Mon cousin (1) : La MG B

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J’avais un cousin, plus âgé que moi, qui fut moniteur à Montlhéry à la charnière des années soixante et soixante-dix. C’est à lui que je dois mes premiers émois mécaniques. Mon cousin est définitivement parti il y a quelques semaines et je désirais lui rendre hommage en exhumant deux notes que j’avais écrites il y a onze ans pour feu Mémoire des Stands.

Pierre Ménard

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Régularité Montlhéry 1968, André Lenoir MG B et Maurice Mestivier au drapeau © Photos Conrath

La petite anglaise et le Continent

Le département du Lot est une merveilleuse région où l’on mange bien et où le soleil illumine généreusement les Causses arides. C’est un beau pays, mais tout dépend de ce qu’on vient y chercher. Les belles mécaniques y sont rares, surtout pour un enfant sage en plein milieu des années soixante.

Agé de onze ans en 1968, le petit garçon déroule tranquillement sa jeune vie dans la quiétude de cette sous-préfecture lotoise éloignée de – presque – tout : le progrès technique n’y arrive qu’en tout dernier ressort, une fois le territoire français complètement desservi. Le téléphone automatique, la télévision couleur, la deuxième (puis la troisième) chaîne, il faut les attendre longtemps dans le Quercy ! Quant aux voitures, seules les grandes marques généralistes bien implantées dans les contrées reculées ont droit de cité.

Le père du petit garçon ne jure que par les Peugeot : une 403, puis des 404, évoluant au gré des finitions qui traduisent l’ascension sociale de la famille. Chez le voisin, c’est la DS qui règne. La Pallas, avec ses phares qui tournent et ses suspensions qui font « pshhhht » lorsque son derrière se redresse. Le summum de la technologie ! Sauf qu’assis à l’arrière à l’assaut des Estresses dans le Cantal (1), le fils du voisin gerbe son petit déjeuner à tous les virages.

Il y a des Aronde, des 204 et des R16 dans le quartier. Seul le vendeur de noyers qui roule en Mercedes fait un peu figure d’exception avec sa grosse allemande qui pue le gas-oil : ici plus qu’ailleurs dans l’hexagone, on roule tricolore et on en est fier ! Aussi, lorsque le grand cousin de Paris a débarqué un beau matin de printemps dans son petit cabriolet qui faisait un bruit du tonnerre, le petit garçon a ouvert grand les yeux.

Maurice Garage

– C’est quoi, comme voiture ? demande l’enfant à son grand cousin en faisant et refaisant le tour de la merveille aux roues à rayons.

– Une MG.

– Aimegé ?

– Ça veut dire Morris Garage.

Le garçonnet trouve ça drôle d’appeler une voiture « Maurice Garage », surtout si c’est anglais comme lui a dit son cousin. Sa main droite caresse timidement la tôle de la portière tandis que la gauche fait écran au soleil pour lui permettre d’apercevoir à l’intérieur les sièges en cuir noir. Il est fasciné par ce volant en bois nanti de ses trois branches en métal ajouré avec à droite le court levier de vitesses émergeant du soufflet en caoutchouc. Dans la 404 de son papa, c’est tout en plastique et en bakélite, et le levier est au volant comme sur la DS du voisin, comme sur l’Aronde, comme sur la Renault et comme sur la Mercedes du vendeur de noyers. Comme sur toutes les voitures normales, quoi !

– Tu veux faire un tour ?

La voix de son cousin le tire de sa rêverie. Sa tête s’agite en silence en signe d’assentiment.

Régularité Montlhéry 1968, André Lenoir MG B © D.R.

Il freine et accélère en même temps !

Le petit garçon a toujours eu l’impression de monter dans la 404, la DS, l’Aronde ou la Mercedes. A sa grande surprise, il descend dans la MG et se retrouve allongé à droite de son cousin qui le domine de sa forte stature et qui enclenche la première avec autorité. Fasciné et s’agrippant à la poignée de porte, le garçonnet ressent dans son corps tous les mouvements de la caisse et savoure avec délices les montées en régime du moteur.

