Rétromobile 2016 : Johnny Rives sur le stand Classic Courses pour un hommage à Jean-Pierre Beltoise
Lorsque Jean Pierre Beltoise a disparu, Johnny Rives l’écrivain a perdu un frère pilote. Estime, confiance, respect entre deux hommes. Destins parallèles et complémentaires. Chacun dans sa sphère a vécu au travers des réalisations de l’autre. Jean-Pierre ne rechignait pas à prendre le crayon. Johnny à prendre le volant. L’un exubérant, l’autre taciturne. Ils savaient s’entendre mais surtout s’écouter. L’un a su porter les rêves couleur bleu de France de l’autre, donnant des ailes à leurs talents, faisant ensemble une geste de cette aventure. Depuis le stand 14 , des années de courses, de complicité, des décennies d’amitié nouées autour d’une passion inextinguible. Alors Johnny nous l’écrit, comment faire autrement, « Oui, Jean-Pierre était comme un frère ». Après avoir lu son livre, on osera répondre : « Johnny, on souhaite à tous les pilotes d’avoir un frère comme vous ».
Olivier Rogar
Johnny, avec ce livre émouvant vous rendez hommage à un frère. Pourquoi ce lien avec Jean-Pierre Beltoise ?
Je suis incapable de fournir une explication. Lors de nos jeunes années, je me sentais proche de lui à travers notre passion commune pour la course. Il me semble que nous la ressentions pareillement. Même si, de son côté, il avait été capable de réussir ce qui s’était avéré hors de ma portée : réaliser notre rêve d’adolescence en égalant notre héros de jeunesse, Jean Behra. Le paradoxe est que je n’étais pas jaloux qu’il réussisse ce dont finalement je n’étais pas capable. Le fait qu’il concrétise pour lui ce qui avait également été mon rêve me permettait d’y accéder moi-même. A travers lui. Je vous citerai une anecdote : à peine revenu de la guerre d’Algérie – où j’ai laissé une partie de moi-même – j’ai eu la chance d’être recruté à L’Equipe grâce à la bienveillance d’un des rédacteurs en chef de ce journal, Pierre About, avec lequel j’avais correspondu pendant mon séjour sous les drapeaux. Je ne l’avais jamais rencontré auparavant, mais ce que je pouvais lui écrire, à propos de tel ou tel événement, depuis le fin fond du bled où j’étais coincé, m’avait finalement servi d’examen de passage ! Donc étant admis dans ce journal tant estimé, il m’avait été donné, le tout premier jour où je m’y étais présenté (8 juin 1960) de déjeuner grâce à un heureux concours de circonstances avec l’un des journalistes que j’aimais le plus y lire : Robert Vergne. Il était animateur de la rubrique football et se distinguait par des papiers toujours vivants et originaux. Bavard impénitent, Robert n’avait cessé pendant tout le repas de raconter des histoires jalonnées de « mon ami Kopa ». Pour éclairer les plus jeunes, Kopa était à l’époque ce que Platini puis Zidane allaient être plus tard pour le football français (formé à Reims, il avait été recruté par le Real Madrid). Et les « mon ami Kopa » de Robert Vergne m’avaient fait rêver. Pourrai-je dire cela un jour d’un pilote français ? Finalement, je l’ai pu. Avec Jean-Pierre d’abord. Puis plusieurs autres. Mais Jean-Pierre fut le tout premier. Donc le plus important.
Il court sur deux roues lorsque vous faites sa connaissance. La force de caractère qui est sa marque apparait-elle déjà ?
