Au chevet de la Scuderia
26/12/2025

Au chevet de la Scuderia

Présente depuis la nuit des temps sur les circuits de Formule 1, la Scuderia Ferrari représente l’archétype de l’équipe mythique que tout pilote rêve un jour d’intégrer. Et pourtant, le colosse a souvent eu du mal à se maintenir sur ses pieds d’argile et il fallut faire appel à maintes reprises aux champions les plus en vue pour redresser une situation périlleuse. Certains réussirent, mais beaucoup y laissèrent le casque et les gants.

Pierre Ménard

Alberto Ascari, le premier couronné à la Scuderia © The Cahier Archive

Si l’on excepte l’épreuve inaugurale du tout premier championnat du monde de Formule 1 en 1950, le Grand Prix de Grande-Bretagne où Ferrari n’avait pas envoyé de monoplaces, la Scuderia était présente dès la course suivante à Monaco. Elle était toujours à pied d’œuvre au Grand Prix d’Abou Dhabi il y a quelques jours. Aucune autre écurie ne peut revendiquer une aussi longue existence et surtout aucune ne peut se targuer d’avoir vécu ces 75 années au plus haut niveau. Au plus haut ? C’est ce que les esprits exaltés aimeraient retenir. Mais c’est aussi un paradoxe de constater que cette monumentale institution ait eu autant besoin d’attirer les plus grands de leur époque pour sauver le chef d’œuvre en péril.

L’énigme Hamilton

Le dernier appelé à s’y coller fut Lewis Hamilton. Rien moins que le pilote le plus titré de tous les temps. Le plus charismatique aussi, notion beaucoup plus importante qu’on ne voudrait le croire pour fédérer une équipe derrière soi. Il est encore bien trop tôt pour tirer un bilan définitif de l’action de l’Anglais chez les Transalpins, mais force est de constater que l’exercice 2025 ne plaide pas en sa faveur. On sera même plus direct : parmi les stars engagées pour sauver Maranello, il présente le plus mauvais bilan : aucune victoire, aucun podium !

En 2025, les difficultés de la Scuderia semblèrent parfois glisser sur Lewis Hamilton © DR

Pire ! À l’inverse de ses plus illustres prédécesseurs, il adopta une attitude étrangement fataliste où la fameuse qualité de fédérateur évoquée plus haut fut incroyablement absente. Même Alain Prost lors de la pénible saison 1991 montra plus de cœur à l’ouvrage que l’actuel leader de la Scuderia. Comme toujours dans ce genre de problème, la solution ne tient pas en une seule pièce – ce serait tellement simple – mais en une grande recette qui prend, ou ne prend pas. La SF-25 de 2025 est certainement une des productions les moins réussies de ces dernières années, mais d’autres avant Lewis durent composer avec un matériel médiocre à améliorer.

La maison en feu

Alberto Ascari fut le premier champion de la Scuderia, en 1952 et 1953. Les 500 F2 dominaient la concurrence et… tout allait bien ! Puis arrivèrent des modèles plus aléatoires, rendus d’autant moins performants par une adversité de qualité, Mercedes pour ne pas la nommer. Fin 1955, Ferrari se retrouva dans une grande impasse technologique et financière. La maison était en feu (déjà !) et il fallait agir d’urgence ! Deux apports furent déterminants dans le sauvetage de la vénérable institution modénaise : le « cadeau » des Lancia D50 au Commendatore, assorti d’un bon paquet de lires du gouvernement italien, et l’arrivée dans l’écurie du champion incontesté Juan Manuel Fangio. Les D50 devenues Ferrari-Lancia se révélèrent d’excellentes voitures, ce qu’on avait subodoré en 1955, et le maestro argentin remplit sa mission en ramenant la couronne mondiale à Maranello, bien aidé par ses coéquipiers Castellotti, Musso et surtout Collins.

En 1956, Fangio ramena le titre à la Scuderia. Mais son entente avec Enzo Ferrari fut loin d’être optimale et le Maestro préféra rejoindre Maserati en 1957 © DR

Sans dominer outrageusement les années suivantes, Ferrari réussit à grapiller de nouveaux titres, 1958 et 1961. Et… tout allait bien. Sauf que fin 1961, une énorme crise interne faillit faire exploser le déjà mythique édifice : les principaux cadres quittèrent l’auguste maison en gonflant le torse et Enzo Ferrari se retrouva avec une équipe décimée. Ne restait plus qu’un jeune technicien à l’air perpétuellement dans la lune. « C’est toi qui vas tout diriger », annonça clairement le maître de céans à un Mauro Forghieri éberlué. Pour tenir le volant de la nouvelle création du frais émoulu directeur technique, on ne fit pas appel à une grande vedette, mais à un pilote prometteur. En deux saisons, John Surtees ramena la Scuderia sur le devant de la scène : ce fut très juste, mais au terme du Grand prix du Mexique 1964, l’Anglais devenait champion du monde et l’écurie remportait la Coupe des Constructeurs. Puis, un trou de plus de dix ans !

