25 mai 2017

Ferrari, 70 ans de course automobile

Tel est le titre du livre de Jean-Louis Moncet et Johnny Rives publié chez Mondadori France, comprenez Sport Auto. Si nous ne craignions de leur manquer de respect, nous dirions que les deux compères ont laissé parler leur coeur de jeune homme. Eux qui cumulent plus de 500 Grand Prix live chacun, ont pour les voitures rouges la passion de leurs vingt ans. Leur ouvrage parle d’un sujet qui est devenu presque banal, Ferrari, mais avec une fraîcheur de ton, une densité de contenu et une précision d’information qui en font un passionnant ouvrage. L’un de ceux qu’on lit d’une traite puis que l’on garde à portée de main, sûr d’y découvrir de nouvelles choses et d’y passer un bon moment chaque fois qu’on s’y replonge. Rien d’anormal, pas d’opportunisme ici.  La générosité de deux vies fascinées par Ferrari offertes en partage aux passionnés. On les suit volontiers parce qu’ils savent de quoi ils parlent. Et pour cause, ils l’ont vécu.

Olivier Rogar

La geste

Enzo Ferrari - Clay Regazzoni - Niki Lauda 1976 @ DR

Enzo Ferrari – Clay Regazzoni – Niki Lauda 1976 @ DR

Comme le rappelle l’éditeur, Jean-Louis Moncet a débuté à Sport Auto en 1971 avant de rejoindre l’Auto Journal fin 1979. Il couvre la F1 depuis 1978 et a commenté les Grands Prix à la télévision pendant 25 ans. Il a écrit dix livres sur le sport automobile.  Quant à Johnny Rives que nos lecteurs connaissent bien, faut-il rappeler qu’il a suivi les plus grandes compétitions automobiles pour le journal « L’Equipe »  de 1960 à 1996, a également commenté les Grands Prix à la télévision et a écrit vingt quatre livres. Tous deux ont collaboré ou collaborent au magazine Sport Auto.

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Le parti pris éditorial est intéressant car si la chronologie a été respectée, le fastidieux écueil de l’exhaustivité a été évité avec bonheur. L’objet, assez consistant, vous fait surfer pendant 178 pages et 93 chapitres ou inserts, sur les années remarquables, que ce soit par la course, les pilotes ou les voitures. De Formule 1. Une seconde partie beaucoup plus légère, évoque l’endurance et certaines courses comme les 24 heures du Mans ou les Mille Miglia et la Panamerica ainsi que les ingénieurs qui ont donné leur âme à la marque. Mais avant cela, bien sûr, il nous est fait le récit de l’histoire de l’Ingegnere Enzo Ferrari. Titre dont il était le plus fier. Plus qu’une histoire : une geste. Contée par deux de ceux qui ont approché, observé, échangé avec le mythe de son vivant.

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Niki Alesi et Jean Lauda

Deux personnages aux caractères antagonistes qui doivent leur aura à leur passage dans la grande « Scuderia ». Niki dans sa  312 T2 en couverture : petit appel du pied aux cinéphiles marqués par le film de Ron Howard  ? Nous l’ignorons. Mais la personnalité de cet homme va tellement au-delà  de celle du pilote qu’elle nous semble être en phase avec cette passion Ferrari et l’esprit de ce dernier.  Quand il s’agit de passion …Jean, lui aussi a été vacciné au « Cavallino Rampante ». D’ailleurs il évoque une entrée en religion et ses années heureuses en F1… Les siennes firent partie des nôtres et combien avons-nous espéré pour lui les victoires que son talent méritait.  Son bonheur aurait-il mis sous l’éteignoir la possibilité d’un palmarès plus étoffé ?   De la psychologie sportive… Sa spontanéité nous vaut une préface donnant sa couleur à l’ouvrage, celle de la dévotion objective. Oui c’est possible.

