Les 24 Heures de Spa fêtent leur centenaire en 2024. Mais 1964 fut une autre année capitale dans l’histoire de cette course. Car elle marqua sa renaissance sous une forme qui a fait son succès jusqu’au terme du XXème siècle.
Olivier Favre
Les 24 Heures de Spa sont nées en 1924, un an après les 24 Heures du Mans. Elles furent disputées presque sans interruption jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, avec au palmarès une nette domination d’Alfa Romeo (7 victoires en 13 courses). Relancées en 1948, un an avant les 24 Heures mancelles, elles disparaissent du calendrier après 1949, à la notable exception de 1953.
Cette année-là est créé le championnat du monde des marques incluant les « monuments » que sont les 24 Heures du Mans et les Mille Miglia. Pour constituer un calendrier consistant, les 24 Heures de Spa sont ranimées et positionnées fin juillet. Avec cette date, un peu plus d’un mois après le Mans, le circuit ardennais peut offrir l’occasion d’une « revanche » à tous les déçus et malchanceux du tour d’horloge sarthois. Et ils sont nombreux après le doublé de Jaguar, triomphant d’un plateau somptueux (Ferrari, Aston Martin, Lancia, Alfa Romeo, Gordini, Talbot, Cunningham, …), l’un des plus beaux de l’après-guerre. Hélas, hormis Ferrari et Alfa (avec une seule voiture pour Fangio), les grands constructeurs boudent le circuit spadois. Logiquement, le public est clairsemé. Il faudra attendre dix ans pour que Spa revienne dans le championnat. D’abord sur 500 km, puis à partir de 1966 sur 1000 km.
Deux hommes à la relance
Quant à des 24 Heures sur ce circuit, la formule semble désormais appartenir au passé. Jusque fin 63 quand deux hommes se mettent en tête de la relancer, sous une autre forme. L’un d’eux est très connu, il s’appelle Paul Frère. Journaliste et ingénieur, il a conclu une belle carrière de pilote en gagnant les 24 Heures du Mans trois ans plus tôt. L’autre se nomme Hubert de Harlez et est secrétaire du Royal Automobile Club de Belgique. Fort sagement, ils décident de ne pas tenter de concurrencer le Mans, ce qui serait vain. Pour éviter la comparaison, il faut trouver quelque chose qui n’est pas comparable. Le Mans étant le maître-étalon pour les protos et GT, pourquoi ne pas essayer de créer une autre course-référence, mais pour les voitures de tourisme ?
Cinq années plus tôt, en 1958, les Anglais avaient créé le British Saloon Car Championship, ouvert à diverses classes de cylindrées. Avec, chez les grosses, les Jaguar MkII 3,8 litres qui faisaient la loi. Du moins au début car peu après avaient débarqué les énormes américaines. Les Chevrolet Impala et Ford (Galaxie, Falcon et bientôt la Mustang) avaient fait parler la puissance brute. En tout cas, il y avait du spectacle. D’autant plus que les volants étaient tenus par des pointures telles que Jim Clark, Graham Hill, Roy Salvadori. Il était logique de s’en inspirer. Tout comme on pouvait s’appuyer sur l’exemple du tout récent Challenge européen des voitures de tourisme. Créé en 1963, celui-ci admettait les voitures relevant des groupes 1 (voitures de série) et 2 (de série modifiées).
Quelles cylindrées pour les 24 Heures de Spa ?
Le RACB allait donc dans le sens de l’histoire. Mais encore fallait-il se pencher sur une question qui était tout sauf un détail : quelles voitures fallait-il admettre à Spa ? Car s’il était possible de mélanger les gros V8 US et les Mini Cooper pendant une demi-heure sur un aérodrome anglais, il était beaucoup moins raisonnable d’en faire autant pendant 24 heures sur le périlleux toboggan ardennais. Finalement, après réflexion, la cylindrée minimale fut fixée à 850 cc et la maximale à 3 litres. Exeunt les américaines !
Cette formule semble bien trouvée puisque le succès se dessine dès l’officialisation des engagements. Plusieurs constructeurs inscrivent des équipes d’usine : Citroën pour la France, Lancia et Alfa Romeo pour l’Italie, Ford (via le Alan Mann Racing) et BMC chez les Britanniques. Quant à l’Allemagne, elle sera représentée par BMW et … Mercedes qui fait son retour sur les pistes après neuf ans d’absence ! (1) Mercedes qui dispose d’un moteur moderne à injection qui a fait ses preuves en course. En versions 2,2 et 3 litres, les berlines 220 et 300 SE dites « Heckflosse » (empennage) ont gagné de nombreux rallyes. De là à voir dans la limite de cylindrée une décision téléguidée par Stuttgart, il n’y avait qu’un pas. Certains n’hésitèrent pas à le franchir.
