De la genèse du double-diffuseur – que nous explique Jacky Eeckelaert – à la recherche de sponsors, en passant par des succès et des passages à vide, la saison 2009 de Ross Brawn et de son écurie ne fut pas un long fleuve tranquille.
Bien que sérieusement concurrencé en seconde partie de saison par Red Bull, Brawn GP F1 Team remportera en 2009 un double titre de champion du monde en F1. Marquant notablement l’histoire de la F1. Mais il y avait eu des précédents en la matière. Sauriez vous dire lesquels ?
Olivier Rogar
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Double diffuseur suite…
Interview de Jacky Eeckelaert
Ingénieur présent chez Honda de 2006 à début 2009, Jacky Eeckelaert a fait partie de ceux qui ont travaillé sur le projet de la Honda F1 de 2009.
CC : Quand a démarré la conception de celle qui allait devenir la Brawn ?
J.E. : La conception de cette voiture a débuté en octobre 2007. Le changement de réglementation pour 2009 limitait la hauteur (donc l’expansion) de la partie centrale (largeur de 300mm) qui était libre avant.
Les tests faits en soufflerie par Honda avec ce nouveau dispositif réglementaire montraient une forte réduction de l’adhérence liée à l’effet de sol.
CC : C’est là qu’est née l’idée du double – diffuseur ?
J.E. : Il est ressorti de ces tests une idée consistant à créer des lumières verticales dans le « step » du fond plat (entre la partie centrale basse et les parties latérales hautes). Elles servaient à alimenter le double diffuseur.
Cela a recréé l’appui aérodynamique perdu à cause de la modification de la taille du diffuseur qui était sensé être unique. Là on s’est trouvé en présence d’un double diffuseur, l’un au dessus de l’autre. En fait on peut dire que ce qui avait été perdu en largeur a été regagné avec ce dédoublement.
CC : Ross Brawn n’est donc pas à l’origine de cette idée ?
J.E. : Ross Brawn a trouvé cette innovation en arrivant. Charlie Whitting, responsable technique de la Formule 1 – FOM – en a confirmé la légalité.
L’efficacité de ce dispositif était accentué par la compacité et l’implantation basse de la boîte de vitesses de la Brawn.
CC : Honda était-elle la seule écurie à avoir développé cette idée ?
J.E. : Toyota et BMW avaient trouvé la même astuce mais n’avaient pas une boîte aussi bien positionnée. Donc leur double – diffuseur était moins efficace.
CC : n’a pas du être facile pour Honda de constater qu’ils avaient renoncé si près du but ?
J.E. : Je les ai quittés en février 2009 et n’avait plus la possibilité de travailler sur les circuits jusqu’au terme de l’année. Il est certain que ça a du être une grosse frustration pour eux…
Début de saison
Virgin, Bridgestone, Henri Lloyd, apparaissent comme sponsors sur la blanche livrée de la petite F1. Par contre il y a du rififi côté droits télévisés qui sont ceux acquis par Honda en 2008. Avec 140 millions de dollars Brawn GP Formula One Team a le budget le plus faible du plateau, à l’instar de Toro Rosso et de Force India, mais l’équipe dispose par contre de la voiture la plus aboutie qui a probablement bénéficié du budget de développement le plus important (150 à 200 millions de dollars).
En Australie pour le premier grand prix de la saison la jeune marque inscrit directement son nom sur les tablettes des records : pole et deuxième temps aux essais suivis des première et deuxième places en course ! Seuls Alfa-Romeo en 1950 à Silverstone et Mercedes en 1954 à Reims avaient réussi un tel exploit. Wolf avait également remporté sa première course en 1977 avec Jody Scheckter mais sans partir de la pole. Les Japonais de Honda doivent vivre l’exploit avec quelque amertume. Quant à Ross Brawn selon Jenson Button, il en reste sans voix pendant un quart d’heure.
En Malaisie Button est à nouveau en pole, Barrichelo part de la huitième place. Nouveau doublé en course bien que celle-ci ait été arrêtée du fait de pluies diluviennes.
En Chine, sponsors supplémentaires avec MIG et Ray-Ban, les Brawn finissent quatrième et cinquième, puis première et cinquième à Bahreïn. Avant la saison européenne Jenson Button a remporté trois GP sur quatre et domine le championnat tandis que Barrichelo moins en verve est deuxième.
Saison européenne
A Monaco, Button et Barrichelo réalisent un nouveau doublé. Puis Button remporte en Turquie son 6e succès de la saison. Il faudra attendre le GP d’Europe en Espagne pour voir une Brawn remporter un nouveau Grand Prix. Avec Barrichelo cette fois. Il réitèrera sa performance lors du GP d’Italie à Monza.