Le cousin ne plaint pas l’attaque et joue du levier avec dextérité. La voiture bondit de virage en virage sur la petite route lotoise et le porte-clefs frappe alternativement le volant et le pommeau en bois du levier de vitesses au gré des changements d’appui. Ce qui étonne surtout le petit garçon est ce bruit d’accélération, bref mais net, à chaque fois que le cousin freine. Et il freine fort pourtant ! Sa jambe droite semble se tordre, et sa gauche appuie deux fois sur l’embrayage : on dirait qu’il pédale quand il freine ! Il lui expliquera alors que c’est pour éviter de bloquer les roues arrière et que ça s’appelle le talon-pointe. Le petit garçon ne l’oubliera jamais.

Il n’apprendra que quelques années plus tard que son cousin est moniteur à Montlhéry, un circuit automobile à côté de Paris. Le garçonnet se fiche un peu de savoir où se trouve Montlhéry, tout ce qui lui importe est d’être là quand vient son cousin et sa fabuleuse voiture. De « descendre » dedans et d’attendre dans une excitation croissante que « ça » démarre !

Coupes de Paris Montlhéry 1968, André Lenoir MG B n°80 © D.R

L’année suivante, le cousin reviendra mais avec une auto différente, moins rigolote aux yeux du petit garçon. Une Béhèmevé. Jamais entendu parler ! Il a acheté une voiture allemande triste, le cousin, et le petit garçon regrette déjà la petite anglaise. Mais bien vite, il va comprendre que cette Béhèmevé, c’est beaucoup plus violent que la MG. Il va aussi mieux comprendre ce que fait son cousin de ses week-ends à Montlhéry.

(à suivre)

(1) Maintenant déviés par une belle nationale rectiligne en montée (la N122), les lacets des Estresses entre Maurs et Saint-Julien-de-Toursac étaient redoutables pour les suspensions, et redoutés par les cœurs sensibles.

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Pierre Ménard

Illustrateur de formation et passionné de Formule 1, il collabore à la revue Auto-Passion de 1993 à 2001, ainsi qu’à l’annuel L’Année Formule 1 de 1996 à 2013. En 1997, il participera par le graphisme au début de l’aventure Prost Grand Prix. En 1999, Pierre Ménard produit la Grande Encyclopédie de la Formule 1, aux Editions Chronosports, ouvrage réédité à quatre reprises. Il est également le co-auteur, avec Jacques Vassal, de biographies sur Juan Manuel Fangio, Stirling Moss, Alberto Ascari, Niki Lauda, Ayrton Senna et Alain Prost dans la collection Les légendes de la Formule 1, toujours aux Editions Chronosports. Il a également collaboré à l’élaboration du livre de Jean-Claude Baudier La magie du diorama, aux Editions du Palmier. En tant que journaliste historique, il écrit dans le magazine Automobile Historique de 2001 à 2005, et depuis 2012 dans Grand Prix. Il a rejoint feu Mémoire des Stands en 2008 et fut associé à l’aventure Classic COURSES dès septembre 2012.

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Daniel Gautiez

Moi, dix ans de plus, ma première émotion du même genre, une MG A rouge. Même découverte., même émerveillement.
Souvenir de mon copain qui, plus tard, avait vu, de ses yeux vus, une LOTUS Europa.  » Pour y entrer tu ouvres la portière, tu t’assois sur le trottoir à côté et, c’est juste un peu plus bas »

JP Squadra

Très agréable de retrouver des textes de Mds…nostalgie de la nostalgie ? Je regrette que ce soit pour une triste occasion, mais nous rendons tous hommage à votre cousin, Pierre.

Frédéric Fournet

Merci et…encore encore…
N’y a t’il pas moyen de ressusciter, réinjecter ici tout le contenu délicieux de Mémoire des stands…
Les photos me rappellent tout à fait celles que l’on retrouve au fil des pages de ces hors série de Échappement, « Les albums photo d’Adolph Conrath » qui, à chaque fois en un livre entier, traitent un thème « Monthlery », « Le tour auto », « Les Cévennes » etc…avec une abondance de photos noire et blanc qui sont un véritable trésor…