De la naissance d’une vocation : hasard, passion et audace. Si on ajoute talent et énergie, on atteint très vite, voire précocément, son orbite gravitationnelle. Tel un Moitessier continuant, sans fin, son tour du monde en solitaire. Certains d’entre nous savent aborder avec grâce les choses de la vie…

Classic COURSES

 

Quand mes camarades Marc et Rémi Bonnefous m’invitèrent à assister au Grand Prix de Pau F2 en 1968, ils n’imaginaient pas que toute ma vie serait marquée par cette après-midi-là. J’avais 11 ans. Je suis tombé amoureux du sport automobile, pour toujours. D’abord il y avait l’odeur, si spéciale, de l’huile de ricin grillée. Il y avait aussi ces moteurs, qui sifflaient comme des sirènes et résonnaient dans toute la ville, spécialement dans mes dents et mes entrailles qui vibraient grave au passage de chaque monoplace. Jean-Pierre Beltoise termina 3e sur sa Matra et devint mon nouveau héros.

L’année d’après, dans la même tribune, avec les même amis, j’étais déjà devenu un spécialiste à force de lire (gratuitement, dans une Maison de la presse) toutes les gazettes consacrées à la compétition. « Regarde ! » me lança le père de mes camarades, avisant deux jeunes gens qui discutaient en face de nous devant les stands. « C’est Beltoise qui parle avec Servoz-Gavin ! » J’étais assez insolent à l’époque, mais je ne m’en rendais pas compte. « Vous n’y connaissez rien,  j’ai répondu. Ce n’est pas du tout Servoz qui parle avec Beltoise, c’est Johnny Rives, l’envoyé spécial de l’Equipe ! » A partir de ce moment, dans la tribune, chaque fois que quelqu’un faisait un commentaire, il lançait vers moi un regard en coin, pour voir si j’opinais. Je n’étais pas peu fier.

 

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Bien des années plus tard, mon ami Gilles Virmoux, fils de l’ancien patron du Grand prix de Pau, m’apprit que les dieux de la course, Graham Hill en tête, négociaient férocément le cacheton pour se produire devant nous. Le journaliste Gérard Crombac me confirma à demi-mot cette information, m’indiquant qu’il était chargé de composer les plateaux des Trophées de France, carnet de chèque à la main pour attirer ses copains anglais. Graham Hill m’a fait un grand clin d’œil quand je lui ai demandé un autographe l’une de ces années-là. Il ne volait pas son pognon !

J’ai rapidement rangé les gens dans deux catégories : ceux qui aimaient le sport automobile et les autres. Ces derniers, bien entendu, ne méritaient strictement aucune considération. A dire vrai, nous naviguions aux frontières de l’autisme. Moi, je l’ai déjà avoué, j’étais maboul de Beltoise et ne m’intéressais vraiment qu’à ses courses. Xavier Chimits ne jurait que par Stewart, ce qui provoquait de grands débats entre nous. Yves Soucasse, un peu mytho, s’inventait une amitié personnelle avec Jacky Ickx. Un autre copain, dont le nom m’échappe, mais dont je n’oublierai jamais qu’il m’a prêté sa Honda 350 toute neuve, un monstre pour l’époque, voyait carrément en Vern Shuppan le meilleur pilote du monde, allez savoir pourquoi, et il récitait son palmarès interminablement. Eric Thérenty avait parlé 30 secondes avec Roger Williamson, qui était devenu instantanément son idole. Williamson,  j’en suis témoin, avait simplement demandé à notre copain où se nichaient les discothèques de la ville. Depuis, pendant des semaines entières, Thérenty nous a bassiné les tympans avec son Rodgeur. Pierre Gaston, c’était pire, ou mieux encore. Son favori à lui, c’était Michel Rechède, un adorable mais obscur pilote de Formule Renault ou Formule France, je ne sais plus très bien. Obscur assurément, palois surtout. Croupier au casino de Pau dans le civil. C’est le bon  Gaston gascon qui avait le mieux choisi : son héros était très accessible toute l’année et Gaston devint plus ou moins son mécanicien. Shuppan, par contre, mauvaise pioche, il n’avait jamais mis les pieds à Pau, ignorant sans doute qu’il y comptait un fan. En 1972, quand j’ai croisé le jeune et chevelu Jody Scheckter par hasard dans les rues de la ville, le pilote sud-africain était réellement interloqué que je le reconnaisse. Rédacteur en chef de Grand Prix International, je l’ai retrouvé beaucoup plus tard en Formule 1,  l’année de son sacre (1979). Il se souvenait parfaitement de cette anecdote paloise, à l’heure de ses débuts en F2 sur une McLaren qu’il avait du mal à qualifier.

