Si nous attribuions un titre à cette rubrique, nous pourrions l’intituler « Le livre du mois ». D’ailleurs c’est ce que nous allons faire. Il s’agit donc de la reprise, sous la coordination de Michel Vanderveken, des écrits de Jacques Ickx, publiés dans le journal « Les Sports » en Belgique, entre 1948 et 1951.
Ce livre nous a intéressés à plus d’un titre. Les billets qui le composent sont brefs et fins dans leur analyse. Ils reflètent l’ambiance de l’après guerre, des points de vue matériel et psychologique. Ils laissent entrevoir l’avènement d’une société qui va être de consommation et dont les écueils pourraient justement être évités par les valeurs morales et les vertus sportives que Jacques Ickx, avec une certaine prescience, met sagement en avant.
Olivier Rogar
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Jacques Ickx – Tout autour de nous – Editions Mols
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Nous avons aimé
Est-ce pour ne pas totalement désespérer de la nature humaine que nombre de gens, ayant vécu un ou deux conflits mondiaux, ont une fois la paix revenue, été à nouveau capables de tout miser sur l’homme et sa capacité d’ascension ?
En faisant leur ce devoir impérieux de penser que l’intelligence et la volonté peuvent aussi faire le bien, ils ont transcendé la faiblesse de l’être humain en l’élevant à une conscience supérieure.
Sur les pas de Teilhard de Chardin, Jacques Ickx, né en 1910, a le don par ses écrits de replacer l’homme dans sa quête d’amélioration, dans sa détermination à relever les défis et dans sa volonté de surmonter les obstacles.
Reporter dès 1933, au journal belge « Les Sports », il rend compte bien sûr, mais il participe aussi. Premier champion de Belgique de motocross avant-guerre, vainqueur du marathon de la route Liège-Rome-Liège en 1951, avec John Claes, il partage avec ses lecteurs ce qu’il a observé, ce qu’il a ressenti.
Avec le temps et l’expérience, il n’hésite plus à se mettre à la place des sportifs qu’il suit. Il est dans leur esprit, capable de décrire les ressorts de leur psychologie, expliquant mieux leurs résultats, voyant même parfois leur avenir.
Ce trait de caractère se renforcera et s’affinera l’amenant, entre 1948 et 1951, à produire des billets qu’on pourrait qualifier d’humeur, toujours publiés dans le journal « Les Sports ».
Ses observations vont au-delà de son environnement sportif, embrassant des faits de société, notamment le rôle de la femme, l’éducation des enfants, les relations père-fils, l’automobile, l’aviation, sans oublier bien sûr, les vertus du sport.
Ces billets, aussi intéressants qu’agréables à lire, balisés par d’évidentes valeurs morales, permettent de comprendre ce à quoi aspirait une société éclairée au lendemain du conflit 1939-1945.
Ils nous font aussi penser aux parcours de Pascal et de Jacky Ickx, ses deux fils, dont il nous a été donné de constater que les valeurs et les paroles font justement écho à celles de l’humaniste que fut leur père.
Extraits
Pierre Clostermann – 2 décembre 1948
«Ce qu’il y eut de magnifique dans la conférence de Clostermann. C’est que ça n’en fut pas une, à aucun moment. Et ces souvenirs n’étaient pas les siens. Clostermann a parlé des autres. Il a rendu justice pour commencer à l’armée de l’air. Méjugée oubliés à cause de la défaite. Ils n’étaient que 600 chasseurs, ils ont totalisé 1000 victoires, mais 400 sont morts parce qu’ils ont été volontairement à la mort.
Non, la vie de ces aviateurs de guerre. Ne fut pas belle, elle fut terrible.
Ce sujet pesant, les écrasa [les auditeurs] littéralement pendant près de deux heures. Telle est la force d’un orateur qui n’en est pas un. Sa sincérité est plus puissante que tout l’art du monde».
Limite d’âge – 3 décembre 1948
Une limite d’âge imposée aux concurrents en sport mécanique. Voilà qui inspire à Jacques Ickx, une réflexion mettant en scène Tazio Nuvolari et Louis Chiron qui, en 1948, avaient l’essentiel de leurs carrières derrière eux mais restaient diablement compétitifs.
«En fait, une telle mesure est inutile, car un sportif a toujours à ses côtés un observateur bien informé et un juge infiniment plus compétent que la plus parfaite des commissions : sa propre personne.
Les dirigeants sportifs feraient sans doute œuvre d’utilité beaucoup plus générale en se préoccupant de fixer une limite d’âge pour leur propre fonction».
Père et fils – 24 mai 1949
Jacques Ickx au début du Grand Prix de Bruxelles observe «Amédée Gordini, debout auprès de la voiture de son fils. Quand le moteur fut mis en marche Amédée se pencha et père et fils s’embrassèrent sur les deux joues»
La présence d’un père, d’une mère peut être réconfortante. Demeurer seul témoin de ses propres courses peut être un constat de manque. Si Jacques Ickx, semble avoir sinon souffert, du moins n’avoir pu partager ses joies et ses peines avec ses parents dans ce domaine, Il met de côté ses regrets : « Puisqu’il me reste la seconde partie du programme à accomplir». Dieu sait qu’il a été entendu, ses fils en témoignant régulièrement.
La magie des 24 Heures [de Spa] – 9 juillet 1949
«Pourquoi ? C’est sans doute parce qu’aux 24 Heures chaque équipage lutte surtout avec lui-même et qu’il y a autant de triomphes sympathiques qu’il y a de voitures qui terminent.
La part du public est plus grande qu’ailleurs, il se sent plus étroitement lié à la grande aventure qui se déroule. Et le goût de l’aventure ne dort que d’un oeil en chacun de nous».