trophy 1978 à Silverstone. Une pluie battante avait envoyé beaucoup de pilotes dans les grillages (et pas des moindres, Depailler, Ickx, Hunt, Andretti ou Regazzoni), les survivants s’appliquant à rester sur la piste. Au milieu d’eux, Keijo Rosberg qui tournait comme une horloge. Au terme d’une brillante résistance sur Fittipaldi, il remporta la course à la surprise générale et gagna ainsi sa place parmi le gratin du sport automobile.

La suite fut moins somptueuse : enchaînant les passages dans des écuries non compétitives, CC 3 Keke 1982celui qu’on avait surnommé le « Finlandais flamboyant » du temps de ses beaux travers en F2 s’était progressivement éteint au volant des piètres voitures que Walter Wolf, Günter Schmidt ou Emerson Fittipaldi voulaient bien lui confier. Au point que fin 1981, au terme d’une saison catastrophique sans aucun point marqué, son avenir en F1 semblait réellement compromis. Jusqu’à ce coup de fil de Frank Williams qui se souvint de ce pilote qui ne baissait jamais les bras et attaquait toujours. Un peu comme Jones, finalement. Une série de test en fin d’année convainquirent Frank Williams et son bras droit Patrick Head que ce Rosberg était la moins mauvaise des options pour seconder Reutemann, qui avait finalement décidé de revenir piloter une saison de plus. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que le Finlandais sans référence aucune en Formule 1 serait appelé dès les premiers Grands Prix à devenir le premier pilote de l’écurie !

A la grande stupéfaction de son équipe, Carlos Reutemann décida d’arrêter les frais à l’issue du deuxième Grand Prix de la saison, au Brésil (2). Grand vent de panique au sein de l’écurie de Didcot, on l’imagine, et c’est dans son étonnante faculté à endosser ce costume a priori trop grand pour lui qu’on put voir la première des justifications de ce titre final qui récompensait le méritant Rosberg. Les autres en découlaient, tout simplement.

CC 4 Keke 1982

Keke Rosberg était un pilote qui ne se compliquait pas la vie, qui ne se posait pas de questions inutiles : on lui demandait de faire un boulot, il allait l’accomplir à fond, parce qu’il n’aimait rien d’autre que se battre comme un mort-de-faim avec les armes qu’on lui donnait contre une concurrence relevée. Face à lui, des pilotes confirmés, voire champions du monde, Piquet, Prost, Arnoux, Villeneuve, Pironi, Lauda, Watson. Deuxième justification : ce florilège impressionnant expliqua pourquoi le Finlandais, au grand dam des râleurs à la mémoire courte, ne fut champion qu’avec une seule victoire : ils ne furent pas moins de 11 pilotes cette saison à se partager les 16 épreuves du championnat, aucun pilote ne remportant plus de 2 Grand Prix (3). Troisième raison – et de taille ! – de voir en ce sacre un succès mérité : Rosberg dut composer avec une FW08-Cosworth (apparue seulement en cours de saison) rendant entre 100 et 150 chevaux aux meilleurs turbos, Ferrari, Renault et BMW.

CC 5 Keke 1982Les réglages devaient alors être au plus fin pour optimiser au maximum la tenue de route de la monoplace, comme ces pneus volontairement sous-gonflés au départ pour atteindre en course la température idéale. D’où quelques belles dérobades dans les premiers tours de la Williams n°6 qui ravirent les publics, souvent ignorants des efforts qu’accomplissait son pilote pour la maintenir sur la piste… et dans le rythme des moteurs suralimentés.

Pour ces trois – bonnes – raisons, il fut parfois difficile pour Rosberg de faire mieux que de se situer « premier des non-turbo ». Mais, à l’inverse de certaines têtes brûlées, il sut justement prendre tous les points nécessaires pour profiter des coups du sort et rebondissements qui parsèment un championnat. Et des coups du sort, il y en eu en cette saison 1982 ! Entre les Renault qui devaient tout casser cette année, et qui ne cassèrent que leur moteur électronique d’injection Renix, les McLaren tantôt dominatrices, tantôt pataugeant dans leurs réglages avec les nouveaux pneus Michelin, les rapides Brabham dont le BMW explosait quasi invariablement à mi-course, sans oublier l’écurie Ferrari durement frappée par la disparition de Villeneuve et l’accident de Pironi, il fallait être bien présent pour profiter de toutes ces opportunités. Et c’est ce que fit Rosberg : toujours placé et, dès qu’il le put, sur la plus haute marche du podium. C’était à Dijon pour le Grand Prix de Suisse. Pour un gars dont on disait qu’il s’économisait un peu trop, c’était bien vu !

