UN GRAND PRIX À QUI PERD GAGNE
Depuis le début de la saison on guettait vainement les nuages qui pourraient provoquer un peu de désordre dans l’ordonnancement trop prévisible des Grands Prix. L’averse si souvent espérée a fini par se produire là où il était légitime de l’attendre, à Silverstone. Mais, paradoxalement, c’est elle qui a remis les choses à l’endroit pour conclure un scenario qui, pour une fois, était sorti des sentiers battus. Et, alors que l’on avait cru entrevoir un podium sur lequel les deux pilotes de Williams accompagneraient Hamilton, le chéri du public anglais, le Grand Prix de Grande Bretagne 2015 s’est achevé par le couronnement du classique trio Hamilton-Rosberg-Vettel. La pluie si ardemment espérée avait replacé la hiérarchie dans son ordre conventionnel.
Johnny Rives
Pour ordinaire qu’il paraisse, ce final n’a pas douché l’enthousiasme ressenti par le public de Silverstone (qui avait prévu les parapluies !) aussi bien que par celui assis devant les écrans de télévision. Chacun restait sur l’impression d’avoir enfin vécu de l’inédit. L’écurie Williams en avait été la principale instigatrice, même si, au bout du compte, elle dut se contenter de bien peu. Julien Fébreau s’était époumoné dès le départ quand les deux Mercedes étaient restées une fraction de seconde comme engluées sur leurs positions de départ. Felipe Massa et Valtteri Bottas en avaient profité avec vivacité pour leur subtiliser la vedette. Brièvement 2e, Bottas avait ingénument rendu cette position à Hamilton en lui ouvrant généreusement le passage dans le premier virage serré. Mais il allait opportunément récupérer son bien quand, mobilisée à cause d’un cafouillage à l’arrière, la voiture de sécurité s’effaça. Ardent de se montrer sous son plus beau jour à un public déjà acquis à sa gloire, Hamilton délivra un assaut si impétueux au leader Massa qu’il se retrouva… sur le gazon. Mais Silverstone n’est pas Wimbledon, et Hamilton n’est pas Murray. Si bien qu’il dut couper son élan pour revenir en piste au grand bonheur de Bottas qui ne se fit pas prier pour lui repasser devant.Ce fut le début d’une fiesta des Williams maîtrisant imparablement les Mercedes, tandis que les Ferrari emmenées par Raïkkonen s’avéraient incapables de se hisser au même niveau de performances.L’étonnante sarabande de Massa et Bottas devait prendre fin aux changements de pneus, quand l’ensemble des pilotes dut troquer les « tendres » chaussés au départ pour des « durs ». L’affaire coûta 2’’4 d’arrêt à Hamilton (20e tour) et 3’’8 à Massa (21e). Résultat : au 22epassage, le public de Silverstone exultait, son favori était sur une voie royale.C’était sans compter sur un second coup de théâtre : au 32e tour, une panne du vaillant mais infortuné Carlos Sainz II incita la direction de la course à recourir à l’inédit système du « safety car virtuel » contraignant tous les pilotes à modérer leur vitesse de façon drastique sur la totalité du circuit. Cela ne dura guère plus d’un tour, mais fut suffisant pour faire chuter la température de certains pneus. Hamilton parut, plus que les autres, souffrir de cet inconvénient. D’autant que les premières gouttes de pluie n’arrangeaient pas cette situation, au contraire. Vers Woodcote et Copse, la zone des anciens stands, c’était une patinoire en pneus slicks. Rosberg en profita pour ravir la 3e place à Bottas (38e des 52 tours). Il roulait alors avec 8’’6 de retard sur Hamilton et 4’’2 sur Massa. Trois tours plus tard, roulant à une cadence impressionnante, Rosberg réglait son compte à Massa. Il reprenait jusqu’à 2 secondes par tour à Hamilton. Lequel exprima son désarroi dans un message à son stand : « Mes pneus sont froids, ils n’ont plus d’adhérence… » Il n’y avait pas d’autre solution que l’arrêter pour, la pluie persistant, le doter de pneus « intermédiaires » – ce que seul Raïkkonen avait fait jusque là, mais bien trop tôt.L’affaire se déroula au 43e tour. « Alors, devait avouer Rosberg au micro de Canal +, j’ai vraiment cru que la victoire était pour moi ! » Mais ce 5 juillet 2015 devait être le jour de qui perd gagne. En effet au moment précis où Hamilton chaussait ses « intermédiaires », la pluie jusqu’alors sporadique, détrempait la piste dans son intégralité. Cela força Rosberg à rouler un tour entier en « slicks » sur le mouillé. Donc au ralenti. Quand il chaussa à son tour les intermédiaires, Hamilton récupéra son bien comme par enchantement. Désormais l’affaire était entendue. Et Hamilton put jouir sans retenue de son triomphe.
