Fin d’après-midi de samedi, veille du Grand Prix. Les clameurs se sont tues, sinon les accents western de la bluffante caravane Marlboro qui parcourt la Principauté.
Cloîtré au paddock où j’ai accédé depuis une porte laissée ouverte de l’usine des machines à café Conti qui le surplombe, je tombe sur le quintuple vainqueur du Grand Prix de Monaco qui vient d’échouer à se qualifier pour la première fois de sa carrière : Graham Hill.
Patrice Vatan
Guy Royer, non loin, l’immortalise sur acétate. Il avait peu avant photographié ce qui resterait l’une de ses dernières actions en piste, sur le mulet Lola 370.

Le double champion du monde est assis devant son motorhome rouge et blanc aux couleurs des cigarettes Embassy. Il annonce d’une voix à peine audible au Nagra brandi par Giorgio Piola que les espoirs de son écurie sont maintenant concentrés sur son nouveau protégé, son jeune compatriote Tony Brise.
Extraordinaire portrait d’un homme qui, a 46 ans, vient de décider de mettre un terme à une série de 176 Grands Prix.
Stupéfiant Graham Hill dont la carrière longue de 18 saisons, entamée en 1958 à l’ère des autos à moteur avant, au volant d’autobus et aux roues de vélos, fait la jonction avec l’époque moderne.
Seul détenteur absolu de la Triple Couronne, soit le fait de remporter le Grand Prix de Monaco, les 24 Heures du Mans et les 500 miles d’Indianapolis.

Un demi-siècle plus tard, un horloger au goût sûr, Montres Arpiem, créerait un garde-temps lui rendant hommage, auquel je ne saurais résister.
Les clameurs se sont tues.
Allongé sur le lit d’une chambre au rez-de-chaussée de l’hôtel Méditerranée, un palace rococo érigé à Menton au milieu du XIXe siècle, délicieusement suranné, je rêvasse. Des senteurs de citron se faufilent par la fenêtre à demi ouverte.

J’épluche la grille de départ obtenue au bureau de presse, contresignée par celui qui est devenu mon meilleur ennemi, Robert Sobra, depuis qu’il a répondu par une fin de non-recevoir à ma demande d’accréditation.

Lauda est en pole, seul sur sa ligne car la grille de départ est décalée. « Nice-Matin » annonce un peu de pluie à l’heure du départ de la course, 15 h 30, ce qui pourrait profiter à Peterson, 4e temps sur l’antédiluvienne Lotus 72, mais efficace sur ce tracé lent.

Si l’Autrichien amène sa 312 T au drapeau à damier, Ferrari renouera avec une victoire qui lui échappe ici depuis celle de Maurice Trintignant en 1955…
M’en revient en mémoire la célèbre illustration ornant la couverture du livre de Pétoulet, « Pilote de courses ».

L’esprit s’emballe comme un cheval sauvage rétif à la logique et la domestication. Il enjambe la grosse journée de demain, s’agrippe à Pau. C’est le week-end prochain. Ai-je bien reçu la confirmation de l’hôtel Béarn ?
Image © Guy Royer