CC 6 Keke 1982

Ceux qui firent la moue sur ce titre qui aurait du, à les entendre, récompenser les brillants Prost, Pironi, Lauda, Watson ou Piquet, oublièrent quelque peu toutes ces données. Frank Williams lui-même sembla parfois agacé par le manque de victoires de la part de son Finlandais moustachu. Lequel lui répondait sans se démonter que si on lui donnait une voiture plus rapide, il résoudrait le problème. Mais en fin d’année, Frank avait retrouvé le sourire. Même s’il avait perdu le titre le plus important à ses yeux, celui des constructeurs, il avait grandement sauvé son année avec cette couronne pour son pilote surprise sur qui personne n’aurait osé parier un penny en début de saison. Et il avait retrouvé en Keke un battant, un dur, un rugueux qui lui faisait un peu oublier Alan. La seule chose que cet ascète à la limite de l’austère ne supportait pas, c’est cette détestable manie qu’avait Rosberg d’entrer dans le motor-home Williams la cigarette au bec. Mais, c’était à prendre ou à laisser, le Finlandais n’étant pas du genre à se laisser impressionner par qui que ce soit, même par le type qui avait fait rebondir sa carrière.

CC 7 Keke 1982

Notes

(1) Déçu par sa dure saison 1981 au sein d’une écurie qui l’avait plus ou moins ostracisé à la suite de son non-respect des consignes à Rio, Reutemann avait laissé en plan Frank Williams pour repartir en Argentine. Celui-ci n’avait donc aucune certitude quant aux intentions du fantasque Argentin lorsqu’il appela Keke Rosberg. Ce n’est qu’ensuite que Reutemann décida de revenir… pour finalement tout plaquer deux mois plus tard.

(2) Reutemann expliqua alors son retrait par le fait que la voie que prenait la Formule 1 (guerre FISA-FOCA) et que les voitures « shakers » ne l’intéressaient plus. Certains observateurs virent plutôt dans cette décision surprenante un éventuel positionnement problématique de l’Argentin au sein d’une écurie britannique alors que la guerre des Malouines menaçait (Guillermo Vilas renoncera pour cette raison à disputer le tournoi de Wimbledon en juillet). D’autres enfin virent là une manœuvre roublarde de la part du pilote pour faire payer à l’écurie Williams son attitude « rigide » à son égard en 1981.

(3) Prost (2), Lauda (2), Pironi (2), Watson (2), Piquet (1), Patrese (1), Arnoux (2), Tambay (1), De Angelis (1), Rosberg (1) et Alboreto (1).

Légendes Photos © DR

1- Keke Rosberg 1982
2- Podium International Trophy 1978, Keke Rosberg et Teddy Yip
3- Keke Rosberg et Emerson Fittipaldi 1980
4- Photo-finish au GP d’Autriche 1982 : De Angelis devance Rosberg de 5/100!
5- GP des Etats-Unis 1982, Detroit.
6- GP de Suisse 1982
7- Caesar Palace GP 1982, le nouveau champion du monde avec Diana Ross à gauche (ainsi que John Watson et Michele Alboreto).

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Pierre Ménard

Illustrateur de formation et passionné de Formule 1, il collabore à la revue Auto-Passion de 1993 à 2001, ainsi qu’à l’annuel L’Année Formule 1 de 1996 à 2013. En 1997, il participera par le graphisme au début de l’aventure Prost Grand Prix. En 1999, Pierre Ménard produit la Grande Encyclopédie de la Formule 1, aux Editions Chronosports, ouvrage réédité à quatre reprises. Il est également le co-auteur, avec Jacques Vassal, de biographies sur Juan Manuel Fangio, Stirling Moss, Alberto Ascari, Niki Lauda, Ayrton Senna et Alain Prost dans la collection Les légendes de la Formule 1, toujours aux Editions Chronosports. Il a également collaboré à l’élaboration du livre de Jean-Claude Baudier La magie du diorama, aux Editions du Palmier. En tant que journaliste historique, il écrit dans le magazine Automobile Historique de 2001 à 2005, et depuis 2012 dans Grand Prix. Il a rejoint feu Mémoire des Stands en 2008 et fut associé à l’aventure Classic COURSES dès septembre 2012.

