31 janvier 2018

Colin Chapman et sa part d’ombre (1e Partie)

Le documentaire que je vous propose ici est déjà ancien. Il a été diffusé en 1997 par la chaîne de télévision britannique Channel 4. Le titre est un peu trompeur, car il s’agit d’un épisode d’une série télévisée portant un titre générique : « The secret life of … » (par exemple : the secret life of animals, the secret life of prisons, etc.). Par conséquent, il ne s’agit pas à proprement parler d’une quelconque vie secrète de Colin Chapman, mais plutôt de l’envers du décor, cette face cachée de la vie d’un homme qui, très souvent, explique en partie son exceptionnelle réussite. Autant dire que le principe même de ce genre de documentaire repose sur un parti pris un peu systématique : montrer la face cachée des choses et, si possible, déboulonner la statue quand il s’agit d’une personnalité éminente. Il faut donc regarder ce documentaire en gardant à l’esprit ce choix éditorial.

René Fiévet

1ère partie : des bolides et des hommes

Colin Chapman : « Mario, je veux toujours construire la voiture la plus légère possible. »

Mario Andretti : « Et moi, je veux vivre le plus longtemps possible. Je pense qu’il faut qu’on discute tous les deux. »

(Karl Ludvigsen, Colin Chapman, Inside the innovator, Haynes Publishing UK, 2010)

Ce documentaire est divisé en deux parties, à partir d’une scission chronologique très claire. Dans une première partie, on décrit d’abord l’ascension jusqu’au sommet de Colin Chapman, avec la description d’un ingénieur/entrepreneur immensément doué certes, mais qui n’hésite pas devant les moyens pour parvenir à ses fins, et qui apparaît, il faut bien le dire, sous des traits parfois peu sympathiques. En particulier, ceux d’un homme peu préoccupé de la sécurité de ses pilotes. Cette première partie apporte de nombreux témoignages en ce sens. La seconde partie traite plutôt du Chapman de la maturité, au moment où le sport devient un « big business ». Il y sera beaucoup question de l’affaire De Lorean mais aussi, de façon plus inattendue, du déclin mental de Chapman qui n’était plus, à la fin de sa vie, l’homme qu’il avait été.

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1ère partie (1) :

Ce documentaire fait parler des personnes qui, pour certaines d’entre elles, sont maintenant décédées : Tony Rudd en 2003, Graham Arnold en 2004, Tim Enwright en 2007. Ces deux derniers apportent des témoignages précieux sur l’homme privé. Parmi les journalistes interrogés, j’ai plus particulièrement noté les interventions de Keith Botsford (toujours vivant), qui s’exprime avec le brio d’un professeur d’université. Je ne le connaissais absolument pas alors que sa biographie montre qu’il a écrit sur le sport automobile des livres qui ont retenu l’attention, notamment une biographie d’Alan Jones saluée par la critique. Nul doute que Johnny Rives pourrait nous en dire plus sur Keith Botsford qu’il a forcément croisé dans les paddocks (1).

Pour ce qui concerne la carrière sportive de Colin Chapman, Je pense que cette première partie ne va pas apprendre beaucoup de choses aux lecteurs de Classic Courses. Mais elle nous en apprend sur l’homme, et sur son époque. Je retiens plus particulièrement trois aspects.

Sur la question de la sécurité de ses voitures, le documentaire fournit une version des faits quasi unilatérale, et corroborée par tous les intervenants, notamment Tony Rudd et Stirling Moss. L’anecdote rapportée par Tony Rudd est saisissante : une carte murale pliée en plusieurs parties, recouverte d’aluminium, percée de quelques trous pour laisser passer les câbles et tuyaux, et présentée aux commissaires comme une cloison non inflammable. Incidemment, il est étonnant de constater que le documentaire ne cite pas, à l’appui de sa démonstration, le cas du pilote Mike Taylor, grièvement blessé à Spa en 1960 à la suite d’un bris de colonne de direction de sa Lotus 18. Ce dernier fit un procès à Colin Chapman qui fut condamné par la justice britannique.

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Sur un plan plus sociologique, on notera une description, que je pense assez réaliste, des relations hommes-femmes dans les années 60/70. On nous apprend que Chapman avait une maîtresse (et peut-être même plusieurs), qu’il exhibait non pas tant comme la marque de sa masculinité triomphante mais plutôt comme un signe de réussite sociale. Graham Arnold nous dit que c’était une pratique assez courante dans ce milieu, et que lui aussi faisait de même.  Il est vrai qu’à cette époque, le paroxysme de la masculinité était représenté par le personnage de James Bond 007, interprété par Sean Connery : un homme « couvert de femmes », passant de l’une à l’autre avec aisance, désinvolture, et une absence presque totale de sentimentalité. C’était une autre époque. Depuis, il me semble que les femmes se sont rebiffées, et les choses ont bien changé : quand il voit passer une jolie femme dans la rue, l’homme du 21ème siècle détourne les yeux, regarde ses chaussures, ou consulte son smartphone. C’est plus prudent.

1ère partie (2) :

Enfin, ce documentaire fournit une information intéressante sur la relation technique qui unissait Clark et Chapman. Jim Clark a laissé l’image d’un pur talent, totalement intuitif. Jacky Stewart nous dit qu’il n’avait peut-être même pas conscience de ce qu’il faisait (« he was almost unaware of what he was doing »). Quant à Jack Brabham, il déclara un jour que c’était peut-être son habileté qui l’avait tué, suggérant que Jim Clark à Hockenheim avait corrigé instinctivement le comportement de sa voiture sans se rendre compte de la crevaison lente qui affectait un de ses pneus. Colin Chapman nous présente une vision des choses assez différente, décrivant un Jim Clark doté d’un intellect élevé et capable non seulement de parfaitement bien analyser le comportement de sa voiture, mais aussi de le formuler de façon suffisamment claire pour Colin Chapman. « Je comprenais exactement tout ce qu’il voulait, et il comprenait exactement tout ce que je voulais dire quand on discutait sur un sujet, » nous dit Chapman, laissant entendre que dans le domaine de la mise au point du véhicule, une relation d’égal à égal s’était établie entre les deux hommes. Ce qui fut loin d’être le cas pour les autres pilotes de Lotus, sauf peut-être Mario Andretti avec lequel Chapman entretient une fructueuse relation technique. Cette capacité analytique de Jim Clark explique probablement pourquoi il réussit à remporter plusieurs Grand Prix alors que sa voiture était affligée en fin de course de graves problèmes techniques (par exemple au Grand Prix de France en 1963 ou au Grand Prix de Grande Bretagne en 1965).

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La fin de cette première partie se termine par la mort de Clark à Hockenheim en avril 1968. C’est aussi la fin d’une époque : les sponsors font leur apparition, et l’argent commence à devenir une préoccupation dominante pour Chapman et pour le sport automobile en général. Il en sera beaucoup question lors de la deuxième partie.

René Fiévet

(traduction et inscription des sous titres par René Fiévet)

A suivre :

L’argent, l’affaire De Lorean, et la fin : Colin Chapman et sa part d’ombre (2eme partie)

Note :

  • Keith Botsford est un homme aux multiples talents : universitaire, journaliste, romancier, chroniqueur politique, compositeur de musique, polyglotte. Il parle le français à la perfection et a même été le traducteur de l’Histoire de la Révolution française de Jules Michelet. Il a écrit trois livres sur la Formule 1 : « Driving ambition» en 1981, en collaboration avec Alan Jones, « Keke » en 1985, et « The Champions of Formula 1 » en 1989.

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