Nous retrouvons Jean-Claude Arnold et ses souvenirs du Meubles Arnold Team, précisément au début de l’année 1972.
Olivier Favre
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Comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, le projet pour la saison 72 était une écurie Hahne-Shell-Arnold avec Beltoise et Jarier en F2 et José Dolhem en F3. Mais Hubert Hahne renonce finalement et Marcel Arnold y va tout seul avec Jarier et Dolhem sur des March 722 F2. Mais avant d’évoquer la saison 72, il faut rappeler qu’elle est marquée par un changement majeur en F2 : exit les moteurs 1 600, place aux 2 litres « stock based », c’est-à-dire basés sur des moteurs de série. En l’espèce le Ford BDA qui est en situation de monopole, mais qu’une kyrielle de préparateurs va s’ingénier à gonfler au-delà du raisonnable. Le résultat en sera une épidémie de casses comme on en avait rarement vu dans l’histoire de la course.

Désillusions pour le Team Arnold
Classic Courses – Olivier Favre : Après cette bonne année 71, on aurait pu s’attendre à ce que Jaussaud continue avec vous.
Jean-Claude Arnold : Jaussaud était content de sa saison, mais il a dû se disputer avec mon père, ils ne se sont pas entendus pour 72. Il a fait un deal avec Potocki. Ils ont créé l’ASCA et acheté des Brabham, ce qui n’était pas une mauvaise idée. D’ailleurs en 72, dès la 2e ou 3e course de la saison, on a commencé à les soutenir moralement plutôt que nos bagnoles. Mon père les invitait à bouffer par exemple.
CC-OF : Il faut dire que de votre côté ce n’était pas la joie …
JCA : Je n’ai pas trop suivi tout ça, je m’occupais beaucoup plus de karting et de mes bagarres avec Patrese et Cheever que de bagnoles. Mais le début de saison a été catastrophique. On n’a pas terminé une seule des cinq premières courses.
CC-OF : Apparemment, vous aviez deux March mais un seul moteur. Vous n’engagiez donc qu’une voiture à la fois. D’abord pour Jarier, puis pour Dolhem avec un intermède Beltoise à Pau.

JCA : Dolhem et mon père, c’était pas du tout le grand amour. Mais il avait de gros moyens et il était un peu la roue de secours en cas de panne de budget. A force de voir que les moteurs – des Novamotor – n’avançaient pas ou cassaient, mon père en a eu marre, il a dit stop. Dolhem a proposé de reprendre les voitures, mon père a dit « OK, « vous vous démerdez avec les voitures, tenez-moi juste au courant ». Car les voitures étaient toujours à nous. Il a continué la saison, mais ça n’allait guère mieux. Même après être passé au moteur Armaroli. Quand il terminait, c’était très loin.
Jarier pilote d’essai
CC-OF : Fin juin Jarier a quand même fini 3e à Monza derrière Graham Hill, dont ce fut la dernière victoire.
JCA : Il avait déjà quitté l’écurie Arnold et était repassé en F3 chez La Vie Claire, mais Dolhem lui a prêté sa voiture pour cette course. Ce fut le seul bon résultat de la saison européenne.
CC-OF : A Charade, Robin Herd est impressionné par la course de Jarier en F3 et Mosley l’engage comme pilote d’essai pour March (https://www.classiccourses.fr/magazine/jean-pierre-jarier-march-mais-pas-ferrari-2/).
JCA : Oui, j’étais à Charade et je voyais passer Jarier, il était super vite dans les courbes rapides, c’était impressionnant.
CC-OF : ChrisAmon est pressenti pour un retour chez March en F1. Dans cette optique, fin 72 Marcel Arnold invite Mosley et Amon en Alsace pour un dîner censé sceller l’accord de sponsoring pour 1973.

JCA : Mosley, Amon et Jarier sont arrivés à l’aéroport de Strasbourg-Entzheim dans un bimoteur privé. Je les ai emmenés en DS à l’hostellerie Reeb à Marlenheim. On a trinqué débout pour l’apéro. Mosley était très agréable, il parlait bien français, ma mère était sous le charme. Il savait y faire ! L’idée était de faire courir Amon en F1 (et un peu en F2) et Jarier en F2.
Jarier et Arnold champions d’Europe
CC-OF : Mais Amon s’est fâché avec Mosley et a laissé tomber. Jarier a donc été le seul pilote d’usine March en 73, en F1 comme en F2. Avec aussi Beltoise pour quelques courses de F2.
JCA : Oui, mais ça se passait différemment sur le plan financier. Pour la F2 c’était un virement mensuel que mon père faisait à March, quels que soient les résultats. Pour la F1, une somme fixe avait été décidée, mais mon père avait découpé la saison en 3 tranches et décidé qu’il paierait en 3 fois. Si la voiture ne marchait pas, il ne payait plus ! Après le Ricard, il a décidé de ne plus payer, pas de 3e versement. Ils ont engagé Williamson à la place de Jarier. Après la mort de Williamson, Jarier a quand même fini la saison chez March, mais sans notre argent. Mon père n’avait plus rien à voir là-dedans.

