4 juillet 2019

1979 – Björn Waldegård : enfin un champion du monde des rallyes !

Alors que les Grands Prix ont couronné un champion du monde des conducteurs à partir de 1950, les rallymen ont dû attendre presque trente ans de plus pour qu’un titre mondial soit décerné au meilleur d’entre eux. En 1979 cette lacune est enfin comblée. Et de la plus belle des manières, puisque la couronne échoit à un homme unanimement apprécié et reconnu par ses pairs.

Olivier Favre

Björn Waldegård
Björn Waldegård, époque Toyota (années 80) – © DR

Dès 1953 un championnat d’Europe des conducteurs de rallyes est créé. Mais à l’époque le rallye est peu médiatisé et concerne surtout des gentlemen-drivers qui s’engagent à titre privé. Dans les grands rallyes comme le Marathon de la Route (Liège-Rome-Liège), véritable épopée européenne, les Willy Mairesse, Olivier Gendebien, Helmut Polensky, Robert Buchet, … peuvent exprimer leur talent de pilote mais aussi leur endurance physique. Ce sont des polyvalents, que l’on voit aussi au Mans, en courses de côte, voire en monoplaces.

Björn Waldegård
Hopkirk-Liddon – Mini Cooper – 1er Monte-Carlo 1964 – © DR

Vers le scratch

C’est au début des années soixante, avec l’arrivée des équipes officielles (Saab, Volvo et surtout BMC avec les Mini Cooper) et des acrobates nordiques (les Suédois Carlsson, Söderstrom, Trana, les Finlandais Aaltonen, Mäkinen, Toivonen), que les pilotes se spécialisent davantage et acquièrent une certaine notoriété en tant que rallymen. Parallèlement, les rallyes abandonnent progressivement les règlements abscons où l’on mêle performance, régularité, maniabilité, afin de tenter d’équilibrer les chances entre la petite berline et la grosse GT. Puis, enfin, à la fin des années soixante, on passe au classement scratch intégral. Fini les finasseries, place au chronomètre, seul juge des mérites de chacun. 

Björn Waldegård
Waldegård-Helmer – Porsche 911 S – 1er Monte-Carlo 1970 – © DR

Avec la généralisation des notes et de l’assistance, le rallye se professionnalise et le championnat d’Europe des marques voit le jour en 1968. Il devient rapidement international (1970) et enfin mondial (1973). D’abord limité à l’Europe et à l’Afrique, il va vite concerner tous les continents (1). Mais, au milieu des années 70 les pilotes, eux, en sont toujours à leur championnat d’Europe. Un championnat peu médiatisé, au calendrier pléthorique (30 épreuves en 1975), aux règles compliquées (coefficients différents selon la difficulté des rallyes) et qui n’est en général l’objectif que de 2 ou 3 pilotes, le plus souvent engagés par des écuries privées. Aussi la FIA finit-elle par se dire qu’il faudrait peut-être créer une distinction de niveau mondial. Timidement, elle commence par instituer une coupe FIA en 1977.

Coupe FIA : ni fait, ni à faire

On peut à bon droit se demander comment la FIA a pu pondre un règlement aussi alambiqué. Jugez plutôt : il y a trois catégories de rallyes : les 11 du championnat du monde constructeurs (dits de la catégorie A), plus 5 du championnat d’Europe (catégorie B) et enfin 4 autres choisis par la FIA (sur quels critères ? Mystère …) pour former la catégorie C. Soit 20 épreuves au total. Chaque pilote peut comptabiliser au maximum ses huit meilleurs résultats : cinq des rallyes A, deux des rallyes B et le meilleur des rallyes C. Jusque-là, pourquoi pas ? Mais il y a plus contestable. D’une part, il n’y a pas de coefficient, alors que le niveau, tant qualitatif que quantitatif, varie considérablement entre tous ces rallyes. D’autre part, un pilote ne peut se contenter de participer qu’à une seule catégorie de rallyes, sous peine d’être pénalisé.

Voilà un système qui semble conçu pour favoriser les injustices. Et ça ne va pas louper ; bien qu’ayant marqué 39 points, soit 8 de plus que Sandro Munari, Björn Waldegård est lourdement pénalisé pour n’avoir participé à aucune manche du championnat d’Europe des Rallyes : les 9 points de l’une de ses trois victoires en championnat du monde (Safari, Acropole, RAC) lui sont retirés. C’est donc Munari qui décroche la coupe, pour un petit point. Munari qui a certes gagné le Monte-Carl’ pour la 4e fois, mais qui a aussi récolté 9 pts grâce à sa victoire dans le bien plus modeste rallye d’Afrique du Sud. (2)

