12 septembre 2014

Monza, autre ville d’eau ?

Une averse en fin de séance d’essais, un essai statique au volant d’une BRM H 16, un Grand Prix absolument somptueux, une remontée « d’anthologie » de la part de Jim Clark sur Lotus 49, un final haletant, une victoire de John Surtees, sur Honda cette fois, des tifosi en joie pour ce champion atypique, banni de la Scuderia et passé par le purgatoire de Cooper-Maserati (victoire au Mexique fin 66) avant de rebondir chez les Nippons. Le tout vécu au retour d’un périple derrière le rideau de fer, avec le nom de Rodriguez placardé dans le coffre d’une 403. C’était en 1967 et ça envoyait !

Jacques Vassal

 Cet été-là, nous étions partis à trois, à bord d’une 403 Peugeot (8 CV) de 1961, noire, achetée jacques vassal,grand prix d'italie 1967,monza 1967,john surtees,jack brabhamd’occasion pour 2100 francs en juin. Objectif : un voyage en URSS, par la route, cinq semaines du début août au début septembre. Itinéraire prévu depuis Paris à travers les deux Allemagne, la Pologne, puis par Brest-Litovsk, Moscou, Kharkov, Kiev, Odessa, Kichinev (Moldavie) et retour par Bucarest, Belgrade, le nord de l’Italie et le tunnel du Mont-Blanc. Oui mais, me direz-vous, la course automobile dans tout ça ? J’y viens ! A l’aller, notre programme prévoyait une étape, samedi 5 et dimanche 6 août, par le circuit du Nürburgring, comme par hasard, pour les essais et le Grand Prix d’Allemagne ! Et au retour une autre, les 9 et 10 septembre, par la banlieue de Milan, plus exactement l’autodrome de Monza, comme  par hasard, pour les essais et le Grand Prix d’Italie.

La 403, révisée, avait été dûment inaugurée lors du week-end des 24 Heures du Mans, où elle avait parfaitement rempli son office de « camp de base » pour nous permettre d’assister à une édition vraiment d’exception, avec un moment fort du duel Ford-Ferrari, et une victoire de Dan Gurney/A.-J. Foyt sur Ford Mk IV à plus de 218 km/h de moyenne. Nous étions toujours plutôt pour Ferrari mais bien contents pour Gurney, un pilote tellement sympathique. D’autant plus que, quinze jours plus tard, le Grand Dan avait remporté le GP de Belgique sur le circuit de Spa, avec son Eagle à moteur V 12 Weslake.

jacques vassal,grand prix d'italie 1967,monza 1967,john surtees,jack brabhamAlors, le 5 août au soir, nous étions contents de voir Gurney signer le 4e temps des essais du GP d’Allemagne, contents encore de le voir mener plusieurs tours de course le lendemain. Las ! Un bris de cardan le mit hors-jeu, ce qui aida Dennis Hulme (Brabham-Repco) à remporter ce Grand Prix et à conforter sa position au Championnat du Monde. Après la course, comme à Spa l’année précédente, nous avions pu pénétrer dans le « fahrerlager », excusez le terme, le parc des coureurs, et examiner de plus près les voitures. Guy Ligier avait réussi à se classer 6e avec la Brabham-Repco BT 20 de 1966, ex-monture de Hulme, et à marquer le seul point de sa carrière en F 1. Comme il rangeait la monoplace dans sa remorque, nous avions entendu Gérard Crombac l’interpeller avec son ironie coutumière : « Alors, Monsieur Ligier fait dans la voiture d’occasion ? » Mais déjà, nous approchions des mécanos de chez Cooper en train de ranger les monoplaces dans leur camion. Nous avons pu demander aux mécanos la permission d’emporter un – modeste – trophée : l’un des deux bandeaux en lettres noires, sur fond blanc, marqué « RODRIGUEZ », en plastique autocollant. Cette saison-là, les écuries devaient poser deux de ces bandeaux (environ 12 X 80 cm), de part et d’autre du cockpit, avec le nom de chaque pilote. Une astucieuse aide pour suivre la course. Et c’est ainsi que le nom de Pedro, collé à l’intérieur du couvercle de coffre arrière de notre 403, traversa avec nous un bout d’Europe de l’est, avant de se retrouver dans la banlieue de Milan !

Il fallait le faire : la 403 était une auto réputée pour sa solidité, elle avait déjà plus de 100.000 km au compteur, dont 10 à 12000 couverts par nous, sur des routes pas toujours très lisses, le compteur souvent calé à 150 (ce qui devait faire 130 chrono), notamment sur les 743 km de routes droites – à l’exception d’UN virage – reliant Brest-Litovsk à Moscou par Minsk et Smolensk. Nous avions vidangé sur un pont fixe en plein air au camping de Kharkov. Mais nous n’avions jamais eu besoin des pièces de rechange emportées à bord par précaution (courroie de ventilateur et tige d’embrayage achetés à la concession Peugeot de Rethel à l’aller). Le 4 cylindres en ligne culbuté de la célèbre firme de Sochaux, avec ses 1468 cm3 et sa culasse hémisphérique, avait tourné comme une horloge, faisant au passage l’admiration voire la jalousie des rares propriétaires de Pobieda ou de Moskvitch rencontrés en chemin. Et là, pan, banlieue de Milan, crevaison à l’arrière gauche ! Après un changement de roue avec le cric d’origine, nous étions arrivés juste à temps dans les parkings de l’autodromo de Monza pour assister aux « qualifs » du Grand Prix.

