Nürburgring, Nürburg, Allemagne, le 3 août 1975
Hier après-midi, alors qu’un Ford Transit en bout d’heures crapahute dans le massif de l’Eifel à la recherche d’une piaule pour ses passagers, un frêle personnage blond au casque rouge déclenche les chronos depuis la tour de contrôle Conti.
Patrice Vatan
Sa Ferrari 312T/22 entame un énième tour lancé ; elle vole à Flugplatz, dévale la descente d’Adenau comme une balle de fusil, enchaîne Hohe Acht, Brunchen, Pflanzgarten sans plus broncher qu’un Solex en Sologne et passe devant son stand en un filé que nul photographe peut fixer : 6’58″6 !
Le mur des 7 minutes au Ring est crevé, plus de 194 km/h de moyenne sur un tour de ce tracé de montagne de 22,8 km tout en montées et descentes, en virages à l’aveugle, en bosses effrayantes.

Hier après-midi, alors que Niki Lauda grave la pole position le plus vite sur le vieux Nürburgring, un loustic nommé Jean Nallet conduit son Ford Transit encombré de matériel photo. C’est un pote de Jean-Michel Sacaze que ce dernier a convaincu d’emmener notre petite troupe au Grand Prix d’Allemagne.
Partis à l’arrache ce samedi à l’aube, nous sommes comme des glands à chercher un hôtel que l’on dénichera enfin à Aremberg, à 20 bornes du circuit.
Passage au bureau de presse pour retirer les pass, obtenir la grille de départ que l’on décortiquera le soir au Gasthaus autour d’un pavé de sanglier aux fruits rouges arrosé de pintes de Hannen Alt, la meilleure bière que j’aie jamais bue.

Au mitan des années 70, la F1 a atteint un tel niveau d’équilibre, de compétitivité, d’excellence que chaque Grand Prix draine des foules immenses qui en font un Woodstock graisseux.
Quelque 300 000 fanatiques ont convergé vers le Ring. Des Allemands excités par la pole de Lauda, qu’ils considèrent comme un compatriote, des Italiens qui font leur le Suisse Regazzoni, des Français en nombre espérant la première victoire de Patrick Depailler et accessoirement vibrer à la première sortie de la Shadow DN7 à moteur Matra conduite par Jean-Pierre Jarier, présente mais recluse dans le transporteur UOP Shadow à cause d’un contrat non encore signé.

Mais qui aurait parié un mark sur Jacques Laffite, à part Gilbert Monceau bien sûr, laffitiste irrécupérable qui voit son poulain dans un top team l’année prochaine ?
Et aussi cette fille au drapeau, hissée au sommet du grillage face aux stands, saluant l’inattendue deuxième place du Parisien à l’issue d’une course marquée par les crevaisons et les casses mécaniques.

Carlos Reutemann triomphe des embûches et derrière, à 1’37″7, un Laffite pourtant 17e au premier tour.
Gilbert en extase dans le Transit du retour.
La fille au drapeau, Liberté guidant le peuple version Ambrozium, je la contacterai par la suite après qu’elle a raconté sa célébrité d’un quart d’heure – due à un encart photo dans Sport Auto – dans l’Équipe.
Nous échangerons des courriers que la folie de la F1 enflammerait davantage que nos sex appeals respectifs. Lettres qui ne résisteraient pas à mon déménagement à Cosne.
Si elle me lit…

Image © Guy Royer