Numéros et pilotes
Autre décision des organisateurs, bienvenue pour les spectateurs : les numéros sont attribués en fonction de la cylindrée. Les plus grosses (2 à 3 litres) ont des « dossards » entre 100 et 200. Les autres classes de cylindrée s’échelonnent sur les centaines suivantes. Les « puces » (850 à 1 000 cc) arborent donc des numéros à partir de 500. Dans la même optique, le samedi 25 juillet, les 55 voitures (tiens, comme au Mans !) s’alignent devant les stands dans l’ordre décroissant de leur cylindrée. Mais là c’est plus surprenant, puisque les essais avaient dégagé une hiérarchie pas forcément calquée sur le volume des moteurs. Ainsi, c’est la Cortina Lotus 1,6 litres de John Whitmore qui a signé le meilleur temps, devant les Mercedes. Mais peu importe, à 16 heures les pilotes s’élancent vers leurs voitures. Comme au Mans, on y revient toujours !
Les pilotes justement, parlons-en un peu. Plusieurs grands constructeurs ayant répondu présent, ils ont logiquement recruté des « cadors » pour former leurs équipages. On trouve ainsi aussi bien des pilotes de renom, souvent issus des rallyes (Aaltonen, Hopkirk, Böhringer, Staepelaere, Lucien Bianchi, Verrier, Rolland, Linge, Whitmore, Gardner, Trevor Taylor, …) que des jeunes loups aux dents longues, dont plusieurs gagneront un jour cette épreuve (les frères Ickx, Pilette, Glemser, Hahne, Adamich …).
La course
On ne racontera pas en détails la course, qui se solda par la victoire d’une Mercedes. Pas de surprise donc. Pour autant, ces 24 heures ne furent pas une promenade de santé pour le constructeur de Stuttgart. Non seulement il perdit deux de ses trois 300 SE, mais celles-ci furent constamment attaquées. Par les Ford Cortina puis, surtout, par les BMW 1 800 TI. En particulier par celle d’Aaltonen-Hahne qui n’échoua qu’à un tour de la voiture victorieuse des Belges Gosselin et Crevits. Une Mercedes bien handicapée durant la seconde moitié de la course par une boîte de vitesses ayant perdu deux rapports sur cinq.
Du côté des Latins, ce fut moins flamboyant. Les Alfa furent solides (tir groupé aux 3e, 4e et 5e places) et les Citroën plus effacées. Mais c’est Lancia qui décrocha la palme de la malchance. En effet, le constructeur turinois connut une terrible série noire. Celle-ci commença dès le premier tour avec un accrochage éliminant deux coupés Zagato 1,8 litres à Masta. Puis, ce fut l’abandon de deux coupés Flaminia 2,8 litres. Enfin, le mauvais sort se mua en tragédie au début de la nuit avec l’accident mortel de Piero Frescobaldi, alors au volant de la troisième Zagato. En signe de deuil, Lancia retira le dernier coupé Flaminia de la course. Pascal Ickx, qui en partageait le volant avec Georges Harris, avait évoqué ce retrait sur CC il y a quelques années : https://www.classiccourses.fr/magazine/pascal-ickx-2e-partie-2/
Champ d’honneur
Les 24 Heures de Spa étaient bien relancées. Comme leur pendant sarthois, elles allaient s’imposer comme la course-référence de la catégorie Tourisme, celle que chaque constructeur veut gagner en priorité. Mais elles allaient aussi, hélas, s’avérer meurtrières au sens propre. Piero Frescobaldi inaugurait une triste litanie de pilotes pour lesquels cette course serait fatale. Wim Loos et Eric de Keyn (1967), Léon Dernier dit « Eldé » (1969), Raymond Mathay (1971), Hans-Peter Joisten, Roger Dubos et Massimo Larini (1973), Wim Boshuis (1975), …
Terminons ce rappel historique sur une note plus légère en signalant aux collectionneurs de miniatures que la Mercedes gagnante est annoncée pour très bientôt au 1/43. Ce sera chez Spark, dans la série spéciale que le fabricant chinois consacre aux 24 Heures de Spa à l’occasion de leur centenaire. Notons aussi qu’Ixo l’avait déjà reproduite il y a quelques années et s’était d’ailleurs racheté de son erreur d’il y a plus de 20 ans quand il l’avait sortie sous la marque Vitesse, dans une couleur complètement fausse : argent au lieu de bleu roi. Car oui, les Mercedes des 24 Heures de Spa étaient bleues avec un toit blanc ! Les mêmes couleurs que la Citroën DS de Verrier-Bertaut, qui finit 11e et que Spark vient également de sortir au 1/43.
NOTE :
(1) On se souvient que Mercedes se retira des courses sur piste à l’issue de la saison 1955. Celle-ci fut à la fois celle de son triomphe (double titre mondial en F1 avec Fangio et en endurance) et de la pire tragédie de l’histoire du sport auto (plus de 80 morts au Mans).
En bonus, quelques images de la course avec un commentaire en italien :