Guy Dhotel
2 septembre 2021

Guy Dhotel : Débuts d’un pilote de course

En ce jour de rentrée, nous sommes doublement heureux grâce à Guy Dhotel. D’un part nous le retrouvons, avec ses talents et notamment celui de se pencher – enfin – sur son parcours automobile !
Et d’autre part, il nous permet de dédier ce beau texte à tous ces enfants qui retournent en classe, en leur souhaitant de réaliser leurs rêves.

Classic Courses

Avant d’être pilote, j’ai été constructeur de voiture de course.

En 1960, à 15 ans, je décidai de devenir constructeur de voitures de course. D’abord, parce-que, en classe de seconde, les mathématiques me prouvaient que je ne disposerai pas avant 50 ans minimum des moyens nécessaires pour m’acheter une monoplace et être champion du monde de Formule 1. Ce qui aurait fait de moi le premier champion du monde de 60 ans.

Depuis quelques années, j’avais subodoré la chose, et avais commencé à couvrir d’innombrables cahiers de brouillons de dessins parfois assez réussis. Certains étaient même réalisés sur papier millimétré, c’est dire le sérieux que je mettais dans cette entreprise. Mais je butais sur un détail : la réalisation. Il fallait un châssis et je ne savais pas souder, il fallait une carrosserie et je… non plus. En gros, je ne savais rien faire que rêver devant mes dessins.

Alors que le treillis multitubulaire de la Maserati « birdcage » m’hypnotisait, un de mes cousins, un vieux qui avait au moins vingt ans, s’acheta un Kart, ou Karting. C’était un engin de pionnier, tout restait à inventer. Mon idée était faite. Il me devint évident que mes connaissances et mon maigre pécule m’orientaient vers cette nouveauté, le karting.

Celui-ci n’en était qu’à ses balbutiements, et cela paraissait un objectif parfaitement raisonnable pour un futur champion du monde de Formule 1. Je serais d’abord champion de Kart. Sur une machine de ma conception. Après des journées à plat ventre par terre dans ma chambre, à dévorer « Go Kart magazine », suivies d’heures de dessins et de plans, je brandis victorieusement le résultat : ma première œuvre était là, un « Go Kart » comme on disait alors.

Ne restait qu’à…

Eh oui, restait à concrétiser ! Point de superBrico ou autre BricoGéant alors. Mais les plombiers avaient des ateliers équipés pour souder et cintrer les tubes, et le temps et la curiosité de voir un adolescent apprendre à « se salir les mains ». Je filai donc chez le plombier qui officiait chez mes parents pour entretenir la centaine de mètres de tuyaux de chauffage central maison.

J’entrai en coup de vent dans le grand atelier, le repérai devant une machine et lui expliquai avec forces mouvements les plans de ma première voiture de course. Il arrêta les rouleaux qui tordaient lentement une ferraille devant lui, s’essuya les mains à son bleu puis, sans même regarder mon superbe plan sur papier millimétré, leva les bras au ciel en émettant sa première objection : — vos parents sont au courant ? Ce qui fut immédiatement balayé : pour la deuxième voiture que je prévoyais sortant de son atelier d’ici trois ans, dès que j’aurais mon permis de conduire, il faudrait les prévenir mais celle-ci, pensez ! Un tout petit Go Kart !

L’oeil navré

L’homme avait abandonné sa machine et regardait successivement, l’œil navré, les plans et le jeune garçon grand et maigre, « poussé en asperge », qui gigotait devant lui. Mais l’asperge avait du caractère à défaut d’avoir un centime d’avance, « la prochaine voiture de course nous permettra de nous payer ! » Nous ! Il ne manquait ni de caractère, ni de culot, le petit ! Et comme il me l’avoua longtemps après, je le faisais rire. Il se demandait jusqu’où j’irai avant d’abandonner. Je n’avais plus un sou parce que mes économies, je les avais dépensées d’abord dans un cyclo sport puis dans l’achat de deux roues avant neuves avec de superbes pneumatiques, équipées de leur axe. Leur diamètre inhabituel de 8 pouces les rendait plus chères que des roues de voiture.

Quand l’homme de l’art regarda de près mes plans, il commença par rire, puis, me voyant effondré, le plombier me tapa sur l’épaule : « On va le construire, c’t engin ! » Sans connaître Colin Chapman, mais après avoir longuement étudié les châssis d’autres karts, je m’étais arrêté à un dessin économe : un tube, la colonne vertébrale, puis deux autres tubes soudés à 90° : les essieux avant et arrières. Le tube avant était plié des deux côtés, descendant élégamment le nez de ma monoplace. Le plus gros était dessiné.