CC-OF : Bizarrement, dès avant le Ricard, à Monaco par exemple, on ne voit plus de stickers Arnold sur la 731 de Jarier.
JCA : C’est vrai et je ne sais pas pourquoi. Peut-être que ça fritait un peu entre Marcel et Max … Et sur la F2 le sticker Arnold était le plus souvent juste derrière la roue avant. Or, comme la plupart des photos sont prises de ¾ avant, on ne le voyait pas.

Essais Matra
CC-OF : Tu te déplaçais de temps à autre sur les circuits et parfois, le hasard fait particulièrement bien les choses. Par exemple au lendemain du GP d’Italie en 1973.
JCA : J’étais allé à Monza avec ma copine et un copain. Comme on n’avait pas trop envie de rentrer, on a décidé d’aller à Albi pour la F2 le week-end suivant. On suivait la côte et à un moment je vois un panneau « Bandol ». Comme c’était l’heure du déjeuner, on trouve un restau avec une terrasse. On s’installe et qui je vois à la table à côté ? Beltoise ! Il était là pour les essais Matra au Ricard. Il me dit « Qu’est-ce que tu fais demain ? Viens aux essais ! – Mais faut pas un passe ? – Non, t’inquiète, j’me démerde ». On s’est pointé le lendemain, les deux Matra tournaient avec Cevert et Beltoise. Ma copine était sciée, mon pote était aux anges.

CC-OF : Vous avez ainsi pu voir François Cevert faire ses derniers tours de piste en Europe, avant de s’envoler pour Mosport, puis Watkins Glen.
JCA : Ensuite on est partis par le Massif Central. Une fois arrivés à l’hôtel à Albi, je cherche mon chéquier. Il était resté accroché à l’antenne radio (quand j’ai payé l’essence) et tous les chèques s’étaient envolés, sauf un ! Juste ce qu’il fallait pour payer l’hôtel ! Ensuite, il a fallu se faire inviter …
CC-OF : Et pour une fois Jarier n’a pas gagné !
JCA : Il a fait 2e mais il était encore plus heureux que son pote Brambilla ait gagné.

Bientôt la fin du Team Arnold
CC-OF : Comme les gens heureux n’ont pas d’histoires, on ne reviendra pas sur la saison triomphale (sept victoires) de Jarier en F2. Mais on peut rappeler que les meubles Arnold soutenaient une autre écurie en F2 cette année-là.
JCA : Oui, les Pygmée conduites par Migault et Patrick Dal Bo, le fils de Marius, qui dirigeait désormais l’écurie. Pour officialiser ça et faire un peu de buzz comme on dit aujourd’hui, j’avais invité Migault et Dal Bo dans mon magasin de Sarreguemines (que j’avais racheté à mon père), puis à la salle des fêtes communale devant 200 ou 300 clients et la presse.

CC-OF : Mais les Pygmée n’ont fait aucun résultat et la fin approchait pour cette courageuse petite structure qui ne termina pas la saison 73. Pour les meubles Arnold, c’est aussi un peu la fin : vous arrêtez la F1 et la F2 au terme de la saison 73. A cause du choc pétrolier ?
JCA : Oui, certainement. D’une part il était difficile de faire mieux en F2 et en F1 les coûts explosaient. D’autre part, le bizness de l’entreprise Arnold marchait moins bien. On a décidé de se concentrer sur les autres formules, rallyes et courses de côte avec l’écurie Lorraine-Rhin. En 74 on soutenait un peu Jarier, en lui offrant une cuisine par éléments par exemple. Mon père a songé à faire quelque chose avec Don Nichols, le boss de Shadow. Le courant passait bien entre eux. Par exemple en 76 à Long Beach, Nichols lui a fait faire le tour du paddock en lui présentant tous les patrons d’écuries, les Chapman, Tyrrell, … mon père était aux anges ! Mais Marcel a renoncé. Je suppose que ça devait coûter trop cher.
Formule Renault Europe
CC-OF : On vous voit réapparaître en 75 en Formule Renault Europe, dont c’était la toute première saison.

JCA : En 75 Dany Snobeck a contacté mon père et lui a proposé d’être co-sponsor aux côtés de l’UFP (Union Française des Pétroles). C’était au sein de l’écurie Armagnac-Bigorre, les pilotes étaient Snobeck et Couderc. C’étaient de belles courses avec Ragnotti, Pironi, Arnoux … On a fait un doublé Snobeck-Couderc à Nogaro en ouverture de saison. Snobeck aurait aussi pu gagner Monaco mais Pironi l’a dépassé lors d’une manœuvre un peu limite. On a aussi soutenu Bernard Béguin en coupe Simca-Shell et Manou Zurini qui a fait une saison de R5 Gordini en 76 pour le fun.

En dédiant cette troisième note à la mémoire de Patrick Dal Bo, disparu le 11 juin dernier, nous achevons l’histoire chronologique du Meubles Arnold Team proprement dit. Mais Jean-Claude a encore d’autres souvenirs à nous raconter. Rendez-vous dans quelques semaines pour la suite !
NOTE :
Jean-Claude dispose encore de nombreux exemplaires des stickers « Meubles Arnold Team » sur fond jaune qui illustrent ces notes. Il peut en envoyer moyennant paiement des frais de port. Que les lecteurs intéressés se signalent en indiquant leur adresse mail et le nombre d’exemplaires souhaités dans le formulaire de contact du site, qui transmettra à Jean-Claude.