Björn Waldegård
Waldegård-Thorszelius – Ford Escort – 1er Safari 1977 – © DR

Absurde et inique ! En fin de saison, personne ne s’y trompe, c’est bien Björn Waldegård le pilote de rallye de l’année. Pourtant, apparemment nullement dérangée par cette aberration, la FIA reconduit les mêmes modalités en 78. Mais cette fois au moins, l’identité du vainqueur, Markku Alen, ne souffrira aucune contestation. Néanmoins, cette coupe reste une formule bancale. On passe donc à un vrai titre mondial en 1979, calé sur les mêmes 12 épreuves que le championnat des marques. Alléluia ! La FIA peut parfois faire simple. (3)

Mikkola – Waldegård, rois des polyvalents

En cette année 1979, Hannu Mikkola et Björn Waldegård sont camarades d’écurie, aussi bien chez Ford que chez Mercedes qui fait son grand retour en visant les rallyes africains avec le coupé 450 SLC. Comme ces deux constructeurs vont dominer leur sujet, la saison va être marquée par le duel de leurs pilotes de pointe. Il est particulièrement bienvenu que le premier titre de champion du monde revienne à l’un de ces deux hommes, qui sont certainement les deux meilleurs rallymen de la décennie. Car cela fait dix ans que Waldegård et Mikkola tiennent le haut du pavé dans les grands rallyes.

Björn Waldegård
La dream team Ford en 1979 : Vatanen, Waldegård, Mikkola, Brookes – © DR

Le Suédois comme le Finlandais sont à l’aise sur tous les terrains et ont conduit pour diverses marques. Mais le talent de Waldegård semble particulièrement s’accommoder de tous les types de voiture : moteur en porte-à-faux arrière (911), moteur central (Stratos), propulsion à moteur avant (Escort) ; peu importe l’architecture, le grand Suédois est toujours aux avant-postes, avec son coéquipier emblématique, le barbu Hans Thorszelius. Après sa glorieuse période Porsche (2 victoires au Monte-Carlo en 1969 et 70), sa carrière a certes connu un creux au début des années 70, quand il faisait des piges chez divers constructeurs (Fiat, Volkswagen, BMW, Toyota), sans résultat notable. Mais elle a trouvé un nouvel élan dans sa rivalité avec Munari chez Lancia, ce qui lui a permis de rebondir chez Ford. A la fois rapide et sûr, Björn Waldegård est le pilote que tous les team-managers rêvent d’avoir dans leur équipe.

Björn Waldegård
Waldegård-Thorszelius – Lancia Stratos – 1er San Remo 1976 – © DR

Quant à Mikkola, ses états de service sont davantage associés à la Ford Escort 1ère mouture, à laquelle il a donné des succès retentissants au début des années 70 (Londres-Mexico 1970, Safari 72). Ensuite, il a dû lui aussi faire le mercenaire pour plusieurs marques. Avec plus de succès que Waldegård, notamment en 1975, qui fut pour lui une année éclectique et réussie : 2e du Monte-Carlo pour Fiat, vainqueur au Maroc pour Peugeot et aux 1000 Lacs pour Toyota. Mais depuis lors son palmarès peinait à s’étoffer, jusqu’à sa victoire au RAC fin 1978 avec l’Escort 2e version, juste devant Waldegård d’ailleurs !

Björn Waldegård
Mikkola-Palm – Ford Escort – 1er Londres-Mexico 1970 – © DR

Mikkola – Waldegård, duel de géants

Ce sont donc deux pilotes en pleine confiance qui débutent la saison 79 avec Ford. Deux fois battue par Fiat en 77 et 78, la firme américaine entend bien décrocher le titre cette fois. Comme d’habitude, la saison débute sur les routes de l’arrière-pays niçois. Les Ford dominent quasiment toute l’épreuve, mais la dernière nuit du « Monte » laisse la place à l’irrationnel : les forces de l’ordre qui font du zèle envers Mikkola, pénalisé de 5 minutes pour conduite dangereuse, un Darniche en état de grâce avec sa Stratos et la bêtise crasse de quelques spectateurs qui placent deux grosses pierres sur la route pour ralentir Waldegård, finalement battu pour 6 petites secondes.

Björn Waldegård
Waldegård-Thorszelius – Ford Escort – 2e Monte-Carlo 1979 – © DR

Björn Waldegård est encore 2e en Suède derrière Blomqvist puis au Portugal derrière Mikkola, cette succession de podiums lui permettant de prendre la tête du championnat. Au Safari, les Mercedes flirtent avec la victoire, mais Mikkola doit s’incliner devant la Datsun de Shekhar Mehta. Combinée avec la 6e de Waldegård, la 2e place du Finlandais met les deux hommes à égalité (51 points) après quatre épreuves. Le mano a mano se poursuit dans les deux rallyes suivants : à l’Acropole Waldegård marque les 20 points de la victoire (Mikkola a abandonné) et en Nouvelle-Zélande c’est le Finlandais qui s’impose en l’absence du Suédois. En effet, en vue de limiter les coûts et d’équilibrer les chances, il a été convenu chez Ford dès l’entame de la saison que chacun des deux rivaux ne ferait qu’un seul des deux déplacements lointains.

