Grand Prix de France 1982
Classic Courses vous présente aujourd’hui un nouvel et jeune auteur : Benoit Casaert. Non, il ne s’intéresse pas aux youngtimers . Il est tombé tout petit dans un chaudron en forme de losange et, ma foi, il semble ne pas trop avoir envie d’en sortir. Nous avons un passionné de Renault F1 première époque 77-85. Epoque qu’il n’a pas connue. Passionné au point d’avoir consacré deux livres à cette période dont un chez ETAI. Nous en reparlerons et lui souhaitons la bienvenue chez Classic Courses.
Olivier Rogar
Le zenith du losange
Prost 1, Arnoux 2. Toute une génération se souvient aujourd’hui de ces panneaux. En ce 25 juillet 1982, l’équipe Renault-Elf est au faîte de sa gloire. La pole position et le doublé : comment rêver mieux ? Pourtant, le cauchemar n’est pas loin. Le score final du Grand Prix du Grand Prix de France 1982 est Arnoux 1 et Prost 2. René Arnoux a refusé délibérément de suivre les consignes de son écurie. Il a enfin remporté une victoire qui lui échappait depuis le Grand Prix d’Afrique du Sud 1980. Sur le moment, Alain Prost se sent trahi. Mais par la suite il comprendra qu’un pilote n’ayant plus gagné depuis longtemps refuse finalement de s’effacer. Il en veut davantage à la direction de Renault Sport, à Gérard Larrousse et à Jean Sage, qui élaborèrent cette stratégie de dupes, mettant les pilotes devant le fait accompli ( Interview Prost par Pierre Ménard en mai 2002 en vue du livre « Prost, la science de la course »). Le Grenoblois partira alors chez Ferrari. Le plus fantastique duo de l’équipe Renault-Elf ne se reformera plus jamais. Retour sur les belles années jaunes et noires.
Rétroviseur
En ce Grand Prix de France 1982, dans son rétroviseur, René Arnoux voit probablement, plus que la voiture de son coéquipier, les deux saisons passées défiler. Il se remémore sûrement la saison 1980, durant laquelle il avait remporté sa première victoire et les deux succès consécutifs de sa carrière grâce à la malchance qui s’était abattue sur son coéquipier Jean-Pierre Jabouille. Il avait été, lui, le benjamin de l’équipe Renault-Elf, en tête du championnat du monde. Une place normalement réservée au Grand Blond, Jean-Pierre Jabouille, le vétéran de l’équipe. Après le terrible accident au Canada de ce dernier, René était enfin devenu officiellement le n°1. Mais c’était sans compter l’arrivée d’un jeune loup très talentueux : Alain Prost.

Le futur Professeur est alors un élève surdoué. Il a toutes les qualités pour devenir le premier. Alors que René pilote « le nez dans le guidon », Alain garde toujours une vision globale de la situation, même à 300 km/h ! Gérard Larrousse et Bernard Dudot adoptent en décembre 1980 le jeune Prost comme le fils prodige. Le début de saison 1981 est très difficile pour l’équipe Renault-Elf. Seul Prost parvient à réaliser un podium en Argentine. René Arnoux, quant à lui, est encore plus mal loti que son nouveau coéquipier. Toutefois, le jour de ses 33 ans, le 4 juillet 1981, René a enfin réalisé la pole position à Dijon. La course ne se déroule hélas pas comme prévu. Le Grenoblois pourrait dépasser les voitures de tête sans problème. Oui, mais voilà : sa boite de vitesses reste obstinément bloquée au quatrième rapport, l’empêchant ainsi de passer la cinquième. Son coéquipier, Alain Prost a le même problème. Un violent orage se déclare et la course est interrompue. Il reste encore 22 tours à couvrir pour qu’elle soit terminée. Un second départ doit-être donné. Par chance, l’arrêt de la course va durer 45 minutes. Les réparations sont donc autorisées exceptionnellement dans ce laps de temps. Les boites de vitesses des deux voitures sont démontées. Gérard Larrousse ordonne alors une importante mobilisation pour débloquer la boite de vitesse de Prost, ce dernier étant mieux placé au championnat que son coéquipier. Celle de René Arnoux est simplement démontée et remontée. Prost gagnera le Grand Prix de France 1981 et Arnoux, toujours en but au même problème, devra se contenter de la 4e place.
