Anna Maria Peduzzi
08/12/2025

Anna Maria Peduzzi : Amour, Courtoisie et voitures de course

La Stanguellini Sport 750 est maintenant dans la descente vers la mer, bientôt Cerda puis le passage devant les box pour entamer le quatrième tour de cette Targa Florio 1953. Dans cet enchainement de virages, au milieu de rien ou plutôt si, au milieu de cette nature sauvage grise et rose, sur cette route étroite bordée de caillasses, quel est l’élément qui provoqua le manque de concentration ?

Jean-Paul Orjebin

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Une femme blessée, un homme élégant

Ces deux ânes à droite, cette famille de paysans sous l’olivier et le gamin qui fait des signes aux pilotes, ce reflet du soleil sur le quartz de la pierre ? Anna Maria Peduzzi est bien incapable de se le remémorer. Elle a senti, dans cette courbe, sa voiture survirer plus que d’habitude, sa roue taper la grosse pierre que pourtant elle avait repérée. Elle a vu, sans pouvoir la contrôler, sa petite barquette sortir de la piste dans un fracas qui a fait se sauver les deux ânes en courant. L’auto est renversée…silence. Un brave homme assis depuis ce matin en contre-haut de la route se précipite, il note, amusé, qu’une roue avant tourne encore, comme dans les films, il aide l’accidentée à s’extraire de dessous sa voiture, il s’étonne de son gabarit frêle avant de comprendre qu’il s’agit d’une jeune femme. Anna Maria se dresse sur ses jambes tremblantes, regarde son auto devenue épave, le volant tordu, le moteur fumant ; elle s’effondre, la douleur dans la poitrine est trop forte et son bras gauche lui fait horriblement mal, normal, il est fracturé.

Ce qu’elle sollicite, au mieux, une ambulance, à défaut, un téléphone, peine perdue, sur ce circuit sicilien long de 72 km, à quelques exceptions près, on est toujours loin de tout.

Anna Maria Peduzzi – Targa Florio 1953 © DR

Elle ne se fait pas d’illusion. Qu’un coureur s’arrête et ruine sa propre course est très peu probable, elle espère seulement qu’un concurrent au passage des stands avertisse la direction de course de l’accident du concurrent N° 10.

Pourtant une Maserati A6 GCS freine en catastrophe, son pilote saute de son cockpit et vient sauver Anna Maria. Il l’aide à s’assoir avec délicatesse sur le petit siège passager de la Maserati, Anna Maria le connait, évidemment, c’est Luigi Musso.

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Dans une lettre ouverte, Anna Maria Peduzzi rendra un bel hommage au pilote romain qui en cette année 1953 démarrait sa première saison de Formule 1. Dans cette belle lettre, elle soulignait la grande générosité de ce « gentiluomo ». En descendant jusqu’à la mer, au croisement avec la route de Palerme, à très basse vitesse compte tenu de l’état de sa passagère, soit, une trentaine de kilomètres, cela lui faisait perdre un gros quart d’heure. Elle écrira :  Je veux faire connaitre à tous, sportifs et non sportifs, la bonté et l’âme exquise de Luigi Musso. Il a commis un acte extraordinaire et émouvant, quelques choses de rare qui fait croire en l’altruisme et la bonté des hommes.

Musso finira 11eme au classement de cette Targa 53, sans cet élégant sauvetage, il pouvait briguer le podium.

La Maserati de Musso – Targa Florio 1953 – Mecanicien debout à gauche , Giulio Borsari © DR

Anna Maria Peduzzi , la mysterieuse “Marocaine”

La vie d’Anna Maria est mêlée à celle de la course automobile, née à Come dans une famille d’entrepreneurs du Nord de l’Italie, sa vie sportive démarre en épousant en 1932 Franco Comotti, pilote automobile. Celui-ci participe en 1928 au GP d’Italie, en 1929 aux 500 miles d’Indianapolis, disparait après cela pour se consacrer au négoce de produits pétroliers, pour revenir au sport auto en 1932, signer un contrat de quatre ans avec la jeune Scuderia Ferrari, séduire puis épouser la belle Anna Maria Peduzzi.

Très vite, la jeune mariée s’inscrit dans les courses locales, circuits et courses de cote, pilotant l’Alfa Romeo 6C 1500 Zagato que lui avait offerte son mari. Elle monte en gamme et participe à sa première course internationale, la Gaisbergrennen , termine troisième. Elle sera créditée au palmarès d’un surnom : « La Marocchina » (la marocaine), sa silhouette mince, la peau de son visage mat, ses longs cheveux bruns ainsi que son air mystérieux évoquaient à tout le moins un personnage exotique. Le mythe de la Marocchina était né, à Salzbourg, au pied du Mont Gaisberg .

