25 février 2024

Entretien avec Mr Ickx : “Capteur de lumière” – 1/2

Et voici le 1000e article de Classic-Courses. Qui l’aurait cru il y a onze ans, lorsque nous avons lancé cette idée : l’histoire du sport automobile dans sa dimension humaine ?
Quand Jacky Ickx nous a accordé cet interview, nous pensions bien que celui-ci ferait date.
Plus que l’incroyable palmarès, cette qualité de vue nous a convaincus que le hasard des dates et des circonstances nous avait donné l’entretien idéal. Mais le hasard existe-t-il ?
Suivons donc Jacky Ickx et sa vision, forgée par six décennies de présence en sports moto et automobile avec son regard emprunt de sagesse et d’humanité.

Olivier Rogar

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Jacky Ickx
Oeuvre Jacky Ickx par Alfons Alt – Monaco 17 novembre 2023 © Alfons Alt (1)

Jacky Ickx : Avant que l’on commence. Je vous dirais ceci au sujet des pilotes en général. D’une part je compare notre travail à un iceberg,  les 2/3 sont en dessous du niveau de l’eau et d’autre part, nous sommes le miroir de ceux que nous n’avons jamais rencontrés et qui rendent tout cela possible…
Si je vous explique ça, vous avez en une minute le résumé de ma pensée sur le fait d’être connu. Nous sommes des capteurs de lumière ou de désastres, ça dépend des circonstances. Mais l’essentiel est en dessous. Ça correspond à vos pensées d’aller chercher des histoires anciennes, du passé et ainsi de suite. C’est la mise à la lumière de tous ces gens qui ont une passion non polluée par le « Me, myself and I » peut-être. Ce n’est pas visible mais ce sont des gens qui font le job à 100%, qui ont une passion sans limite. Comme vous dans votre [travail de mémoire]…

Jacky Ickx
Jacky Ickx – Monaco 20231117 © Olivier Rogar – Classic Courses

Olivier Rogar – Classic Courses : En disant cela vous faites preuve de beaucoup d’humilité.

Jacky Ickx : Je pense que dans une vie aussi courte que la nôtre, en termes de temps, c’est seulement du réalisme. Le « Me, myself and I », mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu… C’est pour ça que c’est très compliqué. Je n‘aime pas parler de moi . Je préfère parler de ceux qui ont été sur ma route et je voudrais aussi ajouter que ce n’était pas dans mes pensées quand j’avais 20 ans. Mais depuis le temps a passé et cette perspective doit être notée. Ce crédit doit être donné. Le «Dakar» en particulier dont vous avez proposé une photo pour cet entretien, est un vrai virage pour moi parce que mon horizon qui était « monorail » comme je le dis parfois , est passé de quelques degrés à 180 degrés. Si on a cette possibilité d’être interpelé par la vision des autres, la vie prend une autre dimension.

Certes, il faut des qualités [pour faire notre métier] , il faut l’envie d’y aller, ça oui, mais ce ne sont pas des qualités telles qu’elles devraient l’être dans une vie normale.

Jacky Ickx
Jacky Ickx – Claude Brasseur – Mercedes 280GE – Paris Dakar -1983 © DR

Olivier Rogar – Classic Courses : Le « Dakar » a-t-il été un bouleversement radical dans votre perception du monde ?

Jacky Ickx : Oui. Je le constate, si je m’interroge sur l’origine de mon ouverture d’esprit, et sur ma sensation de vivre depuis, la meilleure partie de ma vie. Curieusement ce n’est pas la première ou la deuxième. Mais c’est cette chance extraordinaire d’avoir découvert, rencontré des gens dont la solidarité, l’humanité est capitale pour survivre. L’Afrique, la vie dans le désert où vous ne pouvez pas beaucoup tricher. Vous pouvez raconter beaucoup d’histoires mais vous êtes vite ramené au sol. Nous sommes peu de choses. Vraiment. Là-bas il y a des milliers d’années, il y avait des gens qui vivaient comme ça déjà. Elevage. Culture. La vie. La prise de conscience de la vie. Et la prise de conscience des privilèges dont nous jouissons et qui ne sont pas toujours liés au talent. Mais seulement à la chance ou au destin. Toutes les histoires sont différentes. C’est ça que je veux dire. C’est ce que je suis aujourd’hui. Et donc je dis, pas pour vous faire plaisir, mais je trouve beaucoup de plaisir à lire ce que vous faites. Parce que ça cadre avec mon ressenti.
Vous connaissez Jean-Claude Andruet ? L’histoire de sa rencontre avec Thierry Coulibaly (2) est magnifique. Et la préface qu’il a rédigée est pour moi, encore aujourd’hui, pleine d’émotion. Jean-Claude est un très bon pilote. Très bon rallyman il a constitué un joli équipage avec Biche. Il savait ce qu’il voulait mais il passait pour un râleur. Mais cette histoire, quelle beauté. C’est comme ça que ça devrait être . Voilà un pilote qui voit un petit garçon derrière une barrière et qui a la capacité de l’amener dans une autre vie. Et dans des termes, une explication incroyablement séduisante. Après il vous fait regretter de ne pas l’avoir fait vous-même. Parce que vous l’avez vu souvent.