jacques vassal,grand prix d'italie 1967,monza 1967,john surtees,jack brabham Il avait fait beau des jours durant en Italie mais voilà que, pendant la séance, o lacrimae Christi, il se mit à pleuvoir ! Une de ces averses estivales assez fournies mais de courte durée. A peine avions-nous eu le temps de ré-entendre le tonitruant V 12 de la Honda de John Surtees, sans parler de celui, plus aigu, de l’Eagle du grand Dan, ni oublier les H 16 des BRM, que tout ce monde-là se trouvait obligé de lever le pied, mais grave ! Jim Clark (Lotus 49) venait à peine de boucler un tour « canon » en 1’28’’5, à plus de 233 km/h de moyenne, lui assurant la pole-position pour le lendemain, que les paquets d’impers en plastique transparents étaient déjà dégainés et proposés par une armada de marchands ambulants. « Mille lire ! Mille lire ! », s’écriaient-ils en se pressant entre les rangs de tifosi, à l’enthousiasme douché (d’autant que Chris Amon sur Ferrari n’avait pu faire mieux que 1’29’’35 et le 4e temps des essais).

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Malgré tout, nous nous trouvions en plein cœur du temple de la vitesse, haut lieu légendaire du sport automobile depuis 1922, qui avait vu tour à tour les Ascari père et fils, Varzi, Nuvolari, Caracciola, Rosemeyer, Fangio, Moss et j’en passe, en découdre au volant de ce qui se faisait de mieux en matière de voitures de course de leurs époques successives, d’Alfa Romeo à Maserati en passant par Sunbeam, Fiat, Bugatti, Mercedes, Auto Union, Ferrari, Talbot, BRM, Vanwall, Cooper ou Lotus. Nous en avions souvent rêvé. Nous y étions enfin (un peu avant la Parabolique) et ce n’était quand même pas une vulgaire averse qui allait nous gâcher le plaisir ! 

Là comme à Spa, et comme au Nürburgring, nous avions pu aller rôder dans le parc des coureurs. Il suffisait d’attendre assez longtemps après la séance d’essais, que les rangs de tifosi et autres curieux se soient éclaircis, et même à Monza, où l’on a l’habitude de voir des foules assez denses et déchaînées, on parvenait à ses fins. jacques vassal,grand prix d'italie 1967,monza 1967,john surtees,jack brabhamCe jour-là, donc après les essais mais veille de la course, nous avions pu retrouver nos copains mécanos de chez Cooper et leur raconter que l’autocollant de Pedro Rodriguez avait eu un vrai succès de curiosité dans les terrains de camping soviétiques, alors même que les Russes puis les Ukrainiens rencontrés, ne savaient même pas de qui il s’agissait, ce qui les avait bien fait rire ! Puis nous étions passés par le stand BRM, où les mécanos nous avaient permis, à tour de rôle (nous n’étions plus que deux mais tout de même), de nous asseoir au volant de la monoplace type 83 à moteur H 16 de Mike Spence, qui allait courir demain, juste le temps d’un cliché. Autres temps, autres mœurs… Notre tour de paddock s’était terminé devant la McLaren orange de l’ami Bruce, qui venait d’étrenner au Canada un moteur digne de ce nom, un V 12 BRM justement, avec lequel il comptait briller le lendemain.

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Ce lendemain-là, il faisait très beau et il y avait, évidemment, la foule des grands jours. Non, je ne vous raconterai pas la course, je l’ai déjà fait dans Auto-Passion (n° 115 pour les collectionneurs) et il y a des livres qui font cela très bien. Vous savez qu’elle se termina par une victoire inattendue, mais combien méritée, de John Surtees, eh oui encore lui, mais cette fois sur Honda. jacques vassal,grand prix d'italie 1967,monza 1967,john surtees,jack brabham

Vous savez aujourd’hui qu’elle fut extrêmement mouvementée et indécise presque jusqu’au bout. Mais ce que je voudrais souligner ici, c’est la course extraordinaire de Clark ce jour-là. Alors qu’il avait pointé en tête, une crevaison lente l’avait obligé à revenir au stand Lotus au ralenti puis à réparer, repartant avec plus d’un tour de retard sur les leaders qui comprenaient Brabham et Surtees. Jim, déchaîné, avait aligné alors des tours ébouriffants, battant le record du tour bien sûr mais surtout se dédoublant et rattrapant le peloton de tête pour terminer 3e… un podium qui valait, moralement, bien des victoires ! 

Ce jour-là, Clark fut grand, ce qui n’empêcha pas les tifosi d’acclamer chaleureusement « Il Grande John » pour sa première victoire sur une monoplace japonaise, en terre italienne, et un peu plus d’un an après qu’il eut brusquement quitté la Scuderia. A la sortie du paddock, nous vîmes une grappe de tifosi porter Surtees en triomphe, à califourchon sur le cou d’un des leurs, et l’amener ainsi jusqu’au podium ! Bien des années plus tard, et à deux reprises (1985 et 1997), j’ai eu la joie d’interviewer Surtees, ces deux fois-là en longueur, et il se souvenait encore avec émotion de ces Italiens, bien plus sportifs et moins chauvins qu’on ne le dit parfois…

Illustrations 4, 5 , 6 : L’Année Automobile 1967, Fonds Johnny Rives.

Image 1  : John Surtees, Honda@ DR
Image 2 : Peugeot 403 Norev @ DR
Image 3 : Dan Gurney GP Allemagne 1967 @DR
Image 4 : Lini, Enzo Ferrari, Forghieri @DR ( Mike Cooper?)
Image 5 : Surtees , Hulme @DR ( Eric de la Faille?)
Image 6 : John Surtees, Honda@ DR (Bernard Cahier?)
Image 7 : Grille de départ @DR
 
Vidéos @ DR
 
Video 1 : Résumé du Grand Prix d’Italie 1967
Video 2 : Brabham double Surtees
Video 3 : Film promotionnel Honda

 

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