16 novembre 2014

François Guiter, un homme d’exception.

La réussite est faite de circonstances. Lorsqu’elles sont porteuses, elles unissent parfois  de grandes personnalités à de grands projets. Elf, « les ronds rouges », était le grand projet. François Guiter, la grande personnalité.

Patron de la publicité et de la promotion du pétrolier, l’homme a choisi le sport automobile comme principal vecteur de communication. A l’origine de la filière Elf, il a porté vers les pistes des centaines de pilotes et accompagné plusieurs constructeurs. Son engagement au cours de trois décennies à la tête de la compétition chez Elf a permis à la France de gagner partout, en F1 comme au Mans ou en rallye.  Disparu le week-end dernier à l’âge de 86 ans, il laisse un héritage sportif considérable.

Avec Pierre Ménard, nous avons pu joindre Gérad Bacle, Loïc Depailler, Jean – Pierre Jabouille, Philippe Streiff et Patrick Tambay, qui livrent à Classic COURSES leurs témoignages au sujet de l’homme auquel ils doivent une grande partie de leur carrière.

Olivier Rogar

Mais d’abord nous emprunterons à Jean-Marc Chaillet ( Les ronds rouges arrivent – souvenirs d’un chef de publicité pilote – Editions du Palmier  ), sa description du personnage :

« François Guiter , même assis derrière un bureau est quelqu’un de très imposant, il doit peser plus de 100 kilos. « quand un homme de 100 kilos parle, ceux de 60 kilos l’écoutent » a dit Michel Audiard. Ensuite, un regard : il vous capte entièrement en quelques secondes. Impossible d’y échapper. Rien ne transparait. C’est l’immobilité physique absolue qui vous impressionne. Mais on sent qu’il est capable de fondre sur vous avec une vitesse terrifiante. [….] Quand il écoute il regarde ses dossiers ( qu’il connait par cœur), pourtant de temps en temps son regard revient se poser sur celui qui est de l’autre côté du bureau : victime ou compagnon ? A mon avis, ça se joue très vite. On ne triche pas avec François Guiter. [….] Homme de réseaux, homme de fidélité, à la mémoire terrible. , homme d’honneur…un chêne    François est un homme de puissance, non de pouvoir. Il n’a jamais fait partie du staff des décideurs Elf. Hiérarchiquement d’autres étaient mieux placés que lui. Mais grâce à sa clairvoyance , sa volonté, ses intuitions fulgurantes, sa maestria et son adresse dans l’art de naviguer au sein des grands groupes, il a toujours su mettre toute son énergie à faire bouger sa société dans le sens qu’il estimait le plus favorable pour la marque. Doué d’un charme et d’un charisme « hénaurmes », c’est l’homme le plus doué dans l’art de la persuasion qu’il m’ait été donné de rencontrer. »


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Gérard Bacle – Pilote – Chef instructeur Winfield Paul Ricard

« Ma première rencontre avec Mr François Guiter eut lieu en 1972 sur le circuit Paul Ricard. Bien sûr j’avais entendu parler de lui, mais je fus très impressionné physiquement par sa stature de plongeur commando et par sa façon de parler de sa voix rauque en vous regardant droit dans les yeux, une sorte de Jean Reno… je me souviens encore d’une phrase qu’il m’avait adressée au cours d’une conversation : « si tu veux, tu peux! » m’avait-il dit…j’ai toujours gardé cela à l’esprit et me suis acharné à  la mettre en pratique tout au long de ma carrière.

De nombreux constructeurs comme Alpine, Matra, Tyrrell, Renault, Ligier…et de nombreux pilotes dont les plus connus sont Beltoise, Cevert, Stewart, Depailler, Tambay, Jabouille, Leclere, Pironi, Prost, Panis et j’en oublie sûrement, lui doivent beaucoup pour ne pas dire tout pour certains d’entre eux. Notamment les lauréats des Ecoles Winfield…car le renouveau du sport auto en France, c’est lui ! Les Français en F1 c’est lui ! Les 4 titres d’Alain Prost c’est lui !

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Une grande perte aujourd’hui parce que c’était un grand homme, mais aussi une perte le jour où il a cessé d’être actif au sein du groupe Elf…dont nous mesurons maintenant les conséquences.

Adieu Mr Guiter et merci ! « 

Loïc Depailler  – Journaliste – Pilote

Loïc Depailler

Loïc Depailler (c) DR

« J’ai croisé François Guiter lorsque j’accompagnais mon père sur les circuits. Ce qui était le cas jusqu’en 1977 ou 1978. Ils étaient très proches. Mais compte tenu de mon âge je me souviens surtout de lui après 1980. Je l’ai régulièrement rencontré jusqu’en 1989 alors qu’il était toujours à la tête de la compétition chez Elf. Et ensuite également car je suis très ami avec Arthur Boisnard qui est son neveu. Pour rappel c’est Alain Boisnard qui a réalisé les films Elf, jusqu’aux premiers essais de caméras embarquées, sous l’égide de  François Guiter.  J’ai donc cotoyé François Guiter sur les circuits et en dehors des circuits.