Olivier Rogar – Classic Courses : On est généralement gouverné par la priorité de l’instant. Et souvent la pudeur empêche ou retient des gestes d’humanité que l’on aurait esquissés.

Jacky Ickx : Je ne sais pas ce qu’il y a. Mais il y a deux options : C’est voir ou ne pas voir. Faire ou ne pas faire. C’est ça ou rien. Mais Jean-Claude Andruet l’a fait.
Ensuite ce qu’il y a de formidable, c’est la passion. Mais la passion des autres. Le sport automobile touche une communauté incroyable. Peut – être pas autant que le football qui peut être mis en œuvre avec un simple ballon, mais le public est déterminant. Dans le sport et dans tous les évènements en général. Mais en automobile en particulier. On ne lui demande jamais son avis mais il est l’arbitre du succès ou non. S’il vient, organisateurs, pilotes, tout le monde est heureux. Il est déterminant. C’est un arbitrage. Je dois dire que je suis profondément reconnaissant à travers le temps vis-à-vis de ces millions de gens qui suivent les courses. Je mesure combien ce partage d’intérêt peut être inspirant. Je suis dans un âge, une période où je vois se restreindre le groupe de cette époque. Les années 60, 70. Stewart est quelques années devant moi, Mario Andretti également. Je suis dans ce que certains appellent le club des dinosaures, c’est-à-dire les survivants d’une époque. Et c’est plus une question de chance que de talent.

Olivier Rogar – Classic Courses : Quand vous évoquez les spectateurs, ils ont été marqués par vos personnalités. Pas la vôtre uniquement, certes, mais vous avez marqué votre époque. Il émane de vous et d’autres une aura, un charisme qui marque les gens. Quoique vous fassiez.

Jacky Ickx : Je rencontre ces spectateurs. Aujourd’hui le succès, ce sont les évènements classiques. La F1 moderne marche du feu de Dieu. Les autres vivent. Mais globalement on se rend compte que dans le besoin de se retrouver, de communiquer, dans le partage , les évènements liés à l’automobile classique, sont compréhensibles. Il y a là un moment de partage. Les gens peuvent se mélanger, discuter, ne sont pas tenus à distance. Je pense que les gens ont tendance à apprécier les évènements classiques parce que les barrières sociales sont moindres et permettent aux spectateurs et aux acteurs de se retrouver, de se rencontrer. C’est enfoncer une porte ouverte que de dire que les évènements classiques se multiplient. Il y a une vraie atmosphère. Et j’ose presque dire, une âme. Si je devais parler de Formule 1 je dirais qu’il y a une atmosphère formidable, mais dans les courses classiques il y a une âme. Dans la tradition, dans les reconstructions, dans la mémoire du temps.

Olivier Rogar – Classic Courses : Je comprends d’autant mieux ce que vous dîtes que j’ai besoin de cette atmosphère pour me rendre à une course. Et j’ai pu récemment découvrir le circuit de Spa, lors des 6 heures où tout se mêle sans artifice pour créer une ambiance hors du commun. Avec une grande admiration pour les pilotes qui y ont couru à l’époque du Grand circuit.

Jacky Ickx : J’espère que vous avez pu tourner sur le grand circuit. Parce qu’il y a arrêt sur image. A part quelques rails qui n’existaient, il est là. Tel qu’il était. Et c’est là que je veux encore ajouter qu’il ne fallait pas être courageux. Si malheureusement ça devient une action où le courage intervient, on n’est pas performant. Parce que ça veut dire qu’on mesure un risque. Si vous commencez à penser un quart de seconde au danger que ça représente, vous êtes battu. Il faut que le mécanisme cérébral, il faut que cet aspect des choses soit absolument évacué. Sinon ce n’est pas possible. Ce n’est pas la même chose que le trac. Le trac c’est la peur de mal faire ou ne pas réussir.

