Richard Seaman
20 septembre 2021

Les liaisons dangereuses de Richard Seaman

Course automobile et propagande politique 

Quand le sport automobile rencontre l’histoire des peuples. J’aborde aujourd’hui un sujet qui, me semble-t-il, n’a jamais été traité dans Classic Courses : l’histoire de Richard Seaman et des « Flèches d’argent » à la veille de la deuxième guerre mondiale.
En fait, au lieu de vous raconter l’histoire, je préfère vous proposer un documentaire anglais, datant de 2004, que j’ai trouvé excellent et très agréable à regarder. J’ai moi-même inscrit les sous-titres en français. La qualité des intervenants (Doug Nye et Chris Nixon, notamment) y contribue beaucoup.

René Fiévet

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L’histoire de Richard (Dick) Seaman y est racontée de façon très complète et avec beaucoup d’honnêteté, ce dernier aspect étant d’autant plus nécessaire que le sujet a donné lieu à de nombreux débats et controverses, qui se ramènent à la question suivante : quelle fut la nature des liens de Dick Seaman avec l’Allemagne nazie ?  Dick Seaman fut-il un Nazi ?

Pour ce qui concerne l’exposé des faits, il me semble que le documentaire se suffit à lui-même. La démonstration est convaincante, et il n’y a guère de mystère dans cette histoire : non, Dick Seaman ne fut pas un Nazi ; mais son obsession pour sa propre réussite sportive en fit un propagandiste plutôt docile et complaisant des rêves de grandeur de l’Allemagne nazie. L’histoire de Dick Seaman est celle d’un homme guidé par la passion exclusive du sport automobile, et animé par la volonté de gagner et montrer sa supériorité sur les autres. C’est ce qui l’amena à rejoindre l’équipe où il y avait les meilleures voitures et les meilleurs pilotes.

Comme le montre le documentaire, c’est ce qui le perdra : à Spa Francorchamps, le 25 juin 1939, sous une pluie diluvienne, il voulait être encore plus fort que le « Rainmaster », Rudolf Carraciola. Doug Nye nous décrit fort bien cette « bulle de la réussite » dans laquelle il s’enferma ce jour-là, et qui le conduira à aller au-delà de ses propres limites. A propos de cette « bulle » qu’évoque Doug Nye, je ne peux m’empêcher de penser à ce témoignage saisissant d’Ayrton Senna décrivant un tour de qualification lors d’un Grand Prix de Monaco, lors duquel il s’aperçut qu’il ne s’appartenait plus lui-même, qu’il atteignait des limites qu’il pensait hors de portée, et qu’il entrait dans un autre monde, inconnu de ses semblables.

Première partie

Une image marquante est évidemment celle où Dick Seaman fit le salut nazi à l’occasion de sa victoire au Grand Prix d’Allemagne de 1938. En fait, il fit deux saluts nazis lors de cette célébration. Ce geste a donné lieu a beaucoup de commentaires. Mais, comme on peut le voir, il fit ce geste avec le bras replié, sans grande conviction semble-t-il, plutôt comme un geste de politesse élémentaire à l’égard de ses employeurs allemands.

Si on veut vraiment le mettre en cause sur ce plan, il faut alors être équitable, et dire que l’équipe d’Angleterre de football avait fait beaucoup mieux, et avec beaucoup plus de conviction, un mois auparavant au stade Olympique de Berlin (voir photo ci-dessous). Quant à Erica Popp, la jeune épouse allemande de Dick Seaman, elle ne semble pas avoir partagé les rêves de grandeur du Reich allemand. Au contraire, après la déclaration de guerre, elle émigra immédiatement aux Etats-Unis où elle résida jusqu’à la fin de sa vie en 1990.

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Richard Seaman
L’équipe d’Angleterre de football (en maillot blanc) à Berlin en mai 1938 lors de l’exécution de l’hymne national allemand : un geste de courtoisie (assurément mal venu) et certainement pas d’adhésion au National-Socialisme (source inconnue).