Arnoux en tête
Mais cette fois-ci, en ce 25 juillet 1982, au Paul-Ricard, les positions se sont inversées. C’est enfin lui, René, qui a enfin toutes ses chances de gagner et c’est Prost qui est confronté à des problèmes de jupes coulissantes. Et ces panneaux lui demandent instamment de laisser la victoire lui échapper pour le profit d’Alain Prost. Or il a la victoire à porter de la main, elle qui lui échappait depuis 1980 et il va gagner envers et contre tout ! René décide donc d’aller jusqu’au bout. Il va donner à son équipe une bonne leçon : celle régie par l’implacable loi de la course. Gérard Larrousse n’avait pas à lui intimer l’ordre de laisser passer son coéquipier dans le cas où ils seraient tous les deux en tête de la course. Mais les fans de l’équipe Renault-Elf reprocheront à René Arnoux son manque de jugement et surtout son absence d’esprit d’équipe, sans connaître ses déboires passés. Si René Arnoux avait laissé passer Alain Prost, alors le cours de l’Histoire aurait été modifié : Le Professeur aurait eu encore toutes ses chances pour décrocher le titre-pilote, tant convoité par lui et toute l’équipe.

Mais ce jour-là, René pense uniquement en pilote et considère son coéquipier comme un adversaire. Alain, tout Prost qu’il est, doit accepter de s’incliner devant lui, quand bien-même les soucis mécaniques seuls expliqueraient son incapacité à le dépasser. René a enfin eu la chance qui lui avait manqué l’année passée. Pour lui, 1981 a été l’année Prost à bien des égards. Eh bien, 1982 sera son année, l’année Arnoux. Chacun son tour ! Pourtant Prost considère que la RE 30 B de 1982 est bien plus développée et compétitive que la RE 30 de 1981. Son seul talon d’Achille est le tristement célèbre petit moteur d’injection Renix qui casse trop souvent. A sa grande colère ! Il insiste pour le remplacer par un Magneti Marelli. Le fragile moteur Renix privera Prost de deux ou trois victoires qui lui auraient assuré le titre. À Dijon, en 1981, la RE30 était dotée d’un majestueux aileron avant d’une seule pièce positionné en porte à faux. Au Paul Ricard, la RE 30 B était dépourvu d’aileron avant sur son nez arrondi et n’avait pas besoin de moustaches. René Arnoux avait l’impression de piloter une véritable flèche roulante qui filait comme l’éclair et se maniait à merveille. Mais en cette année 1982, les « jupes » coulissantes dans les pontons latéraux des wing cars (appellation désignant les voitures de Formule 1 à effet de sol de 1978 à 1982) avaient mis grandement en péril la sécurité des pilotes. Gilles Villeneuve en perdra la vie le 8 mai 1982 à Zolder. Au essais du Grand Prix d’Allemagne, Didier Pironi en fera également les frais et ne remontera plus jamais de sa vie dans un cockpit de F1.
Dernier tour
Cette fois-ci, René Arnoux a presque course gagnée, sauf incident de dernière minute. Or René est confronté à un problème de jante à l’arrière. Il est obligé de lever le pied pour éviter que les vibrations engendrées ne fusillent définitivement ses pneus. Mais, tel un jeune premier, il n’a plus qu’une seule chose en tête : le bonheur de la victoire. Il se voit déjà sur la plus haute marche du podium. C’est l’aboutissement du rêve de tous les pilotes. Lorsqu’ils montent dans leur monoplace au départ de chaque course, ils projettent de gagner le grand prix et ce, sans aucune considération pour leur écurie. Ce qui pousse chaque pilote à monter dans sa voiture, c’est le rêve de ressentir un jour l’ivresse de la victoire. Ça y est ! René a gagné ! Il est heureux, comme si c’était la première fois ! Prost quant à lui est furieux et fait grise mine. Mais René éprouve semble-t-il quelques remords. Sur le podium, il sourit mais d’un air grave et tient sa coupe à deux mains. Le champagne ne coule pas à flot comme l’année passée. Quoi que …

L’ambiance dans l’équipe n’est pas à la fête comme pour la première victoire de Prost à Dijon en 1981. C’est pourtant le premier et cela restera le seul doublé de l’équipe Renault-Elf. Cette dernière est à son zénith, mais en même temps, le championnat va encore une fois lui échapper. Or l’équilibre et le succès de l’écurie reposait en majeure partie sur la bonne entente entre René Arnoux et Alain Prost. Une fois le lien brisé, l’équipe ne pourrait sans s’en relever à moins d’un miracle et ce dernier n’aura hélas jamais lieu. 1981 était un beau commencement et 1982 restera à jamais le rêve de ce qui aurait pu être et ne sera jamais réalisé. Les belles années jaunes et noires ne resteront alors dans l’Histoire que la parenthèse ensoleillée du temps des espoirs.