Jean Alesi - Ferrari @ DR

Jean Alesi – Ferrari @ DR

Le visiteur sans notes

Nous ne décrirons pas par le menu, les 93 chapitres mentionnés plus haut mais nous attarderons sur quelques-uns d’entre eux, comme autant d’illustrations de ce formidable témoignage. En tout premier lieu, celui qui nous a le plus étonné, évoquant les visites de Johnny à Maranello entre 1973 et 1987 au cours desquelles il a pu interroger Enzo Ferrari sur les évolutions techniques et politiques de la F1. Les mots et cartes envoyées au journaliste par l’Ingegnere  montrent en quelle haute estime, dans une relation franche et directe, non exempte de reproches parfois, ce dernier le tenait. Mais le jeudi 29 mars 1973, on devine que Johnny malgré son flegme et sa tranquille assurance  était impressionné. La pièce est austère, sans décoration et dans une semi-pénombre. Johnny pose ses questions en français  et reçoit les réponse en italien. Pas d’enregistrement. Pas de notes. Telles étaient les conditions.  Et malgré le temps qui s’écoule entre interview et visite guidée, par Mr Ferrari lui-même, de la nouvelle piste de Fiorano et de ses installations puis apéritif « Formule 2 », Johnny parvient à retranscrire fidèlement les propos du « vieil homme de Maranello ». Si fidèlement  que celui – ci lui enverra un mot pour l’en féliciter ( « C’est la première fois qu’un journaliste m’interviewe sans note et rapporte avec une parfaite fidélité mes propos ») et  lui en fera la remarque en plusieurs occasions lors de visites ultérieures.  Neuf visites suivront jusqu’à celle du 11 décembre 1987 au cours de laquelle apparut au groupe qu’il avait convié à un déjeuner à Fiorano, un Ferrari disert mais fatigué. Ce sera sa dernière apparition publique.

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L’audace

De la 375 F1 1950 à la F 2004, un parcours technique jalonné de chefs d’oeuvre et de ruptures. Conservateur l’Ingegnere ? Peut-être d’un point de vue technique mais souvent révolutionnaire aussi. Charmant ses hommes et leur faisant « se sortir les tripes ». Les sacrifiant à l’occasion. A l’image de ces autos qui avaient fait leur temps et finissaient au pilon. Paradoxe d’un management froid et pourtant émotionnel.

L’ingénieur Gioacchino Colombo est à l’origine des premières victoires dès 1947 avec les 125 et 166 et leurs V12 de petite cylindrée, il cède pourtant la place à son adjoint Aurélio Lampredi, adepte des grosses cylindrées qui concevra la 375. Celle-la même que José Froilan Gonzales conduira à la victoire au Grand Prix de Grande Bretagne en 1951. Une première pour Ferrari.

Jose Froilan Gonzales - GP Silverstone 1951 @ DR

Jose Froilan Gonzales – GP Silverstone 1951 @ DR

C’est sans hésitation que fin 1955, Ferrari récupère les merveilleuses Lancia D50 conçues par Vittorio Jano. Ce dernier rejoint également la Scuderia, améliore celle qui est devenue Ferrari – Lancia et permet à Fangio de remporter le titre 1956.

Passage au moteur central arrière en 1961. Carlo Chitti a eu de talent. La 156 F1 « Shark nose » et ses V6 Dino à 65° puis « Bellei » à 120° reste dans les mémoires. Championne du monde avec Phil Hill suite au drame de Monza. Quand Chris Rea commettra un film sur cette période, on se rendra compte que les « shark nose » n’existent plus.  Vous avez dit Pilon ?  La reconstitution de l’une d’elle fut son mérite. A propos fin 1961, révolution de palais. Toute l’équipe des ingénieurs est virée. A 26 ans Mauro Forghieri devient le responsable de toutes les activités sportives et expérimentales.

Phil Hill - Ferrari 156 Shark nose @ DR

Phil Hill – Ferrari 156 Shark nose @ DR

C’est certain, Ferrari avait fait sien l’adage «  bien diriger, c’est bien s’entourer » , mais 26 ans… il fallait y croire ! Après avoir conçu la jolie et efficace 312 en 1968 puis la B qui marqua la saison 1970, Mauro  Forghieri fait face aux Tyrrell et Lotus et ne retrouve pas la magie. Il s’égare même avec la 312 B2 « Spazzaneve » en 1973. Ce qui lui vaudra un exil dans le bureau de recherche de Modène. Et le murissement de la B3 qui sous la direction sportive de Luca di  Montezemolo conduira Ferrari vers les succès des années 1974 à 1979. A propos Ferrari aura attendu 1974 pour passer à la véritable monocoque alu.

John Surtees - Mauro Forghieri - Enzo Ferrari @ DR

Chris Amon – Mauro Forghieri – Enzo Ferrari @ DR

Toujours sous la direction de Forghieri, la 126 C2 de 1982 sera sacrée championne du monde malgré les drames de cette année. V6 Turbo, chassis conçu par l’anglais Harvey Postlewaite,  aérodynamique affinée dans la soufflerie Pininfarina, adhérence maximale. Et toujours pas de véritable coque carbone…

Didier Pironi - Ferrari 126 C2 1982 @ DR

Didier Pironi – Ferrari 126 C2 1982 @ DR

En 1990, Enzo n’est plus, Mauro Forghieri est parti vers d’autres horizons. Alain Prost est là. La 641 avec l’argentin Enrique Scalabroni est une évolution de la 639 conçue par John Barnard. Six victoires. Un titre échappé dans l’homérique combat contre Senna.