Sans aucun doute. Après avoir débuté sur une Jonghi incapable de rivaliser avec les meilleures de l’époque, il a réussi grâce à son pouvoir de persuasion à se faire confier des motos performantes. Grâce auxquelles il a décroché ses deux premiers titres de champion de France. Il était lancé. Ce qui lui permit de convaincre M. Bulto, constructeur des Bultaco espagnoles, de lui en prêter. Dès lors il enchaîna les titres de champion. Cela lui permit d’acquérir une Matchless G50 avec laquelle il sidéra jusqu’à ses détracteurs en s’imposant sur le circuit des 24 Heures du Mans devant tout le Continental Circus de l’époque. Sa force de caractère le servit aussi à cette période pour surmonter des deuils terribles (un frère, sa première femme) ainsi que les séquelles de son accident des 12 Heures de Reims 1964 qu’il surmonta avec une volonté impressionnante.
Peut-on considérer qu’il incarne le renouveau du sport automobile français ?
Totalement. Sans lui, sans sa victoire en F3 à Reims treize ans après celle aussi fameuse de Jean Behra sur le même circuit, Matra aurait sans doute renoncé à poursuivre son aventure en course car jusque là les premières tentatives (Monaco, La Chatre, Clermont) s’étaient soldées par des échecs sévères. Alors directeur général de Matra, Jean-Luc Lagardère n’a jamais caché que tout était parti de la victoire de Jean-Pierre à Reims.
En est-on conscient à l’époque ?
Ce dont on n’est pas conscient encore c’est de la voie que va suivre Matra en développant des engins de plus en plus ambitieux. Et notamment un moteur de course empruntant la même architecture (12 cylindres en V) que les plus beaux moteurs Ferrari. Avant la naissance de ce moteur Matra V12, jamais je n’aurais osé imaginer que cela puisse exister un jour. Et je n’étais pas le seul. Moteur qui a eu du mal à rivaliser en F1 avec le quasi imbattable Ford-Cosworth, mais grâce auquel Matra s’est adjugé trois fois les 24 Heures du Mans et deux titres mondiaux en endurance. Résultats qui étaient tout à fait imprévisibles au moment où Jean-Pierre gagna à Reims.
L’aura du sport automobile n’ayant rien à voir avec aujourd’hui, y a-t-il une grosse pression médiatique sur lui ?
Oui la pression médiatique existait. Elle était très forte surtout en raison de son franc parler. Jean-Pierre ne prenait jamais de gants pour s’exprimer. Ce qui lui valait de solides inimitiés qu’il paya parfois cher. Lors de la révélation de François Cevert à partir de 1970, François qui en plus d’être un de ses rivaux était devenu son beau-frère, la presse s’efforça à chaque occasion de les dresser un contre l’autre. Mais ils étaient mentalement très forts et surmontèrent cette difficulté aisément. Simplement en l’ignorant.
Cette situation peut-elle expliquer son absence de victoire en championnat F1 sur Matra ?
Non, s’il n’a pas gagné en F1 sur Matra c’est que le moteur Cosworth était à peu près imbattable. Il aurait pu y parvenir une fois, au G.P. des Pays-Bas 1968 où il se classa 2e derrière Stewart après avoir réussi à se dédoubler sur l’Ecossais. Mais ça n’était que son troisième Grand Prix au volant d’une F1. Faute de métier, il n’était pas à l’abri des étourderies. L’une d’elles lui coûta un arrêt à son stand sans lequel il aurait gagné ce jour là.
Il gagne chez BRM en 1972 ce qui nous vaut le meilleur chapitre littéraire de sport automobile jamais écrit en français, votre modestie dût-elle en souffrir. Mais pendant cette course à Monaco, quel est votre état ?
Je touchais du bois ! Je n’étais pas à Monaco, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. J’ai suivi cette course comme je le fais encore aujourd’hui : à la télévision. C’était aussi émouvant que si j’avais été au bord de la piste, je vous garantis !
Et après la course ?
Comme tous les « fans » de Jean-Pierre j’étais enchanté. Quelques semaines plus tard, en juillet 1972, j’avais passé plusieurs jours de vacances dans sa villa « Da Flo », à Saint-Tropez. Il m’y avait raconté son Grand Prix avec forces détails. J’en ai entrepris la rédaction à chaud dès cet instant là.