Benoît CASAERT
Pouvez vous expliquer quel rapport vous faites entre jupes coulissantes et les 2 accidents Villeneuve/Pironi ? Pour moi , il n’y en a strictement aucun . Le crash de Villeneuve est du à un accrochage avec une autre F1 qui rentrait au stand au ralenti alors que Gilles était à fond pour battre le chrono de Didier ( on était juste après IMOLA ), suite à une incompréhension de trajectoire de la part des deux pilotes . Quant à celui de Pironi : sous la pluie il n’a vu qu’au dernier moment la Renault de PROST , masquée me semble… Lire la suite »
D’accord avec vous Richard Jego, les accidents de Villeneuve et Pironi n’ont pas été la conséquence des jupes mobiles mais celle d’autres circonstances que vous rappelez avec exactitude.
C’est Derek Daly dans sa Williams qui passa par la droite la Renault de Prost au ralenti, laissant croire au malheureux Pironi qu’il se rangeait pour le laisser passer. La suite, on la connait. Non, ces deux accidents n’ont strictement rien à voir avec les jupes coulissantes.
Petit détail qui ne change rien à votre excellent message : il me semble que Villeneuve n’était pas à fond, il venait de finir son tour de qualif (sans succès) et était dans celui de décélération pour rentrer au stand … mais encore très vite, à sa façon.
Cette histoire d’accident alors qu’il essayait de battre Pironi semble être une légende qui s’est généralisée, tellement plus romantique et terrible, appuyant encore le trait du « méchant » Pironi.
(Attention, je n’affirme rien, j’ai juste me souvenir d’un article expliquant ça.)
je viens de voir, il y a quelque jour, un interview à Forghieri, qui est trasmise lors d’une exposition qui se tient à Milano en ces jours pour les 35 ans de la mort de Gilles. Bien, à propos de ce dernier tour en essaies à Zolder, Forghieri dit que Villeneuve avait desormait fini ses pneus, et que lui avait promis, (avant de se lancer pour le tour à 10 minutes de la fin des essaies) de rentrer après ce dernier tentatif qui ne lui permettait pas de partir devant Pironi. La sensation de Forghieri c’est que le pauvre Gilles,… Lire la suite »
Je crois au contraire que Gilles était reparti pour un tour de qualif en plus sur des pneus qui avaient déjà servis: Didier, qui aimait particulièrement le circuit de Zolder, était devant lui a la fin des essais. Jochen Mass, sur La March, était effectivement dans son tour de ralentissement.
Tout d’abord, merci pour vos commentaires. Je suis d’accord en majeur partie avec vous en sens que les accidents cités ont eu pour cause des circonstances malheureuses. Par contre, ce que j’ai voulu dire est que leur gravité aurait pu être atténuée avec des formules 1 à jupes fixes comme en 1981; ce que j’avais vu dans un documentaire sur Ferrari qui au passage surnommait la 126 C2, « le corbillard roulant ». La 126 C2 était montrée comme une monoplace certes très compétitive, mais beaucoup moins solide et sécurisée que la 126 CK de l’année précédente.
Celui qui avait surnommé la C2 de corbillard roulant devait être un fin analyste…
Vous corrigez la vous même l’erreur qui figure dans votre texte : les jupes coulissantes avaient été interdites fin 1980. Après l’épisode rocambolesque de la garde au sol qui devait être rehaussée pour les contrôles en 1981, les jupes étaient souples et non coulissantes en 1982 avant d’être interdites en 1983, en même temps qu’était imposé le fond plat. Quant au moteur Renix qui avait causé tant d’ennuis, les membres de l’écurie l’avaient rebaptisé le moteur Darty. Après le Grand Prix, les deux pilotes devaient s’envoler pour Paris pour fêter en même temps la victoire de Bernard Hinault dans le… Lire la suite »
Je suis tout à fait d’accord avec vous Monsieur Augier. Vous me semblez en savoir beaucoup sur cette époque que j’affectionne. J’aurais aimé discuter avec vous.