On me dit souvent « Il fallait du courage ». Non ce n’était pas du courage. C’était formidable mais c’était un choix librement consenti. Ce risque-là auquel on ne pensait pas. C’est l’apanage de la jeunesse et c’est pour cela que tôt ou tard, dans le sport, on est toujours battu. Il y a toujours quelqu’un qui viendra prendre votre place. C’est bien fait. C’est comme une marée. Ça va, ça vient. Vous avez votre temps. Puis un jour c’est fini. Et l’expérience ne compense pas la jeunesse. On sait aujourd’hui que l’on peut avoir toute l’expérience du monde, quand il y a quelqu’un qui a dix ans de moins que vous et qu’il a décidé d’y aller, qui a la force et le talent, c’est imbattable. C’est bien fait. Après il y a, dans le « déclin », des exceptions qui confirment la règle. Il y a toujours l’espoir dans un tel parcours, de trouver des éléments qui d’un coup vous permettent de penser pouvoir renaître.

Prenons Alonso. Il a été champion du monde en 2005, 2006. Que s’est -il passé entre temps ? Que des frustrations. Un courage magnifique. Une faim de compétition qui ne diminue pas. Et toujours l’espoir de se retrouver dans la bonne machine. Alonso a fait de l’endurance parce que McLaren l’a libéré, de peur de le perdre. Pour qu’il ait à nouveau la saveur de la victoire. Aujourd’hui, à 42 ans en débutant la saison il s’est trouvé dans une voiture avec laquelle il a collectionné les podiums. Ça lui a donné des ailes. Il a effacé en quelques semaines presque quinze ans de frustration. Entre nous c’est magnifique. C’est l’histoire de votre ami Patrick Tambay qui ressurgit chez Ferrari en 1982. Le timing qui nourrit tous les espoirs de « redémarrage ». Quand on a connu la première ligne et que l’on commence à reculer sur la grille, ce n’est pas facile. On n’a plus envie de faire tous les efforts… Peut-être que la prise de risque prend un sens à ce moment. Est-ce que ça vaut la peine d’y aller pour ne pas être premier ? Voire pour être dernier ? Parce qu’avec le temps on recule. Le principe du déclin reste le même mais dans la durée il est changeant.

Jacky Ickx
Ligier JS11 – Jacky Ickx ©1979 DR

Olivier Rogar – Classic Courses : Vous vous êtes pourtant illustré dans toutes les disciplines à des moments différents de votre carrière.

Jacky Ickx : Oui j’ai tout fait. Et je suis le résultat de ces gens que nous avons évoqués. Ces anonymes animés du même moteur. Il y a plein de choses à dire.  Beaucoup de gens considèrent que j’ai un palmarès quasiment inimitable globalement mais on est peu de chose. On est là c’est un concept où les anonymes construisent et on vous demande à la fin de concrétiser ce désir de gagner. On peut être heureux de tout. Mais en quelque sorte on est des «voleurs de gloire » comme l’a écrit Pascal Dro dans Grand Prix.

Votre réussite est dans ce mystère incroyable du destin que sont les rencontres, être au bon endroit au bon moment. Et ce n’est pas une stratégie. Tous ces éléments s’emboitent. On peut appeler ça l’alignement des étoiles. Tout peut être formidable. J’ai une vie formidable. Mais j’ai aussi des moments catastrophiques. Il y a des blessures dont on ne guérit jamais. Avec lesquelles on vit. Et je ne parle pas ici d’une course qu’on a perdue. Il y a des évènements dans l’existence qui font partie de la vie de tout le monde.  Il ne faut pas seulement naître, il faut aussi partir. Il y a des gens qu’on aime, des gens qu’on a aimé. Plein de motivations. C’est plus philosophique. Je suis très réaliste. Il y a des choses qu’on sait pouvoir arrêter et on connait le pourquoi de ces choses là. C’est ce qui explique, pas seulement l’éclectisme car c’était l’époque qui le voulait ainsi. Il était lié au fait que dans les années 60-70, on était plus des mercenaires que des pilotes professionnels.