En devenant champion du monde en 1964, John Surtees gagna le titre honorifique de « Il grande Surtess » dans le cœur de tous les tifosi © DR

La renaissance

Lorsque le peu expérimenté Niki Lauda visita la première fois l’usine de Maranello et surtout la piste d’essais de Fiorano, il fut sidéré : comment, avec un matériel pareil et une technologie aussi avancée, Ferrari n’était-il pas champion chaque saison ? Il y avait eu des égarements techniques, notamment avec les monoplaces V12 de la fin des années soixante, de grosses erreurs de développement sur la pourtant prometteuse lignée des 312B à partir de 1970, mais le fait demeurait, infamant : Ferrari n’avait plus rien gagné depuis ces titres de 1964 ! Accompagné par son compère et ami Clay Regazzoni, Lauda ne débarqua pas en sauveur – lui-même était sauvé par Ferrari qui lui donnait la chance de sa vie – mais il le deviendrait par son travail et son talent de metteur au point. Ces deux qualités n’auraient été que de peu d’effets sans la présence providentielle d’un jeune directeur nommé par le propriétaire de FIAT, Giovanni Agnelli, excédé par la litanie de contreperformances de la Scuderia.

Niki Lauda et Luca di Montezemolo s’entendirent à merveille en 1974 et 1975 sur les moyens pour remettre Ferrari en pleine lumière © Guy Royer

La complicité entre Luca di Montezemolo et Niki Lauda dès 1974 n’est plus à décrire. La décision d’arrêter l’endurance au profit de la seule Formule 1 – au grand dam de beaucoup de passionnés de course – entra pleinement dans le processus de reconstruction de l’écurie. Notre ami Johnny Rives avait alors titré « Risorgimento à Maranello » pour signifier combien grande était cette renaissance. Elle annonçait surtout un règne de quatre saisons de la fabuleuse série des 312T, de 1975 à 1979, 1978 étant l’année des Lotus 79. Lauda remporta deux titres, 1975 et 1977, puis Jody Scheckter un dernier, en 1979. Et… tout allait bien. Mais en 1980, patatras ! La T5 fut totalement éclipsée par les Williams, Brabham, Renault et Ligier et cette année-là, la Scuderia scora le plus mauvais résultat de son histoire : 10e au classement, record à battre !

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Le coup passa si près

1980 avait en fait été sacrifiée pour entrer dans l’ère du turbo. Mauro Forghieri et ses troupes ne mirent pas plus de deux saisons pour cueillir les fruits de leur travail : la Coupe des Constructeurs vint récompenser une Scuderia plus régulière que ses adversaires en 1982 puis en 1983. Mais point de titres pilotes. Les années suivantes entretinrent gentiment l’image d’une respectable écurie surfant sur la vague du succès, mais ne parvenant pas à décrocher le graal ultime. On ne peut pas dire que tout allait mal car quelques coupes venaient garnir les étagères un peu clairsemées de Maranello, mais tout n’allait pas bien pour autant. Nommé directeur sportif en 1989, le flamboyant Cesare Fiorio comprit immédiatement où se situait le problème : les pilotes étaient bons, mais pas exceptionnels. Pour ramener Ferrari vers ce sommet non gravi depuis dix ans, il fallait un champion incontestable à l’énorme pouvoir fédérateur. Et il y en avait deux sur le plateau.

Avec un début de saison 1990 tonitruant, Alain Prost ne fut pas loin de triompher dès sa première saison en rouge © DR

Alain Prost fut l’élu, puisqu’Ayrton Senna ne désirait pas quitter McLaren. En 1990, Alain travailla sans compter sa peine ni son temps avec une équipe totalement derrière lui. A la mi-saison, il pointait en tête du championnat dans sa superbe 641 et tout le monde s’accordait à prédire un sacre mérité en fin d’année. Mais tout s’effondra à cause d’une gestion sportive hasardeuse et d’un coéquipier vexé d’avoir été laminé par le nouveau maître de Maranello. Le dénouement brutal de Suzuka mit fin au rêve. En 1991, la nouvelle voiture n’était plus au niveau de sa devancière et la saison fut un calvaire, achevé sur une mise à pied honteuse de son pilote n°1. Le coup n’était pas passé loin, mais le triple champion du monde Alain Prost avait été victime de la mauvaise politique de la Scuderia.

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Le quatuor diabolique

S’en suivirent des années de quasi-disette jusqu’à 1996. Notre propos aborde les différents champions venus à la rescousse en Italie, mais nous l’avons dit : un pilote seul ne peut tout, Prost le vérifia à ses dépens. En 1993, l’homme providentiel n’était pas derrière le volant, mais derrière le muret des stands. Responsable incontesté des succès de Peugeot en Rallye et en Endurance, Jean Todt céda aux appels du pied de FIAT et débarqua chez Ferrari au début de l’été, le lendemain du triomphe des 905 au Mans. En organisateur lucide et pragmatique, il allait renverser la table à Maranello.