Bonjour Benoit , pour compléter votre article sur ce GP de FRANCE : J’y étais , dans les tribunes , et nous étions peu de spectateurs . Je n’ai jamais vu , ni entendu le speaker mentionner les consignes pourtant bien réelles . Devant ensuite rentrer chez moi , j’étais à un moment plus préoccupé par les fumées des feux de foret , la force du mistral qui attisait l’incendie et le ballet des nombreux CANADAIR que par la course . J’ai aussi retrouvé le Sportauto de la course , écrit par CROMBAC . J’en retiens quelques passages : »… Lire la suite »
Note de l’éditeur : Benoit Casaert avait corrigé cette phrase dans sa dernière version du texte mais suite à une incompréhension c’est l’avant dernière version qui a été mise en ligne. La phrase « Gilles Villeneuve en perdra la vie le 8 mai 1982 à Zolder. Au essais du Grand Prix d’Allemagne, Didier Pironi en fera également les frais et ne remontera plus jamais de sa vie dans un cockpit de F1. » n’aurait pas du figurer dans son texte. Veuillez nous en excuser.
Comme le dit Luc, c’est la seule fois où l’on a vu quatre pilotes français aux quatre premieres places d’un Grand Prix. Le quatrième en question étant Patrick Tambay. Remplaçant l’infortuné Gilles Villeneuve.
Par ailleurs je crois me souvenir que l’épisode Arnoux/Prost avait créé un clivage chez les passionnés. Avec deux clans évidemment, celui du populaire Arnoux et celui du calculateur Prost. Bref une passionnante époque de passionnés.
Pour compléter le propos, en Hollande en 1981 ,juste après la première victoire de Prost en Formule 1 à Dijon, le chef mécanicien d’Arnoux deviendra celui du futur Professeur . Le grenoblois admit d’autant moins cette manœuvre qu’il la portait au passif de son équipier, qui gagna coup sur coup à Zandvoort puis Monza. Au départ en Italie , et alors qu’il partait en pôle , Arnoux sera dépassé au freinage au mépris de la stratégie arrêtée avant course pour éviter tout accrochage ( comme Depailler et Jabouille quelques années auparavant au 500kms du Nurburgring en Groupe 6 ) .… Lire la suite »
Je crois également me souvenir que la tactique suivante avait été imaginée, proposée par le management de RENAULT avant la course, et acceptée par Arnoux qui était largué au championnat et en position de faiblesse au sein de son écurie: 1) Etant donné son classement au championnat, Arnoux devait jouer le lièvre pour mettre la pression sur les BRABHAM-BMW et les FERRARI. 2) Pour cela, Arnoux devait profiter d’un moteur évolué ou d’une pression de suralimentation plus importante qu’à l’habitude. 3) Prost ne devait pas rentrer dans le jeu et faire une course prudente. 4) Une fois la situation décantée… Lire la suite »
Alain Prost affirme dans plusieurs interviews que La voiture de René bénéficiait d’une pression de suralimentation supérieure afin de « faire courir » les Brabhams, qui s’essayaient alors à la stratégie du pit stop (départ avec une voiture légère et des pneus tendres).
Ce qui enragea Prost c’est qu’Arnoux avait accepté, avant le départ, de ne pas profiter de cet avantage au cas où les Brabhams casseraient, ce qui arriva.
Ce qui l’énerva plus encore, c’est qu’on lui attribua le personnage du mauvais perdant…
Bon article, cet épisode du Paul Ricard 1982 m’a toujours intéressé. Il fut apparemment un tournant quant à la réputation de Prost en France, puisque sa complainte (justifiée) d’après-course a été mal accueillie. Et le style généreux de « Néné » ne pouvait que plaire davantage au public face au pilotage calculé du Professeur. D’où le gag légendaire du pompiste le confondant avec Arnoux et disant « Vous avez eu raison Monsieur Arnoux, ce Prost est un vrai petit con qui croît que tout lui est dû ! ». Sans compter plus tard des menaces téléphoniques et des voitures brûlées devant son domicile !… Lire la suite »