C’est-à-dire qu’on était des gens libres. Et le moteur de la liberté n’était pas l’exigence financière ou le goût du gain mais c’était la possibilité de rouler à une époque où il y avait davantage d’écuries privées compétitives que de constructeurs. Quand je dis mercenaire, c’est comme un journaliste qui fait des piges pour l’un ou l’autre. Il y avait une gradation dans les priorités mais si vous étiez libre, le week-end vous pouviez courir. Les Clark, Brabham, Hill, Stewart roulaient tous les week-ends. On faisait de la Formule 2, de la Formule 1, du Proto, du Tourisme. On pouvait le faire tous les week-ends, il n’y avait pas de notion d’exclusivité. Et il n’y avait pas non plus de sponsoring. Parce qu’à partir de ce moment on était lié pour un projet unique. Surtout dans la dimension du palmarès. On ne peut plus aujourd’hui que faire une chose à la fois pas deux. Oui il y a eu Alonso. Voilà pourquoi les performances globales des pilotes de ma génération ne sont pas les mêmes que celles des pilotes d’aujourd’hui.

Olivier Rogar – Classic Courses : On est toujours le résultat d’un parcours. Alors je vais vous ramener à vos jeunes années. 1967 le Nürburgring. Sur votre Matra F2 vous vous qualifiez en 3e position au milieu des F1. Et êtes en 4e en course lorsqu’une rupture de suspension vous contraint à l’abandon. Quel impact sur la conscience de votre talent, sur votre motivation ?

Jacky Ickx : Mais je ne suis pas le même individu. Vous êtes celui que vous êtes pour avoir croisé la route d’une multitude de gens de qualité. Et l’avantage d’avoir dépassé la tentation de l’égo, c’est de finalement réussir à voir toutes ces choses si on s’en donne la peine. Donc ce résultat a un impact sur mon destin avant tout parce qu’il y a des gens que ça impacte justement et qui vous permettent de franchir des étapes. Vous devenez pour eux un investissement dans la notion de victoires. Partagée entre le fait de disposer d’une base et de quelqu’un pour la faire aboutir.

Le Nürburgring qui m’a toujours bien réussi, je ne dis pas que j’étais imbattable, mais en général j’étais bien. Je dirais que c’était un circuit qui me convenait. Est-ce que vous savez que dans ma jeunesse j’ai fait deux fois les 86 Heures du Nürburgring ? Enfin je vous explique certaines choses. Une première fois pour Ford sur une Cortina Lotus et une deuxième fois, toujours pour Ford, sur une Mustang. C’était une course de régularité sur 86 heures avec deux pilotes. Je faisais le jour. Gilbert Stappelaert, qui était pilote de rallye faisait la nuit. Au bout de deux fois 86 heures sur le Nürburgring vous commencez à savoir, à connaître son environnement. Ça sert ! Le mystère du Nürburgring ce sont aussi les sauts. Dix-sept sauts. Soit les roues avant, soit les roues arrière. Trente – quarante centimètres environ. Dix-sept sauts réalisés par des monoplaces ou des protos qui ne sont pas vraiment faits pour ça. C’est évidemment plus simple si vous savez où aller mais le Nürburgring, globalement m’a toujours bien réussi.

Matra MS5 F2 – Jacky Ickx – GP Allemagne 1967 Nurburgring F1 F2 ©DR
Ken Tyrrell – Jacky Ickx 1967 ©Bildagentur Kräling

Olivier Rogar – Classic Courses : Onze ans après cet exploit vous avez été champion en CanAm.

Jacky Ickx : Il y a un point commun dans les photos que vous avez passées, entre ça et la CanAm. Sur ce parcours-là par exemple je pense qu’on se retrouve un petit peu avec Patrick Tambay (3) . Le dénominateur que je veux y mettre, c’est celui qui a vraiment donné un cap à ma vie sportive. Parce que je me voyais plus comme un jardinier ou un garde-chasse, ce n’est pas une boutade, c’est une réalité ! Franchement je n’étais pas prédestiné à ce monde-là. Ce n’était pas dans mes pensées. Ce n’était pas un rêve. J’avais côtoyé Fangio alors que j’étais petit garçon mais ça ne m’ a pas fait rêver, franchement.