Mano a mano

Cela fait donc 71 partout à mi saison ! Björn Waldegård semble pourtant prendre le large à la fin de l’été : 3e aux 1000 Lacs (Mikkola out), vainqueur au Québec (Mikkola passait son tour), le voilà à 103 points contre 71 à Mikkola à deux épreuves du terme (Ford ayant fait l’impasse sur le San Remo et le Tour de Corse). Mais le RAC se passe mal pour Waldegård : 9e seulement, alors que Mikkola l’emporte.

Björn Waldegård
Mikkola-Hertz – 1er RAC 1979 – © DR

Au départ de la 12e et dernière manche, le rallye de Côte d’Ivoire, Björn mène face à Hannu, 105 à 91. Mais seuls les 7 meilleurs résultats seront comptabilisés pour le titre. Aussi l’avance du Suédois est-elle en trompe-l’œil, car il a déjà marqué huit fois, au contraire de Mikkola (6 fois). Au moins, le calcul est simple : il peut se contenter de finir 2e derrière Mikkola. Il décomptera alors 8 points mais en conservera un d’avance sur son équipier. Et c’est exactement ce qui va se produire : les Mercedes écrasent le rallye : 1er Mikkola, 2e Waldegård, 3e Cowan, 4e Preston ! Sport-Auto titre même : « Le retour de l’Afrika Korps » !

Björn Waldegård
Waldegård-Thorszelius – Mercedes 450 SLC – 2e Côte d’Ivoire 1979 – © DR

Björn Waldegård a terminé 9 fois dans les points en autant de participations, dont sept fois sur le podium. Superbes régularité et fiabilité ! Certes, Mikkola a gagné un rallye de plus que le Suédois, mais celui-ci aurait dû gagner le Monte-Carlo. Les deux hommes ont dominé la saison de la tête et des épaules, reléguant le 3e, Markku Alen, qui n’est pas n’importe qui, à plus de 40 points.

Il ne pouvait y en avoir qu’un : Björn Waldegård !

Tous deux méritaient le titre. Mais il ne pouvait y avoir qu’un seul champion. Et il est heureux que ce soit Björn Waldegård. D’abord parce qu’il tutoie les sommets de la discipline depuis 10 ans et que l’injustice de 1977 est ainsi réparée. Ensuite parce qu’il n’a que des amis dans le petit monde des rallyes où, en plus d’être reconnu pour son talent, le « grand blond » est unanimement apprécié pour ses qualités humaines. Enfin parce que, l’avenir le prouvera, c’était pour lui la première et dernière occasion d’être champion du monde. En effet, si sa carrière se prolongera encore durant dix ans, Waldegård privilégiera bientôt les rallyes africains, où son expérience et sa science du terrain compenseront son manque de vitesse face aux jeunes loups (4). A contrario, Mikkola aura avec l’Audi Quattro une seconde chance de coiffer la couronne et il ne la manquera pas en 1983.

Björn Waldegård
Waldegård-Thorszelius – 2e Portugal 1979 – © DR

Notes :

(1) L’Amérique du Nord (Press on Regardless aux Etats-Unis en 73, Rideau Lakes au Canada en 74, puis Critérium du Québec en 77), l’Océanie (Nouvelle-Zélande en 77), l’Amérique du Sud (Argentine en 80, Brésil en 81). Mais, arrivant comme un cheveu sur la soupe dans des pays sans tradition « rallystique », ces rallyes exotiques sont rarement des succès, que ce soit en termes d’organisation, de niveau de participation ou d’intérêt du public. Ils ne restent donc pas longtemps inscrits au calendrier. Mais le mouvement est lancé et débouchera 15 ans plus tard sur la véritable mondialisation du rallye, avec des épreuves régulières en Argentine, Australie, Mexique, … A contrario, l’Afrique, elle, disparaîtra du calendrier au début de ce siècle. Malgré leur légitimité historique, le Kenya ou la Côte d’Ivoire ne font pas le poids en termes de marchés face aux pays dits « émergents ».

(2) Une victoire qui plus est obtenue suite au déclassement de la Ford d’un équipage local, sur réclamation de Lancia.

(3) Mais pas pour longtemps : dès 1980, certaines épreuves compteront pour le titre pilotes, pas pour celui des marques.

(4) En remportant le Safari en 1990 (son 4e !), il deviendra le vainqueur le plus âgé d’un rallye du championnat du monde (46 ans et demi), record toujours en vigueur en 2019.

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