Pensez-vous que sa forte personnalité a pu faire reculer les sponsors au démarrage de l’aventure Ligier en F1 ?
Au contraire. Gitanes a accepté de financer l’aventure Ligier en F1 principalement parce qu’à l’origine Jean-Pierre en faisait partie. D’ailleurs si Jean-Luc Lagardère a accepté de fournir ses moteurs pour la Ligier F1 c’est bien parce que Jean-Pierre était là. Ainsi qu’Henri Pescarolo d’ailleurs, fraîchement auréolé de ses trois victoires sur Matra aux 24 Heures du Mans.
Pouvez-vous nous parler du stand 14 ?
Le Stand 14 était un café situé rue Saint-Honoré en face de la boucherie de Pierre Beltoise, le papa de Jean-Pierre. Et en face d’une parfumerie dont le fils du propriétaire, Jean Fouques, était un passionné de course. Bientôt surnommé « le président », Fouques contribua a réunir autour de Jean-Pierre une bande de copains fanas de courses motos et autos. Une bande bientôt renforcée par Eric Offenstadt et Jean-Paul Behra entre autres. Pour ne rien dire de Manou Zurini qui était alors loin d’être photographe. Une bande à laquelle, en 1963 après sa victoire avec Bobrowski à l’indice énergétique aux 24 Heures, Jean-Pierre proposa de me joindre. C’est là, grâce à la bonne humeur et l’insouciance qui y régnaient, que j’ai commencé à me débarrasser des cauchemars que j’avais ramenés de la guerre d’Algérie. Ce que ma femme, rencontrée une dizaine d’années plus tard, a heureusement achevé.

Illustrations @ DR
Cher Johnny Rives,
Du temps de « Mémoire des Stands » j’avais déjà eu l’occasion de vous exprimer à quel point vous même et vos confrères aviez pu compter lorsque ma passion pour le sport automobile était en train de naître. Beltoise était mon idole, j’étais fou de joie lorsqu’il a gagné à Monaco, à 3 jours de mon 12ème anniversaire.
Si vous en êtes d’accord je souhaite profiter de cette occasion pour venir vous faire dédicacer « Le roman d’un champion », histoire de boucler la boucle.
Cordialement.
Avec grand plaisir. Pendant Rétromobile, je naviguerai entre les stands Hommell (Auto Hebdo, Echappement etc.) et Classic Courses/Bernard Asset.
Petite précision à propos de notre café « Stand 14 » de la rue Saint Honoré: il s’appelait en réalité le Cristal, mais, à l’idée du président Jean Fouques, nous l’avions surnommé le Stand 14. Personne n’a jamais pu m’expliquer pourquoi 14 !
MR RIVES pouvez vous me dire si le garage de MR LANDREAU a Montlhéry <> dans les années 70 presque en face des milles mille de JP B a un rapport avec le café rue saint honoré a Paris
JPB aurait pu gagner à Jarama en 1968 , lorsqu’il remplaçait Stewart blessé sur la MATRA FORD ; il était d’ailleurs en tete lorsqu’il abandonna pour je ne sais plus quelle raison : la fiabilité des F1 de 1968 n’était pas celle de nos jours ! En 69 aussi quand il pilota la fabuleuse MS80 que Stewart conduisit au titre et dont Tyrell fit un joli copié-collé pour sa première F1.
Oui, il aurait pu gagner Jarama 68. Mais il n’a pas abandonné. Deux arrêts lui ont coûté 9 tours. En dépit de quoi il a été classé 5e. Je te raconte dans le bouquin.
Je LE raconte… (excuses).
Merci Mr RIVES : 9 tours de retard et 5 ème à l’arrivée !! Impossible de nos jours .
Permettez une question : Y a t’il un livre ou article de revue ou vous racontez vos deux TDF auto à bord justement d’un proto MATRA V 12 du Mans laché sur les départementales françaises pendant une semaine ?? Quelle expérience ! le pied total dirais je .