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Pilote de la Scuderia Ferrari

Elle devient célèbre immédiatement dans le milieu du sport automobile, tout le monde veut rencontrer la Marocchina. Quand Enzo Ferrari lui demande de porter les couleurs de son Ecurie, elle signe, sans savoir qu’elle entre dans l’Histoire, elle est la première femme à rejoindre la prestigieuse Scuderia Ferrari, elle a 21 ans.

Sa première course importante sera les 1000 Miglia 1934 sur une Alfa Romeo 6C 1500 SS tf Spider Brianza qu’elle partage avec son mari, lui aussi pilote sous contrat avec la Scuderia, ils finiront en tête dans leur catégorie 1500 et 13ème au général. Elle écumera les courses italiennes avant de quitter discrètement les pistes, victime, on le pense, d’une poliomyélite dont elle se rétablira malgré quelques séquelles, essoufflements chroniques et de fortes douleurs au bras.

Anna Maria Peduzzi – Alfa Romeo 6C 1750 © DR

En 1936, l’annonce de l’annexion de l’Ethiopie par l’Italie de Mussolini convint le couple Comotti-Peduzzi antifasciste de quitter leur pays pour s’exiler en France, à Paris. Pendant la seconde guerre mondiale Comotti reviendra en Italie pour rejoindre la résistance, il sera d’ailleurs fait prisonnier des nazis, il échappera de justesse à une exécution. On ignore où se trouve Anna durant cette période trouble, ce qui favorise l’hypothèse avancée par certains qu’elle ait suivi Franco et servi elle aussi la résistance. La légende dit que La Marocchina au volant de son Alfa transportait des tracts en faveur des alliés et qu’elle aurait défié des barrages de la milice fasciste en pleine nuit en poussant son 6C à la limite sur les routes lombardes. C’est beau, mais rien ne le prouve.

La guerre est terminée, place au sport

Anna Maria reprit la piste en 1952, à la course de l’Eifel au Nürburgring sur une Stanguellini-Fiat Sport 750 Bialbero, l’épisode est amer, alors qu’elle termine en tête dans sa catégorie, elle sera disqualifiée, car à la suite d’une petite sortie de route, elle avait sollicité une aide extérieure pour remettre sa voiture en piste. Malgré la légèreté de sa frêle Stanguellini, les séquelles de sa polio l’empêchant de le faire seule.

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En 1953 elle participe aux Mille Miglia et finira 3ème dans sa catégorie, toujours sur la Stanguellini 750. Nous savons pour l’avoir lu plus haut ce qu’il adviendra de sa première participation à la Targa Florio cette année-là.

Les années suivantes, elle courra essentiellement en course de côte et en Italie. Une rare incursion hors de son pays pour faire les 1000 kms de Paris. En équipage avec la championne belge Gilberte Thirion sur une auto autrement plus lourde et puissance que sa petite Stanguellini, même si elle vient elle aussi de Modène puisque c’est une Ferrari 500 TR. Elles finiront 10ème au général et remporteront la catégorie voiture de sport de moins de 2 litres.

Sa dernière participation fut la Coupe Ascari en 1961 sur une Alfa Romeo, comme à ses débuts. La petite Giulietta SZ, abandonnera au bout de 64 tours, ce 7 avril, son cher Franco lui aura offert comme à la fin de chaque course, victoire ou pas, un énorme bouquet de fleurs. Ils rentreront tôt, leur maison est à moins d’une heure de Monza.

Anna Maria Peduzzi
Anna Maria Peduzzi-EnzoFerrari-GilberteThirion 1956 © DR

Anna Maria et Gianfranco : une véritable histoire d’amour

Gianfranco Alessandro Maria Comotti dont la carrière dans le sport automobile et l’industrie pétrolière mériterait quelques lignes, décède le 10 mai 1963. Anna Maria reste seule dans leur propriété de Bergamo. L’atmosphère de mystère qui l’a accompagnée toute sa vie se resserre. Elle observe de loin le devenir du sport automobile. Elle sourit chaque 12 juillet en découvrant le mot d’anniversaire écrit à l’encre violette que lui envoi fidèlement l’Homme de Maranello. Elle repense à quel point Franco avait dû insister, de longues années auparavant, pour la faire monter à côté de lui dans son Alfa Romeo.

Elle s’éteint sereinement le 23 aout 1979 sans savoir de quelle manière Enzo Ferrari se souvenait de ce couple magnifique : « C’était une véritable histoire d’amour qui a commencé dans mon écurie ».

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