Rega et JC Arnold
06/11/2025

Jean-Claude Arnold – 5e partie – Rega, le karting et moi

Nous terminons cette série de notes consacrées à Jean-Claude Arnold et au team Arnold avec une discipline et un personnage qui ont beaucoup compté pour notre interlocuteur : le karting et Clay Regazzoni.

Olivier Favre – photos © JC Arnold

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Notez tout d’abord que Jean-Claude imite très bien l’accent tessinois de Clay Regazzoni. J’ai essayé de le rendre par écrit en prenant quelques libertés d’écriture, avec un savant mélange de français et d’italien …

Karting à Phalsbourg

Classic Courses-Olivier Favre : Quand as-tu commencé à faire du karting ?

Jean-Claude Arnold : En 64, j’avais 14 ans, c’était sur la piste de l’aérodrome de Houssen, près de Colmar. En 65 mon père a organisé une course dans les rues de Phalsbourg, autour de la mairie. Elle comptait pour le championnat d’Alsace-Lorraine. Mon père a fait venir le champion d’Italie, Gianfranco Mazzotti, invité avec une prime de départ. J’ai gagné en catégorie cadets. En 66 mon père a créé une écurie de karting avec 5 pilotes, dont moi. Les châssis étaient des Tecno, déjà !.

Arnold Phalsbourg
Jean-Claude sur son kart à Phalsbourg. Derrière, au centre, Marcel Arnold

CC-OF : Tiens, alors le team Arnold est plus ancien qu’on ne le pense ?

JCA : En fait, ça n’a duré qu’une année, mais moi j’ai continué. A l’époque le karting et la course auto étaient bien séparés. C’étaient deux mondes différents. Pour moi, c’était le pied total, j’avais deux façons de m’éclater : le karting en tant que participant et la course auto en spectateur privilégié. Mais la condition c’était que je bosse bien en classe.

CC-OF : C’est par le karting que tu as rencontré Clay Regazzoni ?

JCA : Pas du tout. Mon père louait un petit deux-pièces à Lugano. Ça lui permettait de faire halte sur le chemin de l’Italie. Un jour, ça devait être en 67, je me balade à Lugano et j’entends des hurlements de moteur derrière une grille. Oh, oh, voilà qui est intéressant ! Je pousse le portail et je vois une Tecno F3. « Posso ? Je peux » ? Il y avait là Regazzoni et un mécano. On discute un peu, je lui fais rencontrer mon père qui l’invite au restau. Ils sont devenus potes, on se voyait régulièrement. Par exemple, on était présents à Monza en 70 quand il gagné son premier grand prix.

Regazzoni Monza
Regazzoni à Monza en septembre 1970

Rega comme mécano

CC-OF : Juste avant, en août 70, il t’a donné un coup de main « à la Rega » dans une course de karting …

JCA : Ah oui ! Nous étions en vacances dans notre appartement de Milano Marittima et nous y recevions Regazzoni et sa femme pour le week-end. Le dimanche j’avais une course de kart pas loin, au Lido di Pomposa. Rega me demande « Posso venire con te ? Zé ferai le meccanico. » J’étais d’accord bien sûr, tu imagines, un pilote de F1 comme mécano d’un petit pilote de kart ?! Je connaissais la piste, mais la réglementation avait changé depuis l’année précédente : aucune ligne droite ne devait faire plus de 100 mètres. Ils avaient donc mis une chicane pour couper la ligne de départ/arrivée. Les essais du matin se passent bien, je suis en 2e ou 3e ligne pour la course de l’après-midi.

CC-OF : Et c’est là que Clay te pose des questions au déjeuner …

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JCA : Il me demande comment je passe la chicane : « tou ralentis, tou freines, comment tou fais ? » – Je lève le pied. –  Ma, moi, je sais, on peut la passer à fond ». – Mouais, t’as jamais fait de kart et tu me dis c’que j’dois faire ? – Ascolta, c’est moi le champion, si je te dis che ça passe à fond, ça passe à fond. C’est jouste oune question dé technique. Oltra cosa, la curva grande à droite avant la ligne de départ : je souis sour qu’on peut tricher un po’ au départ. Tou laisses un peu d’espace entre toi et le mec de devant. Arrivé aux deux tiers de la curva, tou accélères à fond. Et si les ragazzi devant toi sont assez écartés, tou les dépasses al centro sans problème. – Mais je vais me faire disqualifier ! – Ma c’est pas grave, c’est jouste oune course locale.