Pas de livre, non. Article? J’en ai écrit plusieurs, mais il y a tant de temps… Oui, comme vous le dites, c’était une expérience fabuleuse. Des souvenirs impérissables.
J’ai fini hier soir de lire « Comme un frère » avec la même plaisir teinté de nostalgie que pour « Le roman d’un champion » que je n’ai lu que récemment , ainsi que « Défense de mourir ».
Merci pour nous avoir fait vivre ces événements à une époque où il fallait attendre les pages jaunes du lundi matin pour connaître les résultats, et merci de nous faire partager vos analyses personnelles et pertinentes sur l’histoire de notre passion.
Un seul regret: je ne viendrais pas à Retromobile cette année …
Cher Johnny, Jean-Pierre était aussi mon frère bien que nous n’ayons jamais couru ensemble; il était exceptionnel, unique.
je vais lire votre bouquin.
bien alicalement.
Nano.
Bonsoir Cher Nano Je suis d’accord avec toi quand tu dis que Jean Pierre était exceptionnel et unique. Rappelle toi entre autre, le week end que nous avons passé chez Mercedes à Stuttgart. Tous les moments, et souvent pour moi des escapades de plusieurs jours, resteront à jamais dans ma mémoire. Quand au livre de Johnny qu’il m’a gentiment dédicacé jeudi, je ne l’ai pas lu mais dévoré le soir même. On retrouve tout de notre grand copain dans ce livre. La préface d’Henry est magnifique, mais on ne pouvait que s’attendre de lui à ces paroles sur Jean Pierre.… Lire la suite »
Cher Monsieur Rives,
Personne ne peut oublier ce fameux Dimanche de 1972. Les larmes de joie – et de nostalgie – ressurgissent à sa seule évocation. Je viendrai de ma province jeudi a rétromobile et j’espère bien vous y rencontrer (traquer) pour me dédicacer ce bel ouvrage et me confier quelque anecdote !
Bien à vous.
J’ai découvert Classic Courses par hasard, grâce à un site qui l’avait mis dans ses favoris au même titre que mon blog. Outre le fait de pouvoir continuer à apprendre beaucoup de choses sur l’histoire du sport auto, j’apprécie beaucoup de relire Johnny Rives. A défaut d’avoir pu lire ses papiers dans l’Equipe ou écouter ses commentaires sur TF1 (je suis né en 1991 et je n’ai commencé à suivre la F1 qu’en 1997), un de mes tous premiers livres de Formule 1 était le sien et il a contribué à cultiver ma passion pour ce sport et mon goût… Lire la suite »
Bonjour Mr Rives, Hier, jeudi 4 février, à Retromobile, j’ai eu le plaisir d’échanger quelques mots avec vous. Cet entête, , est magique. C’était le début de vos articles, lorsque vous nous informiez d’essais privés sur le Circuit Paul Ricard, fin des 70 début des 80. Et c’est cet entête que, étudiant à Marseille, je guettais sur la dernière page de l’Equipe . Une lecture rapide et, en avant, d’un coup de moto, je m’échappais au Ricard voir, sentir, toucher les F1 ou les proto du Mans. Grâce à vous, j’ai pu vivre des moments extraordinaires. Grace à vous, hier,… Lire la suite »
à l’ attention de Mr Johnny RIVES
Monsieur,
je souhaite entrer en contact par courrier avec vous,
je suis un inconditionnel de Jean ROLLAND,votre Ami, avec lequel vous avez couru son dernier rallye de mte carlo en 1967.
je souhaite avoir de votre part, un mot sur la souvenir et l’ amitié que vous avez partagée avec lui, et ce, uniquement pour ma collection perso.
bien entendu vous pouvez me joindre , aussi par téléphone.
veuillez accepter, Monsieur , mes sincères remerciements et mes respectueuses salutations.
René ROCHEBRUN
16, les routes claouses
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