Pourtant les sponsors se bousculent à la porte de l’écurie et Nick Fry fait monter les enchères. On peut lui faire confiance. Les pilotes gratuits ou presque en début de saison se voient enfin rémunérés.
Brawn et Button champions
Il est un fait, c’est que la concurrence s’est mise en marche tant en organisation qu’en technique et en aérodynamique. À ce jeu, les plus durs opposant à la marche triomphale de Brawn Grand Prix seront les Red Bull de Sébastien Vettel et Marc Weber qui remporteront les GP de Chine, de Grande-Bretagne, du Japon, d’Abu Dhabi avec Vettel et d’Allemagne et du Brésil avec Weber. Tandis que Hamilton remportera La Hongrie et Singapour pour McLaren, Raikkonen sauvera l’honneur pour la Scuderia avec sa victoire à Spa.
En remportant les trois derniers grands prix de la saison Red Bull annonce la couleur pour 2010 et les années qui suivront. Mais 2009 est toujours la saison de Brawn GP Formula One Team. Jenson Button après son tonitruant début de saison et ses six victoires, continue d’accumuler les points sur la seconde partie de saison même s’il n’est plus victorieux : il gagne le championnat avec 95 points tandis que Ruben Barrichello est troisième avec 77 points et deux victoires. Entre eux s’intercale Sébastian Vettel avec 84 points et quatre victoires.
Côté constructeurs Brawn GP Formula One Team remporte largement le championnat avec 172 points et huit victoires en étant la seule équipe à avoir marqué des points lors de chaque Grand Prix. Red Bull inscrit le score très honorable de 153.5 points et six victoires.
Un exploit sans lendemain ?
Comme on l’a vu, la Brawn GP 001 a bénéficié de l’un des plus forts budgets de développement de toutes les voitures en lice pour la saison 2009. Par contre l’écurie Brawn GP Formula One Team a eu malgré l’apport constant de nouveaux sponsors en cours de saison, l’un des budgets d’exploitation les plus faibles de toutes les écuries.
Comme cela arrive de temps en temps – on peut notamment se rappeler du tonitruant début de saison de Ligier en 1979 – l’écurie bénéficiait d’une avance technologique liée au double diffuseur qu’elle n’a pas été en mesure de faire évoluer en cours de saison.
Cette avance a donc fondu au fur et à mesure du déroulement du championnat. Les concurrents prenant la mesure de cette innovation et disposant d’équipes techniques plus étoffées permettant de graduellement rattraper leur retard initial.
À ce jeu c’est effectivement Red Bull qui a très largement dominé la deuxième partie de la saison et mis en place une technologie lui permettant de conserver cet avantage au cours des saisons qui ont suivi.
On ne peut pas dire que cet exploit soit resté sans lendemain. En effet, d’un côté Ross Brawn est en discussion avec Mercedes tandis qu’il reste extrêmement proche de Michael Schumacher. De l’autre Jenson Button veut une substantielle augmentation de sa rémunération. Enfin Mercedes est désireux de s’impliquer comme constructeur. Tout cela conduit à l’annonce le 16 novembre 2009 du rachat par le groupe Daimler de 75,1 % de l’écurie Brawn GP Formula One Team aussitôt renommée Mercedes Grand Prix.
Les pilotes sont Rosberg qui avait déjà négocié son contrat, mais qui a la surprise de voir Schumacher le rejoindre. Ce dernier annonce présomptueusement son objectif de donner le titre mondial à Mercedes à l’issue de son contrat de trois ans. Mais ceci est une autre histoire.
Vous avez dit ca$$e ?
Souvenons-nous des premiers mois de l’année 2009 et de la difficulté qu’a eue Ross Brawn à rassembler un tour de table suffisant au rachat de l’écurie Honda. Au terme de la saison 2010, à l’heure du bilan, grâce aux nombreux sponsors mobilisés en cours d’année et à une gestion prudente, Brawn GP Formula One Team a réalisé un bénéfice de 98,7 millions de Livres. Cela a permis de verser 20 millions de Livres aux actionnaires qui en avaient prêté 4,5 en début d’année.
D’un autre côté Daimler reprend directement 45,1 % du capital de l’écurie pour la somme de 75 millions d’euros tandis que le fonds d’investissement Aabar actionnaire à 9 % de Daimler, prend en direct 30 % de l’écurie pour la somme de 50 millions d’euros. Restent 24,9 % à Ross Brawn et ses associés. Ils céderont le solde de leurs actions dès février 2011. À ce moment Daimler possèdera 60 % de l’équipe et le fonds d’investissement Aabar 40 %.
La saison 2009 se traduit pour Ross Brawn par un exploit sportif quasiment sans précédent et par une superbe opération financière. Que demander de plus ? Prochain épisode avec Toto Wolff ?…
Au fait, Ross Brawn fin 2009 : 17 titres de champion du monde !