La chicane de Rega

CC-OF : Arrive donc le départ …

JCA : Il y a un tour de chauffe, puis un deuxième. J’avais vu que les mecs devant moi laissaient un gros espace entre eux. J’hésitais, « j’y vais, j’y vais pas ? » Finalement, « et puis, merde, j’y vais ». Le drapeau s’est baissé alors que, contrairement à celui des autres, mon moteur était déjà pile dans les tours, j’ai doublé tout le monde, j’étais en tête. Arrive la chicane, je la passe à fond ou pas ? Il m’a dit que ça passait, à la limite, je ferme les yeux. Je suis passé à fond, j’avais 40 ou 50 m d’avance. Je me marrais sous mon casque, mais à chaque tour je m’attendais à voir apparaître un mec avec un drapeau noir. En fait non, rien du tout. Il y en a quand même deux ou trois qui m’ont doublé, mais à l’arrivée, on a bien rigolé avec les copains.

CC-OF : Et c’est au retour que tu as le fin mot de l’histoire …

JCA : Sur la route, dans la voiture, je demande à Clay : « Comment tu savais que la chicane se passait à fond, toi qui n’as jamais fait de karting ? C’est ton instinct de pilote qui te faisait dire ça ? – Un po’, ma aussi … – Oui, eh bien ? – Je souis allé voir il commissario di pista qui s’occoupe des bottes de paille. Je loui ai dit que le pilote n°15, toi, n’était pas très à l’aise, que si jamais il accrochait les bottes de paille ça pouvait causare un terribile incidente avec des blessés. Je loui ai donné una bottiglia de vino et loui ai dit d’écarter les bottes de 15-20 cm per i primi tre giri. Et après, à chaque giro, de les déplacer de pochi centimetri pour qu’elles soient dé nouveau au bon endroit alla fine della corsa. Du Rega tout craché !

Mexico 70

Regazzoni Mexico 70
Mexico 1970

CC : Cette année-là, tu étais aussi à Mexico pour le dernier grand prix de la saison.

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JCA : Comme j’allais partir au service militaire, mon père a décidé de m’offrir un voyage alliant plaisir et instruction : le dernier grand prix, mais aussi un périple culturel avec le Yucatan, les pyramides mayas, etc… Rega l’a su, il m’a filé un passe piste/stands et j’ai pu m’installer dans le stand Ferrari tout le week-end. Je me souviens que la foule était indisciplinée et l’ambiance assez lourde. Chez Ferrari aussi d’ailleurs. Il me semble que Forghieri reprochait à Regazzoni d’être trop dilettante.

CC : Au final, doublé Ferrari, Ickx devant Rega, plutôt bien pour alléger l’ambiance !

JCA : Certes, mais le principal souvenir que j’ai, c’est la réception avec remise des prix le soir de la course. Avec soudain l’annonce au micro : « Mesdames et Messieurs, Jack Brabham voudrait vous dire un mot ». Là, Old Jack s’avance sur scène et lâche « It was the last race of my career ». Surprise totale, puis un tonnerre d’applaudissements pendant plusieurs minutes. Un grand souvenir ! Il y avait aussi Madame Blaton et ses deux filles, Catherine Ickx et sa sœur, la très jeune et jolie Dominique (1). Mme Blaton qui devait rentrer avant Dominique est venue me demander de garder un œil sur sa fille, car Regazzoni lui tournait autour et s’en approchait de plus en plus ! « Si vous êtes encore là quelques jours, surveillez qu’ils ne se rapprochent pas trop ». Pas de souci finalement, Rega est parti dès le lundi !

CC : Regazzoni a fait une course pour vous en F2 en 71.

JCA : C’était en fin de saison. Jarier était puni pour je ne sais plus quelle raison, alors Rega l’a remplacé à Vallelunga. Il a fait un tour et pfuitt, moteur cassé !

Regazzoni Vallelunga 71
La March 712 de Regazzoni à Vallelunga en 1971© DR

Torneio 72

CC-OF : Un an plus tard, Regazzoni fait de nouveau une pige pour le Team Arnold …

JCA : Dolhem avait poursuivi l’engagement des deux March en 72 [Voir note n°3] et il voulait faire le Torneio brésilien en fin de saison. Il demande à mon père de participer financièrement au transport des voitures par bateau. Marcel dit « OK, mais à condition que je fasse le team-manager ». Là-dessus, mon père se dit que quitte à faire traverser l’Atlantique à deux voitures, il fallait trouver un autre pilote. Je lui dis : pourquoi pas Rega ? Il l’appelle et lui propose de faire les trois dernières courses de F2. « Si, mais ma saison est finita … – Bon, pas grave, on va prendre un pilote brésilien – Perché un Brasiliano ? – Parce que ça se passe au Brésil ! » Un blanc au téléphone, puis : « Ma, peut-être que je peux m’arranzer quand même … »

CC-OF : Finalement, c’est toi qui es allé au Brésil !