Cet homme c’est Ken Tyrrell. Entre Ken Tyrrell et Carl Haas entre Norah Tyrrell et Bernie Haas, il y a ce coaching dont on ne parle pas. Aujourd’hui vous pouvez devenir coach assez facilement. Mais à l’époque on n’en parlait pas. Ça n’existait pas. C’est l’accumulation de qualités qui font d’hommes comme Ken Tyrrell ou Carl Haas, des pères, des coaches, des amis. C’est bon de se savoir aimé, apprécié, pardonné. Et je parle aussi du couple. Chez Carl et Bernie, il y avait le partage de la course automobile. Ce qu’a connu Patrick et que j’ai connu aussi. Quand je pense à Ken Tyrrell, je pense aussi à son épouse. C’est familial. C’est gentil quoi. C’est bienveillant. Ce sont ce qu’on appelle de très jolies rencontres. En dehors des résultats. Après le destin vous pousse sur d’autres routes. Je regrette dans le fond qu’on ne soit pas mature plus tôt. Je regrette ça. Et je me demande si encore aujourd’hui je n’essaye pas de rattraper le temps perdu. C’est formidable de se souvenir de ceux qui vous ont accueilli.

Paul Newman – Carl Haas ©DR

Olivier Rogar – Classic Courses : Patrick mettait effectivement en avant l’ambiance familiale qui régnait au sein de l’écurie de Carl Haas.

Jacky Ickx : Patrick Tambay en avait besoin. Moi aussi. Moi j’ai fait de la Formule 1 de 1968 à 1979. J’ai erré pendant un certain nombre d’années. J’attendais le coup de téléphone. Ce que j’appelle un déclin au cours duquel on se dit « Ah ce n’est pas la bonne voiture, ce n’est pas ci…, ce n’est pas ça… , mais ça va revenir peut-être…Tout ça !»  J’ai remplacé, chez Ligier en 1979, Patrick Depailler qui avait été blessé. J’étais ravi d’avoir cette option. Avec une certaine candeur, je me disais, ça c’est un retour possible. Quand j’ai reçu le coup de téléphone, j’étais tellement content, j’ai fait un bon de joie et je me suis fait une entorse de la cheville.

Et globalement cet appel de Ligier a été une chance formidable pour moi. Parce que j’ai pu quitter la Formule 1 sans regret. J’ai compris que là, j’avais fait mon temps et que je n’irais plus chercher le dernier dixième. J’avais en face de moi Jacques Laffite qui était l’idole du moment. Je n’ai pas cherché à savoir si la voiture était meilleure ou moins bonne… Guy Ligier n’avait pas envie que je roule mais Jean-Pierre Aujoulet du Seita souhaitait que j’y aille. J’ai sauté sur l’occasion, c’est le cas de le dire mais j’ai pris conscience, ne parvenant pas à aller chercher Jacques, il me manquait deux ou trois dixièmes, j’ai compris que j’avais eu mon temps là-dedans et qu’il fallait souffler.

Olivier Rogar – Classic Courses : Quitter selon ses propres termes comme disent les Anglais.

Jacky Ickx : Et la bénédiction était qu’en parallèle, j’ai roulé cette année-là chez Carl Haas. Des allers-retours avec les Etats Unis. Probablement le même genre de chose que Patrick. Et ça m’a permis de connaître la famille Haas. Cette voiture [La Lola de CanAm] je la considère comme la plus belle voiture de course. Elle a une gueule ! Elle est magnifique. Une GT 40 c’est une voiture iconique, c’est une légende. Mais cette Lola carrossée avec cet immense aileron, cette immense prise d’air, c’est magnifique et ça se termine avec un titre. Alors les deux font du bien. Bref, le destin, l’alignement des étoiles, l’imprévisible… ça s’inscrit dans le besoin d’un certain réalisme. L’honnêteté avec soi-même de savoir quand vous avez atteint une limite.  Ça me fait penser à une phrase qu’a dite l’équipier de Sébastien Ogier, Ingrassia. On lui demandait s’il allait revenir et il a répondu en substance quelque chose auquel j’ai souvent pensé , j’ai eu des avertissements. Je me disais que j’étais arrivé au bout de mon potentiel chance. Le sentiment d’avoir utilisé toutes les cartouches.

Voilà dans cet échange, vous connaissez maintenant mon fonctionnement. Vous voyez que je suis presque arrivé à parler des autres ! 