Comment je devins apprenti

Restait à articuler les roues avant. Deux fers plats pliés en U serviraient de pivot, un gros boulon passé au travers tiendrait la fusée. Fortement inclinés vers l’extérieur -j’avais déjà une idée de l’angle de pivot mais je contrôlai mal la notion de déport au sol- et incliné aussi vers l’arrière pour la chasse. A l’arrière, deux tiges filetées soudées à l’intérieur des tubes feraient les fixations de roues… que je n’avais pas. Le plombier releva les yeux du dessin, étonné par certains détails, mais cette fois résolu à m’aider. L’engin l’amusait, et en ces temps heureux, un artisan pouvait, sinon gagner des fortunes, du moins avoir le temps de se faire plaisir avec son savoir.

Dans les faits, après avoir été concepteur et dessinateur de ma voiture de course, je montais en grade en faisant quelque chose d’utile : je devins l’apprenti de Mr V… tandis que celui-ci m’expliquait, tout en se roulant tranquillement une cigarette de tabac Caporal qu’il finissait en la collant savamment d’un seul coup de langue, les mystères des diamètres de tubes, la différence basique entre brasure et soudure, les découpes en arrondis, le travail à la lime… Bref, le brave homme perdit certainement plus d’une semaine à souder, meuler, limer ce châssis qui, il n’osa jamais le dire, l’amusait bien.

Guy Dhotel
Direction directe (c) Archives Guy Dhotel

Les trésors du bric à brac

Les roues arrière ? « Ah, tu n’en as pas ? (Le vouvoiement prudent du début avait laissé la place au tutoiement normal d’un Maître avec son arpète.) Tiens petit, va dans la pièce du fond, il y a un bric-à-brac, dedans tu devrais trouver là-bas deux roues à rayons. » Je ramenai bientôt mes trophées, il les enfila sur les tiges filetées soudées selon mes plans et malgré ses objections pleines de doutes. A l’avant, les axes de roues furent soudés aux axes par des bras de direction, simples fers plats, l’épure de Jeantot soigneusement respectée.

Puis ce fut la direction. Il fallait des rotules ? « Tiens petit… » et je filais dans cette pièce capharnaüm et coffre aux trésors pour un gamin qui avait passé l’âge du Meccano. Des tiges accélérateur de tractions trainaient au sol, en attente de je ne sais quel destin ? Elles feraient l’affaire avec leurs rotules. La direction elle-même ? Un seul tube, coudé en bas pour relier les biellettes et cintré en haut pour recevoir le cercle parfait d’un autre tube cintré en forme de volant. Le même que sur la DS 19 de mon père ! D’accord, en plus rustique.

Moteur !

Quand le châssis fut fini, je rapportais sur le porte-bagage de mon cyclo-sport Paloma le moteur de ma monoplace : un grand carton contenant une mécanique complète de Mobylette. Il fallait conserver la grande poulie à variation continue ? Mr V… de plus en plus amusé, soudait une patte verticale supplémentaire qui permettait sa rotation, puis encore deux autres pattes pour fixer le bloc moteur, et puis pour un bidon de trois litres, réservoir au-dessus du moteur et sur le côté pour pouvoir démonter la bougie. Ah, le siège ! C’est vrai, je n’avais rien prévu pour cet accessoire, encore moins pour le plancher. Le plombier soudait encore quelques pattes, j’allais encore dans le capharnaüm chercher une planche de contreplaqué, puis deux autres que je sciais en oblique pour le plancher. Le pédalier, un frein et un accélérateur ? deux tubes coudés et soudés, écrasés au bout, percés, et deux câbles de vélos avec serre-câbles.

« Tiens, petit… » je ne revenais jamais mains vides. Sales, oui, mais pleines ! On put enfin poser l’engin sur ses roues et gonfler les pneus. Il fallut régler la position du moteur pour tendre la courroie primaire et la chaine secondaire et enfin démarrer. Pas plus de démarreur que de kick, il fallait pousser la bête pour la lancer. Le plombier réquisitionna quelques bras à l’annexe (à l’époque, à proximité de tout commerce respectable, se tenait un café invariablement appelé l’annexe). Il fallait pousser. L’embrayage centrifuge grinça et, après quelques soubresauts, le moteur se mit à hurler.

Déverminage

Malgré les remarques de mon ami, je n’avais pas voulu alourdir la bête d’un pot d’échappement. La première partie du pot de mob’ formait un mégaphone bien connu des anciens. Le temps de me jeter sur ma planche-siège, je pris un départ à fond devant les spectateurs sortis du bistro. L’échappement libre m’empêcha d’entendre les remarques de ceux-ci, pas question de saluer la -petite- foule, je n’avais pas trop de mes deux mains pour tenir le volant agité de soubresaut.

