Monaco 1966
13 octobre 2023

Monaco 1966 : Stands en effervescence.

Dans le genre « C’était mieux avant », le Grand Prix de Monaco 1966 aurait toutes les chances de chuter dans les tréfonds de l’Histoire tant l’épreuve fut réduite à un simulacre de course automobile : quatre voitures classées, dont deux seulement passèrent le drapeau à damiers ! Pas de quoi écrire à sa grand-mère, direz-vous… quoique : ce qui se passa dans les stands fut certainement plus important que ce qui arriva sur la piste.

Pierre Ménard

Monaco 1966
Monaco 1966 Gazomètre

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Vous allez voir ce que vous allez voir !

Depuis sa création en 1950, le règlement du championnat de Formule 1 fut souvent sujet à des sautes de courant dans le but d’en améliorer l’attractivité : réduction des moteurs de 4,5 litres à 2 litres en 1952, augmentation à 2,5 litres deux ans plus tard, pour redescendre à 1,5 litre en 1961, et enfin adopter la formule 3 litres à l’orée de cette saison 1966.

Or le coup d’envoi de ce nouveau championnat excitant à bien des égards avait lieu à Monaco le 22 mai 1966, et c’est déjà un des points d’intérêt de cette course : le public allait donc pouvoir enfin admirer ces nouvelles F1 qu’on lui avait « vendues » comme brillantes et musclées. Fini les moustiques hystériques, place aux voitures d’hommes ! On eut surtout droit à un festival de valse-hésitation, de non-participations et de casses mécaniques résumées dans un Grand Prix bien spécial.

Les écuries avaient amené leur nouveauté, mais certaines durent recourir à des remplacements de dernière minute : BRM et Lotus, qui devaient être propulsées par le tout nouveau H16 BRM, n’avaient pu que présenter statiquement les prometteuses monoplaces, avant de bien vite aligner des modèles V8 de l’an passé réalésés à 2 litres (1,9 litre pour le V8 BRM).

Car le problème était là : malgré un règlement publié tôt l’an passé et un début de championnat 1966 très tardif, les « gros moulins prêts à l’emploi » n’étaient pas légion dans les stands de Monaco. Ferrari et Cooper-Maserati annonçaient respectivement 350 et 365 chevaux pour leurs V12, mais les observateurs les plus fins firent remarquer que ces multicylindres n’étaient pas de première jeunesse (1).

On s’apercevrait très vite que ces chiffres étaient à prendre avec de grandes réserves… Brabham comptait sur les 300 chevaux de son nouveau V8 Repco, mais dut monter à la place une version plus fiable ne donnant que 285 chevaux. Bref, les annonces avaient été plus alléchantes que la réalité. Restait Bruce McLaren qui faisait effectuer ses débuts officiels à sa toute nouvelle McLaren M2B équipée d’un curieux V8.

Bruce McLaren n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis pour resserrer les derniers boulons sur sa nouvelle M2B © D.R.

Beatlemania et Hollywood

L’incontestable attraction des stands bénéficiait d’un moteur extrapolé d’un bloc Indy datant de deux ans et qui fournissait 300 chevaux (selon les jours). Le public autorisé se massait naturellement autour de la jeune équipe du petit Néo-Zélandais, mais les sorties de la voiture aux mains du patron renseignèrent vite les observateurs sur le potentiel de celle-ci : en travers la plupart du temps, Bruce devait composer avec un moteur lourd et peu puissant pour claquer un temps à peine honorable. Ce moteur ricain faisait par contre un potin de tous les diables et même un des visiteurs pourtant habitué aux stridences des salles de spectacle fut très impressionné.

Entre deux séances d’enregistrement du prochain album des Fab four (2), George Harrison était venu s’aérer les bronches – et les oreilles – sur le Rocher, accompagné de sa jeune et tendre Pattie Boyd qu’il venait d’épouser. Monaco a de tout temps attiré les célébrités de la musique et du cinéma, mais au plus fort de la Beatlemania, et quelques mois après la décoration des boys de Liverpool par la Reine, la présence du guitariste avait de quoi faire monter les stands en température.