Après l’autisme, nous avons frisé la correctionnelle. Nous avions approché les frères Bochet, devenus nos véritables maîtres à penser. Maxime tenait la dragée haute à Jacques Laffite, Patrick Tambay ou Didier Pironi en Formule Renault, à tel point qu’Elf l’avait incorporé à sa brillante filière. Classé 5e de sa première course de F2 à Nogaro, Maxime n’allait pas tarder à rejoindre Beltoise et Cevert en F1, nous en étions persuadés. Un destin tout aussi brillant était promis à son cadet Philippe, champion de France de Mep et pilote officiel Hampe en F. Renault. Je n’ai rien trouvé mieux que de piquer la voiture de ma mère à la première occasion, pour partir voir courir les frères Bochet, à Rouen, ou à Dijon, ou les deux à la suite. J’avais embarqué dans l’aventure Xavier Chimits, ravi de l’aubaine. Roselyne Daum, la fiancée de Philippe Bochet, devint blême en nous voyant débarquer un matin de course dans la VW maternelle (j’avais alors 16 ans, Xavier un an de moins). Nous avions traversé la France toute la nuit pour voir courir nos héros palois. Roselyne nous a passé une mémorable avoinée. Xavier reprit sagement le train, tandis que je poursuivais imperturbablement ma route vers… Cannes pour interviewer Patrick Tambay, tout juste promu en F2. Revenu à Pau, j’ai envoyé l’article à Etienne Moity, qui l’a publié sur huit pages dans Scratch (l’ancêtre d’auto-Hedbo). Quand je lui ai téléphoné, Moity m’a d’abord envoyé paître. Casse-bonbon, je l’ai rappelé le lendemain pour lui dire qu’il n’avait pas le droit de refuser mon article sans l’avoir lu. Du coup, il a accepté de le lire puis de le publier. Je ne doutais de rien !

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A Cannes chez Tambay, avec ses potes, un soir on est allé faire du kart. Bien entendu, j’ai voulu faire le malin, et j’ai fini par me retourner, m’infligeant au passage quelques pizzas monumentales aux mains, aux coudes et aux genoux. C’est donc ensanglanté, sans le permis mais heureux comme un prince, que j’ai achevé mon périple d’au moins3000 km, non sans avoir pris entre Cannes et Pau deux jolies auto-stoppeuses. Elles étaient très nombreuses à l’époque. Ces deux-là me regardaient quand même bizarrement.

 A part les Bochet, il est vite apparu que nous conduisions comme des sandales. Dès que j’ai eu le permis, je me suis empressé de faire un tonneau au volant d’une  Alfa Roméo 2 litresGT en Adour-Océan. Pierre Gaston a cassé plus tard une Porsche à Rouen dans la descente terrible vers le Nouveau-monde. Nous ne faisions pas les choses à moitié ! Chimits n’a jamais taquiné que la 4L de sa mère, passant tout de même sur trois roues la « chicane » de la Route de Tarbes, non sans escalader parfois la bordure. Bref, le volant ne nous réussissant pas vraiment, nous sommes devenus journalistes. D’ailleurs nous l’étions déjà, pour entrer gratuitement sur les circuits avec une carte de presse, que nous avons d’abord découpée en deux ou trois parties, selon précisément que nous étions deux ou trois ! Chimits cultivait sa plume flamboyante dans les colonnes de Sud-Ouest. Pierre Gaston traquait les confidences de la ville lors des 3ème mi-temps de rugby, et les livrait savoureusement dans un hebdo local, nommé Playtime si ma mémoire est bonne.

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Quant à moi, avec mon magnéto reçu à Noël, encore lycéen, je suis allé interviewer Jean-Pierre Beltoise, alors à son apogée, peu après sa victoire à Monaco. Lequel Beltoise, magnifique, m’a accordé un entretien d’une heure, vous vous rendez compte ? J’aime autant vous dire que j’ai léché ma plume pour rédiger les propos de mon héros sans en changer un mot. Dès qu’il m’a revu à Nogaro, quelques mois plus tard, JPB m’a chaleureusement félicité pour mon papier, devant Jabouille, Depailler, et d’autres encore. Le fidèle Chimits assistait à la scène, et m’a fait remarquer qu’un compliment de Beltoise valait de l’or, tant il y avait à l’époque d’articles qui lui étaient consacrés. Je suis resté impassible, mais dans ma tête, je faisais le paon, croyez-moi !

M’enhardissant, j’ai invité Jacques Laffite à La République des Pyrénées, le soir de sa victoire à Pau (1975 je crois). Le lundi matin, j’étais en photo à la Une du canard local, mais je retournais dans une boite à bac à Orthez, car mon bac (obtenu tout de même en trois ans) passait largement après le sport automobile, ce qui n’arrangeait pas mes rapports avec mes parents. Xavier Chimits, lui, parvint à concilier brillamment passion et études, franchissant les étapes sans coup férir jusqu’à Sciences-Po Paris.

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Je découvrais la vie,  ignorant jusque là que les salles de presse existaient. Sur le paddock palois, en 1973 ou 1974, je me suis hasardé un jour dans un grand bureau où tous les journalistes entraient, une machine à écrire à la main. Evidemment, l’air de rien, je me suis pointé. Johnny Rives et Jean-Louis Moncet m’ont regardé de loin en rigolant, ils ont sans doute eu pitié de mon air d’oiseau perdu, et ils m’ont ménagé une petite place auprès d’eux, devenant ainsi mes parrains dans la presse sportive automobile. Là, ça partait pour de bon !

 

Eric BHAT

 

Photos et documents @ Eric Bhat

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