Au bout de la rue, lancé à environ 40 km/h, il fallut freiner. J’avais tout prévu : en tendant à rompre le câble de la pédale, le petit tambour de frein qui agissait sur la seule roue arrière motrice me ralentit suffisamment. L’atelier était à la sortie d’Amiens, au bout de la route de Paris et en hauteur par rapport au centre et à la maison des parents, première étape permettant de ramener mon bolide à l’abri des regards et des pandores. Seul, moteur hurlant, assis sur cet engin au ras du sol je déboulai dans les rues à près de 50 km/h en descente. Pas très rapide, je vous l’accorde, mais je m’étais un peu emmêlé les pinceaux dans le calcul de démultiplication. Ce serait un détail à revoir pour aligner la bête en course.

Première sortie…de route !

A un carrefour, une voiture, voyant au dernier moment ce terrible insecte hurlant et rampant sur la chaussée, fit une embardée et manqua de s’encastrer dans un camion en stationnement. Je continuai, imperturbable, les fesses agrippées à ma planche, sans entendre les imprécations laissées dans mon sillage. A un autre carrefour, je devais tourner à gauche pour éviter les rues principales mais un caniveau plus profond que les autres secoua mon Go Kart, j’entendis un « clac ! » et le volant me resta dans les mains : plus de direction ! Je finis enlisé, soulevant l’arrière d’une 2cv stationnée là par un heureux hasard et qui me servit d’abri très provisoire.

Mon kart rechignait à quitter cette tanière, ses roues avant louchaient atrocement. La panne fut facile à détecter : une rotule s’était déboitée dans le virage bosselé. Une fois remise en place, cette articulation redonna au volant sa fonction première, il me fallut aussi constater qu’à l’arrière, les roues avaient pris un contre-carrossage prévu par mon Maître et superbement ignoré : j’appris ainsi qu’une tige filetée de 8m ne fait pas un axe suffisant pour une roue qui fait levier à plus de 10cm.

Arrivée …triomphale ?

Pas le temps d’approfondir, le moteur tournait au ralenti dans une affreuse pétarade, il fallait fuir les lieux, quelques badauds s’intéressaient de trop près et annonçaient l’arrivée de la police… Longue et dernière ligne droite tout moteur hurlant, un petit bout de rue en contresens pour éviter le préposé au carrefour du mail Albert 1er et victoire ! Je franchis le portail et entrai dans la cour : j’avais rallié la maison des parents ! Ce sera la seule course de mon bolide. Le moteur fut aussitôt démonté sur ordre paternel. Je glisserai sur le traitement indigne infligé au pilote, qui ne s’en tira pas seulement avec les joues rougies.

Le châssis « Dhotel n°1 », après trois mois d’oubli et de rouille sous la bruine amiénoise, disparaitra mystérieusement un jour que je moisissais chez les Jésuites. Aucune vidéo de cette traversée d’Amiens, ne reste que ces photos d’un engin déjà privé de moteur dès le lendemain de son arrivée triomphale. Par précaution, fut la seule réponse de l’autorité paternelle. Pour les incrédules, je rappelle que la tenue assez ridicule pour mon âge était la seule autorisée par les Jésuites, invariablement Blazer-chemise blanche-cravate-bien peigné ! C’était également ma tenue de mécanicien, de préparateur de moteur de Mobylette… et de constructeur automobile.

Guy Dhotel
Constructions automobiles Dhotel & CoPhoto du pilote-constructeur posant derrière sa création (c) Archives Guy Dhotel

Qu’avez-vous fait de vos 15 ans ?

Moi, je sais ! et je savais ce que je ferais plus tard : pilote de course. D’ailleurs, J’étais déjà occupé ailleurs : un nouveau à la Providence, Hervé Bayard, me faisait des misères dans des courses de cyclo homériques, tous les jours ou presque, nous sortions comme des diables du collège de Jésuites sur nos machines « de course » : lui un Peugeot BB2 Sport, moi une Mobylette déjà modifiée par mes soins.

Plus tard, tous les engins motorisés de la création…. Les sorties de collège étaient des duels sans pitié, tous les coups étaient permis pour être devant jusqu’à l’élargissement de trajectoire pour coincer l’autre contre le trottoir. Les intérieurs au frein, angle maxi, pédales relevées, glissade sur l’humide, en limande au milieu de la circulation, et puis un geste de la main, salut ! A demain. Comment pouvais-je imaginer que, toujours grâce à Hervé, je ferais mes débuts en course moto dans le « temple » de Montlhéry ? mais ceci est une autre histoire…

Guy Dhotel

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