Pour moi c’était un homme « terrifiant ». Même une fois qu’il a pris sa retraite, c’était Dieu le père dans le milieu du sport auto. En France rien ne se passait sans son aval ou son soutien. Je pense d’ailleurs que beaucoup de gens impliqués en sport automobile, pilotes ou non, auraient souhaité  lui rendre un dernier hommage aujourd’hui. Mais sa volonté était que les choses se passent dans la plus stricte intimité. Tous les pilotes de la génération 70’s les « mousquetaires » encore vivants dont Alain Prost auraient souhaité être là. Beaucoup de monde lui devait énormément.

Comme personnalité, je dirais que de premier abord c’était quelqu’un d’intriguant. Très monolithique, assez froid, s’exprimant peu. On sentait qu’il réfléchissait, calculait, jugeait les gens autour de lui. Probablement parce qu’il était très sollicité. C’était la première impression.

En dehors du système, dans le cercle privé, c’était quelqu’un d’une gentillesse incroyable et aussi curieux que cela puisse paraître, qui marchait, je pense, beaucoup à l’affect.

Dans un sens c’est cohérent avec la fidélité dont il a fait preuve à l’égard des pilotes qu’il avait choisi de soutenir dans le cadre de la filière Elf. « 

Jean-Pierre Jabouille – Pilote F1 Tyrrell, Renault Elf , Ligier

JP Jabouille

JP Jabouille F1 Tyrrell 1972 (c) DR

François Guiter représentait quoi pour vous ?

Eh bien, pour moi et pour tous ceux de ma génération, s’il n’avait pas été là, je pense qu’il y aurait eu tous ces pilotes avec les résultats qu’ils ont fait par la suite. C’était un amoureux de la course qui a fait beaucoup de bien pour le sport automobile. Et pour Renault en particulier : s’il n’y avait pas eu Guiter, il n’y aurait pas eu de F1 Renault. Lui et Terramorsi ont remué leur entreprise pour aller en F1 avec le moteur turbo. A part mes débuts en F3 avec Esso, j’ai fait toute ma carrière avec Elf, et donc François Guiter.

C’est lui qui vous place chez Tyrrell pour vos débuts en F1 au Grand Prix de France 1975 ?

Oui, c’était lui. Je m’en rappelle très bien : Jody Scheckter et Patrick Depailler étaient sur les voitures d’usine, moi j’avais la troisième voiture. La même, mais le limiteur avec 500 t/m de moins que Jody et Patrick. En course, je me battais avec Ronnie Peterson et, à l’aspiration sur le longue ligne droite du Mistral, je le rejoignais mais je rentrais dans le limiteur et je n’arrivais pas à le doubler. C’était mes débuts dans la F1 Elf-Tyrrell !

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Au niveau caractère, il était comment ?
Il pouvait se mettre en colère, mais se montrer aussi très diplomate. Et d’une grande ténacité pour arriver au but qu’il s’était fixé. C’était un homme de caractère.

Philippe Streiff  – Pilote F1 Renault Elf , Ligier, Tyrrell, Ags

Philippe Streiff

Philippe Streiff (c) DR

« Je rêvais de devenir pilote Elf, comme Patrick Tambay l’avait été et comme Alain Prost qui étaient un peu mes idoles. Je me suis donc inscrit courant 1977 à l’école Winfield. Mon cas était particulier car l’année précédente, fin 1976 j’avais gagné le Volant Ledenon de Jean-Pierre Beltoise. Cela donnait droit à une saison, en 1977, en Coupe de l’Avenir avec des barquettes sur base Simca 1000 Rallye 2. Je soumets donc le problème à Winfield pour savoir si faire leur volant n’était pas incompatible avec mon statut et l’expérience qui en résultait.  Ils me confirment que seuls les pilotes ayant déjà couru en monoplace sont exclus de l’attribution du Volant. Mais finalement ils m’excluent de la finale à cause de mon expérience et me remboursent. Entretemps je gagne le volant Motul à Nogaro.

Je remporte avec cette voiture rouge la course de Formule Renault qui se déroule en prologue du Grand Prix de France de Formule 1 en 1978 au Castellet. Au pied du podium je vois la responsable des huiles Elf Valérie Joncqueira.  Elle était au courant de mes déboires avec Winfield. Elle me confirme que François Guiter avait vu ma course. Et, me conduit au Motor-home Elf dans lequel il me reçoit.  Il est dans un gros fauteuil de cuir. C’est le Pacha. Je suis très impressionné. Il me demande de lui raconter mon histoire – dont il avait entendu parler – et me dit : « Vous gagnez aujourd’hui,  sous les couleurs Motul, c’est dommage. Je suis là pour aider les jeunes pilotes français prometteurs, si un jour vous perdez Motul, je vous récupèrerai dans la filière Elf. » Je ne sais pas si te rends compte.  Chez Elf c’était très dur, ils étaient intransigeants, il y avait une saison pour apprendre et une saison pour gagner. Et donc François Guiter me fait cette promesse.