Jacky Ickx – Lola T333 CanAm 1979 ©DR

Olivier Rogar – Classic Courses : Et pour parler des autres, que diriez-vous au sujet de Sir Jackie Stewart. Aujourd’hui vous êtes les deux seuls à avoir gagné des Grands Prix dans les années 60 ?

Jacky Ickx : Il a été mon mentor parce qu’il était l’homme à battre. Au début il était celui qui m’a expliqué. Comme il l’a fait avec François je pense. Il était n°1. Quand vous êtes débutant vous écoutez, vous regardez, vous interprétez, vous essayez de suivre la trajectoire de quelqu’un.
Mais Stewart, c’est un garçon qui a peu roulé. Si vous regardez son époque, il roule peu. Très peu. Mais il est trois fois champion du monde. Ce qui n’est pas anodin. Mais il roule peu.

Peut-être que son plus grand succès est d’avoir joué un rôle important avec Hill, Brabham et d’autres qui étaient les pilotes de pointe à l’époque, dans la modification de la prise en compte de la sécurité des pilotes.

Vous êtes allés à Francorchamps, si on vous interroge sur la différence entre hier et aujourd’hui, je réponds que c’est le jour et la nuit. Point ! Pourquoi ? Simplement un fait : dans les années 60 , mi-60 et avant bien sûr, vous devez penser aux Fangio, Gonzales, Moss, Carracciola… La sécurité c’était une botte de paille. Si vous dîtes ça aujourd’hui, pour faire joli on met des bottes de paille quelque fois dans les courses classiques. Mais il y a autre chose.
Alors ce groupe avec Stewart en tête et j’ajouterai sûrement Jean-Marie Balestre dans les années 80. ll était quand même le pouvoir, le diktat du pouvoir sportif incarné.  Ils ont fait ce qu’on voit aujourd’hui. Faire de la course automobile avec une sécurité passive ( Combinaisons de voitures, pistes élargies, rails etc… ) qui fait qu’on peut rouler aujourd’hui, en principe , sans se faire trop mal. Il faut aussi prendre conscience que la fatalité et l’addition des différents composants font qu’avec la vitesse à laquelle on roule ça arrivera peut-être encore. Mais ça n’a aucune mesure avec ce que nous avons vécu.

Si vous parlez de Stewart, c’est donc ça que je dirais, il est trois fois champion du monde, il a grandement contribué à la sécurité des courses. Et par ailleurs il a introduit la culture du professionnalisme et du soin dans la communication
Ce groupe de pilotes ( Hill , Brabham etc..) et l’apparition en 1968 de Gold Leaf Team Lotus, première apparition d’un sponsoring d’équipe, nous dirigent vers le professionnalisme de la course automobile telle qu’elle est aujourd’hui.

Jackie Stewart 1969 ©DR

A suivre…

Notes :

1 : Alfons Alt : Né à Illertissen (Allemagne), en 1962. Alfons Alt revisite des procédés anciens de la photographie avec une technique de tirages uniques qu’il a baptisé “Altotype”. Le procédé photographique est pigmentaire et non argentique. Il choisit les sujets derrière son appareil photo et intervient ensuite sur ses tirages en tant que chimiste, graveur ou peintre et utilise de nombreux supports : toile, papier, bois, porcelaine, verre, cuivre, zinc…
Ses œuvres sont présentées dans différentes galeries européennes et plus particulièrement en France et en Allemagne. Elles ont été acquises par de nombreuses collections publiques et privées. Auteur de plus de 4000 oeuvres, il a aussi publié douze ouvrages.
Alfons Alt exposait le jour de l’interview à la galerie Bel Oeil à Monaco, il a accepté de nous
Galerie Arcturushttps://altotypist.com/studio/https://reseau-dda.org/fr/artists/alfons-altLinkedin Bel Oeil

2 : Thierry Coulibaly : Petit garçon, il assiste de l’extérieur aux préparatifs des 24 Heures du Mans. Jean-Claude Andruet l’aperçoit et le fait entrer dans les stands avec lui. Ca changera le cours de sa vie. Il devient photographe professionnel de sport automobile, a écrit deux livres.

3 : Carl Haas : Carl Hass était le propriétaire de l’écurie Carl Haas Racing Team. Son écurie a reporté les titres CanAm de 1977 à 1980 avec Patrick Tambay, Alan Jones, Jacky Ickx puis à nouveau Patrick Tambay. Il s’est ensuite oriente vers l’Indy où il a été associé à Paul Newman.

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