L’équipe d’Angleterre de football (en maillot blanc) à Berlin en mai 1938 lors de l’exécution de l’hymne national allemand : un geste de courtoisie (assurément mal venu) et certainement pas d’adhésion au National-Socialisme (source inconnue).

Le contexte

Il reste, me semble-t-il, à replacer l’affaire dans un contexte plus large, et notamment les mentalités et idées de l’époque. Car il n’en reste pas moins que Dick Seaman fut fasciné par l’Allemagne nazie des années 30, et notamment l’impression de puissance et d’efficacité qui en émanait. Une lettre à sa mère, datant de 1938, en témoigne : « Hitler ne supporte pas l’incurie (« Hitler stands no nonsense ») ; avec lui, il n’y aura pas de fainéants.

Tout le monde doit travailler. Par conséquent, il a refait et réorganisé le pays, et c’est pourquoi ils croient en lui et se rallient à lui. Il était temps qu’Hitler s’empare aussi de l’Autriche (mars 1938, ndr.) et les oblige à se ressaisir. La saleté, la misère et la paresse dans le pays (le Royaume Uni, ndr.) sont au-delà des mots. Tout simplement parce qu’il y a des hommes qui ne demandent rien de mieux à la vie que de rester assis toute la journée autour d’une tasse de café dans un café ! » 

On ne saurait être plus clair : sans être un Nazi, Seaman fut un vrai admirateur d’Hitler. On peut ajouter qu’il le fut en toute connaissance de cause : c’était une personne très éduquée, ouverte au monde, qui avait fait des études de sciences politiques à Cambridge. Il vivait en Allemagne et, au moment où il écrit ces lignes, en 1938, il ne pouvait plus se méprendre sur la nature du régime nazi qui était en place depuis 5 ans. Les opposants politiques étaient dans des camps de concentration, les persécutions contre les juifs avaient commencé, l’Anschluss avait eu lieu, la liberté d’expression n’existait plus, et la propagande tenait lieu d’information.

Mais il ne fut pas le seul dans ce cas, loin de là, dans son propre pays. Il y eut beaucoup d’admirateurs d’Hitler dans les démocraties des années 30. La tentation autoritaire y fut très présente, tant les régimes démocratiques apparaissaient à certains comme faibles, et en voie de dégénérescence. Pour beaucoup, la démocratie n’était plus la solution : il fallait conduire les peuples à la schlag, la seule chose qu’ils comprennent et qui les fassent avancer. Cet état d’esprit fut particulièrement présent au sein des élites britanniques dont était issu Dick Seaman.

Oswald Mosley et les sœurs Mitford furent bien sûr des cas extrêmes, mais cette sympathie pour Hitler imprégna beaucoup plus largement qu’on ne le dit les classes supérieures britanniques. Le film Les vestiges du jour (1993) de James Ivory retrace assez bien cet état d’esprit qui fut aussi, semble-t-il, celui du Duc de Windsor. Ce qui, entre parenthèses, réhabilite largement le pauvre Neville Chamberlain aux yeux de l’histoire : c’est vrai qu’il céda beaucoup à Hitler, sans doute au-delà du raisonnable, mais c’est quand même lui qui déclara la guerre à l’Allemagne nazie.

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Un homme de son temps

Dick Seaman, en plus d’être un grand champion de sport automobile, fut donc aussi un homme de son temps, partageant les idées de son époque. Mais peut-être aussi y eut-il quelque chose de plus, très caractéristique de ces années 20-30. Je ne peux en effet m’empêcher de rapprocher le cas de Seaman de celui de Jean Mermoz et de Charles Lindbergh. Toute cette époque fut traversée par cette idéologie de l’homme d’exception et cette mystique du chef, glorifiant le surhomme s’élevant, par ses exploits, au-dessus des autres hommes. Les films Le triomphe de la volonté (1935) et Les dieux du stade (1936) de Leni Riefenstahl en sont l’expression la plus éclatante et la plus achevée. La résonnance avec le surhomme aryen de l’Allemagne nazie, et l’allégeance à un Führer ou un Guide, est évidente.