Mais, à l’inverse de toutes les autres stars qui viendraient montrer leur nombril sur le grand prix le plus médiatique, Harrison était un authentique passionné : il se souvenait de ses escapades de gamin dans les années cinquante à Aintree où il avait pu admirer le style de Fangio ou le panache de Moss. On retrouverait par la suite très souvent l’ex-Beatle derrière les grillages ou dans les stands, discutant boulons et rondelles avec ses potes Jackie Stewart ou Gordon Murray (3).

George et Pattie Harrison (dont ne voit que la blonde chevelure) spectateurs attentifs lors des essais © D.R.

Un autre événement dans les stands cette année-là fut le déploiement de caméras Panavision 65 mm destinées à enregistrer des scènes d’ambiance pour la grande production hollywoodienne à venir, Grand Prix, de Frankenheimer. Le réalisateur profita également des voitures en piste pour tourner quelque séquences d’action, comme il le ferait ensuite à Spa et Brands Hatch. La présence de Montand ou Garner sur la grille contribuait elle-aussi à maintenir les liquides de refroidissement en ébullition. Autant dire que cette année, Monaco méritait bien son titre de Grand Prix paillettes ! Et penser à juste raison que cette effervescence dans les stands promettait une bien belle course…

Malgré son indiscutable talent, Jim Clark ne gagna jamais à Monaco. En 1966, les aléas de la mécanique jouèrent une fois encore contre lui © D.R.

Ligier dix ans avant

Il n’en fut, hélas, rien ! Les « nouveautés » cassèrent les unes après les autres, et seuls Jackie Stewart sur sa BRM de « transition » et Lorenzo Bandini sur une Ferrari à moteur V6 Dino de 2,4 litres animèrent la deuxième partie d’un Grand Prix dont l’adjectif avait ce jour-là une connotation relativement usurpée. Ils furent les deux seuls rescapés à être salués par Louis Chiron au terme des 100 tours obligés (4). Cette manche inaugurale serait d’ailleurs la seule du championnat 1966 à être enlevée par une monoplace datant de l’année précédente.

Concernant Ferrari, ce Grand Prix allait laisser des traces : John Surtees, à qui son directeur sportif Eugenio Dragoni avait intimé l’ordre de courir sur la nouvelle 3 litres – qui cassa – était furieux, estimant qu’avec la petite V6 mieux adaptée au tracé tortueux il aurait eu une bonne chance d’enlever la course ! La séparation acrimonieuse qui suivrait était déjà enclenchée.

John Surtees (ici avec Mauro Forghieri et Giulio Borsari) ne digéra pas la décision d’Eugenio Dragoni de l’obliger à courir avec la lourde 312 V12 © D.R.

Et puisqu’on en est à relever les particularités relevées dans ce Grand Prix un peu spécial, les connaisseurs de la course eurent le loisir d’assister aux grands débuts en F1 d’un pilote français, surtout connu en endurance et qui deviendrait, dix ans plus tard, le porte-drapeau du sport automobile hexagonal : Guy Ligier pilotait ce jour-là une lourde Cooper-Maserati et collectionna les pépins (direction floue, roue arrière se desserrant, demi-arbre de transmission brisé) qui l’empêchèrent de concrétiser de bonnes dispositions entraperçues aux essais.

Notes

(1) Ferrari avait opté pour son V12 d’endurance de 4 litres réalésé à 3 litres, et Maserati avait ressorti de ses cartons son V12 2,5 litres datant de 1957 (!) et gonflé à 3 litres.
(2) Revolver, qui sortirait trois mois plus tard.
(3) George Harrison tâta de la course historique au volant d’une Lotus 18 lors du Gunnar Nilsson Memory Trophy 1979.
(4) Ayant abandonné sur le circuit juste avant la fin de l’épreuve, Graham Hill et Bob Bondurant (tous deux sur BRM) furent classés malgré tout, le moustachu anglais rejoignant le podium pedibus.

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