JCA : Mon père était trop pris par le boulot, il m’a demandé de le remplacer. Je suis donc parti là-bas pour un mois. J’avais un peu le trac quand même. J’étais team-manager à 22 ans avec Rega et Dolhem et du beau monde sur place : les frères Fittipaldi, Hailwood, Peterson, Jaussaud, Pace, … Tout le monde était logé dans le même hôtel, tout était payé par le gouvernement de l’Etat de Sao Paulo. Y compris le transport des voitures, mais ça mon père ne l’a jamais su, heureusement !

Torneio 72 Interlagos
Torneio 72 : Daniel Gaillard et Alain Varlet, assis sur les roues. Derrière, Sandro Angelleri, JC Arnold, Maria de Lourdes, Roger Crebec, José Dolhem, Clay Regazzoni et Pierre Harnois dit « Pom »

Un aller-retour à Kyalami pour Regazzoni

CC-OF : Il y avait trois courses sur le circuit d’Interlagos, à une semaine d’intervalle chacune. Regazzoni a fait la première et la dernière, mais pas la deuxième …

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JCA : Parce qu’il n’était pas là. Le lendemain de la première course, au petit déjeuner, Rega vient me voir un peu embêté : Forghieri l’a appelé, il veut qu’il vienne à Kyalami pour faire les Neuf Heures en protos avec Merzario. Je lui dis « Oui, eh bien vas-y ! » – Ma, ton papa va être fâché … – Tant pis que je lui réponds, tu as un contrat avec Ferrari, tu dois y aller ! » Comme il n’en démordait pas, je lui ai dit d’appeler mon père, qui l’a engueulé : « Mais bien sûr que vous devez y aller, nous on se démerde ! ». On n’allait pas le retenir alors qu’il courait pour nous gratuitement ! Il est donc parti et on a trouvé un jeune pilote brésilien, Chico Lameirao (2), pour le remplacer.

CC-OF : Là-bas à Kyalami il gagne la course avec Merzario et il revient à Sao Paulo.

JCA : Et pour la dernière course, avec un moteur Hart que quelqu’un lui avait prêté, il termine troisième derrière Hailwood et Schenken, notre seul podium de la saison, hormis celui de Jarier à Monza. Comme il nous restait encore un peu de temps avant de rentrer en Europe et que les billets d’avion ne coûtaient quasiment rien, on est allés faire la java à Rio pendant 48 h. Et là j’ai demandé à Clay pourquoi il était si réticent pour la course à Kyalami : « Ma, la corsa ne me déranzait pas, mais ze voulais rester avec les ragazze brasiliane ! »

Regazzoni Tecno
Photo dédicacée prise devant l’usine Tecno en 1968 – © DR

Une glace pour Cheever

CC-OF : Tu as fait du karting pendant près de 25 ans et côtoyé quelques futurs grands noms.

JCA : Au début des années 70, je courais beaucoup en Italie, contre Cheever, Gabbiani, Patrese (champion du monde 74), Stohr. J’ai battu Patrese et Stohr deux ou trois fois, mais je n’ai jamais réussi à battre Cheever et Gabbiani. Je me souviens que le jeune Cheever, 14 ans, avait un budget illimité pour les courses, une camionnette et un mécano qui était chargé de le faire bouffer correctement. Son père payait tout, mais lui n’avait pas d’argent de poche. Or, il adorait les glaces. Je suis allé le voir un jour avant le départ, on a discuté. Il n’avait plus une lire et il voulait une glace. Mon copain est allé lui en acheter une. Avec une licence j’ai fait du kart jusqu’en 1989. Ma dernière course c’était à Biesheim, je suis parti en pole et ce jour-là Yvan Muller faisait sa première course en classe international.

NOTES :

(1) Gentleman-driver de talent sous le pseudo « Beurlys », Jean Blaton était le père de Catherine et donc le beau-père de Jacky Ickx.
(2) On ne trouve trace de Chico Lameirao en F2 que pour cette seule et unique course à Interlagos le 5 novembre 1972. Il la termina en 9e position alors que Dolhem était 6e.
Photo d’ouverture : JC Arnold et Clay Regazzoni au restaurant Da Vittorio à Milano Marittima fin août 1970

Regazzoni Arnold
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