Les sympathies de Charles Lindbergh avec l’Allemagne nazie est un fait bien connu, qui a définitivement terni son image aux yeux du peuple américain. Ce que l’on sait moins, c’est que Jean Mermoz fut un militant actif des Croix de Feu du colonel de la Rocque. Ce qui veut dire que, sans pour autant être un nazi ou un antisémite, il partagea l’idée d’un régime autoritaire dirigé par un chef. La « chance » de Jean Mermoz (si on peut dire), c’est d’avoir trouvé la mort en décembre 1936, en plein milieu du Front Populaire, et d’avoir été élevé au rang de héros national au moment de ses obsèques par le gouvernement de l’époque, transformant ainsi, dans la mémoire nationale, un militant d’extrême droite en héros de patronage parfaitement consensuel. 

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Deuxième partie

Dick Seaman n’eut pas cette chance. Sa mort au volant d’une voiture allemande coïncide avec la déclaration de guerre avec l’Allemagne, et sa postérité en a été durablement marquée. A un point tel qu’il tomba largement dans l’oubli dans les décennies d’après-guerre. Sur ce point, le documentaire est excellent, car il rétablit une vérité : jamais Dick Seaman, quand il fut en vie, ne fut critiqué par ses compatriotes parce qu’il conduisait une voiture allemande.

Quand il se pose des questions sur son avenir au sein de l’équipe Mercedes au début de 1939, Earl Howe, figure tutélaire du sport automobile britannique, lui conseille clairement de rester avec Mercedes « s’il le peut ». Toutes les critiques sur son comportement, qui ont été formulées après la guerre, relèvent d’une reconstruction a posteriori. Les historiens connaissent bien ce phénomène qu’ils appellent le raisonnement téléologique : on réécrit l’histoire en fonction des événements qui se sont déroulés postérieurement aux faits.

Le temps a fait son œuvre, et ce n’est qu’assez récemment qu’on s’est intéressé à nouveau à l’histoire de Dick Seaman. Des livres sur Richard Seaman ont été écrits, et la documentation sur le sujet est maintenant assez abondante (1). La vérité se fait jour, plus rien n’est occulté, et on y voit clair dans cette histoire. En définitive, Dick Seaman nous apparaît comme un homme à ce point obnubilé par sa propre réussite individuelle et sportive qu’il ne se rendit pas compte qu’il était en même temps emporté par le vent de l’histoire, et qu’il était le jouet de forces qui le dépassaient. Et même s’il s’en rendit compte (ce que laissent penser certains témoignages), ce ne fut jamais une raison suffisante pour qu’il fasse le moindre compromis avec la passion de la course qui l’habitait.

René Fiévet

Notes

(1) Pendant longtemps, il n’exista qu’une seule biographie de Richard Seaman, écrite en 1941 par son condisciple de Cambridge, le prince Chula de Thailande, qui fut aussi le mentor du prince Bira (Dick Seaman: Racing Motorist, Chakrabongse of Thailand, H.R.H Prince Chula, G.T. Foulis & Co., Ltd, 1941). Il faudra attendre 60 ans pour que les historiens se penchent à nouveau sur le sujet. On citera à cet égard Shooting Star, de Chris Nixon (Transport Bookman Publications Ltd, 2000), Dick & George : the Seaman Monkhouse Letters, de Doug Nye (Palawan Press, 2002), et plus récemment A race with love and death, de Richard Williams (Simon & Schuster Ltd, 2020). On mentionnera également l’article de Wikipedia sur Richard Seaman, étonnamment complet et contenant toutes les références bibliographiques possibles et imaginables.

Pour en savoir plus

Oswald Mosley : ici

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