La domination absolue de l’équipe Ross Brawn-Jean Todt-Michael Schumacher, à laquelle il convient d’ajouter Rory Byrne, au début des années 2000 © Ercole Colombo

Prost retiré, Senna décédé, Todt aligna dans sa ligne de mire le champion qu’il lui fallait absolument : Michael Schumacher, doublement titré chez Benetton. Pour compléter son puzzle, il fit également venir les deux hommes qui avaient construit les succès de Schumi dans l’écurie de Flavio Briatore, Ross Brawn à la direction technique et Rory Byrne à la conception en chef. Après quelques saisons de « tâtonnements », le quatuor diabolique assit un pouvoir absolu sur la Formule 1 entre 2000 et 2004 : cinq titres pilote et cinq coupes constructeur d’affilée. Ferrari battait ses records de la fin des années soixante-dix ! Tout allait bien. D’autant qu’un ultime succès en 2007 venait couronner Kimi Raïkkönen et la Scuderia. Et qu’en 2008, celle-ci conservait sa coupe, Felipe Massa loupant la timbale pour une misérable ligne droite face à (tiens, tiens !) Lewis Hamilton chez McLaren. Mais dès lors, tout n’est plus allé si bien.

Les couronnes ne font rien à l’affaire

Fernando Alonso en 2010 tout sourire : il est sûr de triompher en fin d’année © Motorsport

Il avait fallu 21 ans pour retrouver un pilote champion du monde chez Ferrari après le sacre de Scheckter en 1979, nous en sommes à 18 depuis celui de Raïkkönen et la couronne n’est toujours pas revenue à Maranello. La maison brûle à nouveau ! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir attiré les champions les plus en vue de ces dernières années. A commencer par Fernando Alonso qui débarqua tel le Messie en 2010. Et qui fut à deux doigts de réaliser le miracle cette année-là. Mais une gestion désastreuse de la course lors de la finale à Abou Dhabi laissa la couronne à Sébastien Vettel et la Scuderia fort désappointée. Fernando fut à nouveau vice-champion en 2012 et 2013, mais toujours barré par l’incontournable Vettel sur sa Red Bull. Il jeta finalement l’éponge au terme d’une saison 2014 terne. De façon ironique, l’histoire se répéta avec son successeur qui n’était autre que le quadruple champion du monde Vettel, qui rêvait à son tour d’être celui qui ramènerait Ferrari vers les plus hauts sommets.

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Arrivé en 2015, le jeune Allemand passa sept saisons à Maranello, avec comme meilleurs résultats deux titres de vice-champion en 2017 et 2018. Mais l’ogre en face s’appelait Mercedes, avec comme fer de lance… Lewis Hamilton. Hamilton qui, lassé de la faiblesse de sa monoplace allemande à compter de 2021 face à l’autrichienne Red Bull de l’effronté Max Verstappen, décida de sauter le pas et de rejoindre Maranello pour 2025. Hamilton et ses 7 couronnes mondiales, ses 105 victoires et ses 104 pole positions (records, ou co-record avec Schumacher pour les titres), avec ses tenues haute-couture décoiffantes, son inséparable bulldog Roscoe et son indépendance de caractère, le cocktail s’annonçait détonnant.

Comme Prost et Alonso avant lui, Sebastian Vettel pensait à bon droit que ses exploits passés feraient de lui le sauveur de la Scuderia © Morio

Une image paradoxalement intacte

Une nouvelle fois, il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif de l’impact du champion britannique au sein de la Scuderia Ferrari, mais il semble qu’il fut assez peu déterminant. Vettel, Alonso, Prost, Schumacher ou Lauda avaient imprimé leur marque dès leur prise de fonction, entrainant un enthousiasme fédérateur chez tous les personnels de l’illustre écurie. Au final, beaucoup ont échoué. Seuls Lauda et Schumacher ont réussi, grâce, on ne le dira jamais assez, à un environnement entièrement moulé à leur convenance.

Pour terminer, force est de reconnaître que ces – relatifs – insuccès n’affaiblissent pas, ou très peu, l’image d’une firme qui éclabousse de son aura le monde de l’automobile sportive. Le prestige intact de ses modèles de route, ajouté aux récents triomphes en Endurance faisant renouer avec le bon temps de la dualité F1/Sport des années soixante et soixante-dix, assure à Ferrari le pouvoir de toujours faire rêver des millions de fans, en engageant notamment les meilleurs pilotes du monde.

Même au fin fond du Brésil brille l’aura de Ferrari © Pierre Ménard

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