Alain Prost - Ferrari 641 1990 @ DR

Alain Prost – Ferrari 641 1990 @ DR

Cette fin des années 80 marque pourtant une évolution des philosophies. Ferrari a accepté l’internationalisation. Y compris de son management. Elle pose les bases d’une autre période. Celle de 1993 -2007. Le français Jean Todt prend en main l’organisation sportive. Il recrute les meilleurs. Schumacher tout d’abord. En 1996. Puis Ross Brawn et Rory Byrne. Cinq titres consécutifs suivront avec Schumacher, le plus prolifique vainqueur de Grands Prix de 2000 à 2004 puis un sixième en 2007 avec Raikkonen.

Michael Schumacher - Ferrari F 2004 @ DR

Michael Schumacher – Ferrari F 2004 @ DR

L’improbable

En 1956, Fangio fait équipe avec Peter Collins chez Ferrari. Arrivant au grand Prix d’Italie à Monza, il compte 30 points et son équipier 22.  En course c’est l’hécatombe. Les Ferrari Lancia souffrent. Et Fangio lui-même abandonne. Collins s’arrête aux stands. Il voit Fangio simple spectateur. Il saute de sa voiture et l’invite à  le relayer. Ce qui conduit à un partage des points entre les deux pilotes et prive Collins de toute chance de remporter le championnat.  En se justifiant, il ajouta de l’élégance à l’élégance : « Juan Manuel Fangio est le meilleur d’entre nous, il mérite de gagner. Moi je suis jeune, j’ai bien le temps de  devenir champion »….

Peter Collins laissant sa place à Fangio - Monza 1956 @ DR

Peter Collins laissant sa place à Fangio – Monza 1956 @ DR

Au Maroc en 1958, Moss gagne son quatrième Grand Prix de la saison et Mike Hawthorn, second, est titré. Pourtant quelques semaines plus tôt au Grand Prix du Portugal Hawthorn avait effectué une manoeuvre prohibée suite à une sortie de piste. Manœuvre lui ayant permis de sauver une seconde place. Il échappa à la mise hors course grâce à Moss qui plaida en sa faveur. Beau fairplay qui priva donc le champion sans couronne d’un probable titre…

Stirling Moss - Mike Hawthorn - GP Maroc 1958 @ DR

Stirling Moss – Mike Hawthorn – GP Maroc 1958 @ DR

En 1981, les Ferrari 126 CK de Villeneuve et Pironi sont des chevaux sauvages.  Brutalité du temps   de réponse des turbos, effet de sol, décrochages diaboliques et sèches reprises d’adhérence mettent à contribution les reflexes et le sang froid des pilotes.  A ce jeu l’instinct de Villeneuve prime sur l’esprit analytique de Pironi.  Il est totalement impossible d’imaginer une victoire d’un moteur turbo à Monaco. La piste est en totale opposition aux caractéristiques de ces autos. Et pourtant, Gilles Villeneuve le fait ! Les leaders partent à la faute. Villeneuve est là. Sa voiture subit toutes les avanies. Mais elle est solide. Il le faut. Avec lui, l’adage a changé, c’est  « qui veut aller vite ne ménage pas sa monture » ! Le Turbo a désormais de beaux jours devant lui.

Gilles Villeneuve - GP Monaco 1981 @ DR

Gilles Villeneuve – GP Monaco 1981 @ DR

En 2007 Raikkonen et Massa donnent à Ferrari neuf victoires tandis que McLaren en remporte huit grâce à Hamilton et Alonso. Mais c’est la guerre chez McLaren. Les garçons ont leur tempérament et l’écurie fait fausse route dans sa gestion des conflits. Alonso, ne parvenant pas à se faire libérer de son contrat pour 2008 balance à la presse des éléments de l’affaire Stepney. Le chef mécanicien de Ferrari a passé à McLaren des secrets technologiques. Bilan, cent millions de dollars d’amende pour McLaren et la perte de ses points au championnat constructeur. Au Brésil, Hamilton a des problème avec la programmation de son volant, il doit réinitialiser la commande de sa boîte de vitesses. Il finit septième. Kimi Raikkonen remporte le championnat. Pour un point…

Comme tout le monde, ce fantastique début de saison F1 2017 nous donne hâte de lire le prochain chapitre que nos deux amis consacreront au prochain titre.  Mais avant celà il y aura encore de beaux paragraphes. Monaco par exemple ?

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