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ferdinand

Vous le rappelez bien, il y avait deux catégories de voitures cette année-là : les turbos et les atmosphériques. Sur le podium du championnat, deux pilotes d’atmosphériques entre lesquels se glisse Pironi et son turbo Ferrari surpuissant. On imagine l’avance qu’il aurait prise sans l’accident d’Hockenheim. Ce qui, au passage, en dit long sur l’endurance et la régularité de Rosberg, pilote pourtant réputé pour sa pointe de vitesse. Le titre est largement mérité, comme vous le relevez, Pierre. Retour sur cette année 1982 et des événement comme on n’en voit plus : Villeneuve, Paletti, Pironi… San Marin, Zolder, puis Hockenheim… Lire la suite »

pierremenard

Ah, Piquet vs Salazar ! Ce qui est drôle quand on re-visionne les images est que Piquet, dans sa fureur, essaie de coller son poing dans la figure du Chilien, mais celui-ci portait encore son casque !

Olivier FAVRE

Ah, cette saison 1982 ! l’une des plus extravagantes (et tragiques aussi) de l’histoire de la F1.
J’en avais rappelé les péripéties dans cette note lors des débuts de Classic Courses : http://185.62.184.7/2012/12/une-grande-saison-malade/

Emile Danlepan

Pour les personnes en manque en cette fin de saison, la retransmission télévisée intégrale de l’apocalyptique International Trophy 1978 mentionné dans cet article est disponible sur youtube en plusieurs sessions (prévoir 1 heure) :

https://www.youtube.com/watch?v=7s89onnbIIs

Ce lien envoie vers la première des 4 parties normalement bien classées chronologiquement dans la rubrique « à suivre ».

Pierre-Antoine

Très impressionnant ! Quand on regarde ça, puis qu’on se dit qu’aujourd’hui on sort la Safety Car avec 3 fois moins d’eau… ça laisse songeur.

Walter

Le championat de 1982 etait la proprieté de Villeneuve. Il etait le plus aimé des pilotes Ferrari, prét à devenir champion du monde. Il touchait a Gilles de devenir le champion.
Mais la Ferrari l’a tué.
Et puis la Ferrari a quasi tué Pironi.
Le titre de Rosberg etait juste par la qualité du finlandais et aussi pour punir Ferrari.
La saison de 1982 meritait un film aussi que celle de 1976.

Marc Ostermann

Pierre, il me semble que Jarier avait été proche de piloter cette williams avant que Reutemann ne revienne …pour repartir.

Pierre Ménard

Jarier a été tellement « proche » de piloter pour des grandes écuries qu’on ne sait plus très bien. Peut-être, je n’en ai en tout cas pas le souvenir.

Olivier FAVRE

J’ai le même souvenir que Marc, mais il est vrai que Jarier et les occasions manquées en F1 …

Marc Ostermann

Salut Olivier 🙂 Effectivement, Jarier approché par Frank Williams effectue des test (concluants) fin 1981 au Castellet dans l’éventualité de remplacer Reutemann pour 1982, avant de re-signer pour Osella puisque Reutemann décide de prolonger…

Marc Ostermann
Pierre Ménard

Puisque ma mémoire me fait défaut, j’ai donc vérifié dans le n°296 d’Auto Hebdo de décembre 1981 : bien vu Marc, Jarier avait bien effectué quelques test un matin sur la FW07, en battant Rosberg d’une seconde et demie (mais keke était alors au volant de la 6 roues très imparfaite). Jarier quitta ensuite le circuit et dut rêver un peu trop fort. Rosberg battit en effet ce temps d’une seconde pleine l’après-midi, comme par hasard alors que le Mistral s’était calmé. Mais « Godasso » n’était plus là. Et surtout, comme le précise Marc, ce test avait apparemment servi de plan… Lire la suite »

Marc Ostermann

Eh oui…. Ci-dessus dans ma réponse le lien vers JPJ dans la Williams, ah Rosberg Jarier…Mais peut-être aurait-il connu le traitement peu enviable de Laffite un peu plus tard…. ?