Et le plus important c’est qu’il l’a tenue. Je gagne le championnat de France de F3, toujours sous les couleurs Motul, mettant un terme à la série ininterrompue des victoires Oreca dans ce championnat. Motul sponsorise AGS en F2. Et je suis intégré dans cette écurie en 1982. En fin de saison François Guiter a décidé de faire un « Gros » Volant Elf avec la F1 de Prost. Les cinq espoirs français sont convoqués, Alliot, Ferté, Schlesser notamment et moi. La voiture de Prost n’a plus de jupes et un fond plat. Nouvelle réglementation oblige. Voiture inconduisible. On tournait en 1’12’’ alors qu’avec ma F2 je tournais en 1’08’’ et je réalise le meilleur temps à 7 /10 du temps de référence de Prost.

Mais juste après, Motul quitte AGS. Je me suis souvenu de ce m’avait dit François Guiter, et j’ai recontacté Elf par l’intermédiaire de Jean Marie Dumazet. D’un côté suite au test je suis devenu pilote d’essai Renault Elf ( Une première en F1) et de l’autre côté ils ont sponsorisé AGS en F2. A partir de là, François Guiter a toujours été présent et m’a toujours aidé, chez AGS en F3000, chez Ligier, Tyrrell et AGS en F1.

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Un grand Monsieur auquel je dois ma carrière en F1.

RIP François…  »

Patrick Tambay – Pilote F1 Surtees, Ensign, Ligier, Theodore, Ferrari, Renault, Lola

Patrick Tambay

Tambay Elf 1972 (c) DR

« Première rencontre : François Guiter était un ami de mon beau frère, Jean-Pierre Charvoz, le mari de ma sœur ainée. Il était également nageur de combat. Plus tard, dans la vie civile tous deux sont repartis dans une activité qui était leur passion. Entre la spéléologie, le canyonning ; ils descendaient des gorges, allaient à la découverte de grottes, de cavernes, de vastes cathédrales souterraines, ils devaient y accéder par des plongées en apnée et filmaient leurs aventures, dans l’esprit d’un Ushuaia avant la lettre. Ils en ont fait un film « Les eaux sauvages ». A la fin du tournage, ils sont sortis du Verdon dans une clairière, à proximité d’un pont où un enfant de 10 ans était en train de pêcher. Inutile de décrire la panique du garçonn, se retrouvant avec quatre personnes sortant du Verdon de façon totalement inattendue, vêtus de combinaisons de plongée noires avec leurs sacs étanches et leur matériel. Il est parti en courant trouver refuge au village ! Et ce garçon, c’était moi. Le cinéaste c’était Alain Boisnard. »

« Seconde rencontre : Douze ans plus tard, j’ai fait l’école de pilotage Elf au Paul Ricard. Je n’avais que l’intention d’apprendre à conduire car dans mon esprit, la vraie école de pilotage, c’était Shell à Magny Cours. L’usine à champions. J’étais étudiant aux Usa. Je suis rentré car j’étais sélectionné pour la phase finale. Le jour de la finale, un gros, immense, énorme Monsieur qui était le patron du truc, me dit «  Tambay, je connais très, très bien votre beau frère ! » Bien, merci Monsieur, je le saluerai de votre part. Je cours la finale et la gagne. Monsieur Guiter : « vous allez continuer vos études ou rester avec nous ?  » Moi : « Je vais faire ça pendant un an, Monsieur Guiter et je verrai à la fin de la saison ce que vous choisirez de me faire faire. »

« Autres rencontres clés : J’ai fait deux années de Formule Renault en 1972 et 1973. Et comme ensuite ils voulaient me faire faire de la F3, qui pour moi était un championnat moribond, je lui ai demandé rendez-vous. La rencontre a eu lieu au Castellet à l’hôtellerie « l’Ile Rousse ». J’ai plaidé ma cause pour aller directement en F2. Il n’était pas très chaud mais m’a finalement suivi dans mes souhaits. J’ai donc fait de la F2 de 1974 à 1976. Et là, nouvelle réunion  avec François Guiter pour continuer en F2 avec Arnoux. Mais moi je voulais faire de la F1. Ce qui n’était  pas dans leurs intentions pour moi. Mais il m’a promis 150 000 FRF si je trouvais de mon côté un budget pour aller en F1.  A cette époque je rencontre Teddy Yip, je gagne en Can Am, je remets tout ce que j’ai gagné, les budgets Elf et Marlboro ainsi qu’un sponsoring privé moins important pour courir avec l’Ensign en F1. Je l’explique à Guiter qui me dit « Vous savez ce que vous faites ? »… Ensuite j’ai été à nouveau sous les couleurs de Elf quand je suis revenu chez Renault en 1984. »

« J’ai rencontré dans ma vie deux personnes qui m’ont fait le même effet et qui représentaient pour moi l’autorité naturelle absolue : Enzo Ferrari et François Guiter. »

Propos recueillis par :

Gérard Bacle : Olivier Rogar
Loïc Depailler : Oliver Rogar
Jean-Pierre Jabouille : Pierre Ménard
Philippe Streiff : Olivier Rogar
Patrick Tambay : Olivier Rogar
 

Illustrations @ DR

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