- LES WILLIAMS DÉSORIENTÉES. – En début de course, alors qu’elles maintenaient les Mercedes sous leur joug, les Williams faisaient si belle impression que l’on se demandait ce que Valtteri Bottas pourrait gagner à quitter cette équipe pour Ferrari, si les portes de la Scuderia venaient à s’ouvrir devant lui. A l’arrivée c’était différent. Avec son habituel talent Vettel avait profité des conditions piégeuses pour arracher son habituelle 3e place derrière les Mercedes. Au micro de Margot Laffite (coucou Marguerite !) Claire Williams avait reconnu que les jolies FW37 avaient le défaut d’être difficiles à maîtriser quand l’adhérence est faible. Peut-être l’équipe anglaise avait-elle aussi été prise au dépourvu par le fait de dominer la course. Cela pourrait avoir semer le trouble dans l’esprit de ses stratèges. Changer de pneus au meilleur moment possible ne fut pas leur fort. Vettel était passé en « intermédiaires » un tour avant elles, leur soufflant la 3eplace.
- PAS DE CADEAU À RAÏKKONEN. – De toute évidence Kimi Raïkkonen a fait monter des pneus intermédiaires trop tôt (36etour) quand la suite des évènements a montré que le tour idéal pour procéder ainsi était le 43e. Hamilton et Vettel en ont fourni la preuve. Cette erreur, Kimi l’a peut-être commise par dépit. Vettel, qu’il avait jusque là dominé, venait de lui ravir la 5e place. Alors il s’engouffra dans la voie des stands, se disant peut-être que son salut était là, grâce aux quelques gouttes qui avaient mouillé la zone Woodcote-Copse, à l’autre extrémité du circuit. Mais cela laissait encore trop de zones sêches. Raïkkonen y brula ses « intermédiaires » au point de se voir contraint à un troisième changement de gommes. Son directeur Maurizio Arrivabene en profita pour le pointer du doigt, une fois encore. Ambiance !
- MÉLI-MÉLO. – Le cafouillage qui élimina les deux Lotus, une McLaren et ayant coûté un arrêt imprévu à celle d’Alonso, a été provoqué par Daniel Ricciardo, décidément moins chanceux que l’an passé. Beau joueur, l’Australien a eu l’élégance de présenter ses excuses à ses camarades. Avec sept abandons, le G.P. de Grande-Bretagne a égalé le record d’Australie où il n’y avait eu que 11 classés (13 à Silverstone) les Marussia-Manor n’ayant pas pris part à l’épreuve.
- SILVERSTONE. – Circuit traditionnel, circuit historique du G.P. de Grande-Bretagne Silverstone ? Sans doute en grande partie. On rappellera que dans les années 1950 il alterna souvent avec Aintree, situé près de Liverpool. A partir de 1964 et jusqu’en 1986, il alterna avec Brands Hatch dont la caractéristique était de présenter un tracé beaucoup plus torturé que celui de Silverstone (à l’époque composé uniquement de grandes courbes, donc très rapide : Keke Rosberg, le père de Nico, y signa une pole position « historique » à plus de 259 km/h de moyenne en 1985).
L’accident de Jacques Laffite en juillet 1986 condamna Brands Hatch au bénéfice de Silverstone, théâtre du G.P. de Grande-Bretagne sans discontinuer depuis 1987. En 1993, le public britannique put également voir les F1 à Donnington, à l’occasion d’un Grand Prix dit « d’Europe ». Le dernier vainqueur à Aintree fut Jim Clark (1962), à Brands Hatch ce fut Nigel Mansell (1986) et à Donnington Ayrton Senna.(1993).
Merci Johnny. Toujours aussi bon de lire votre prose à la plume affûtée. Un Grand-Prix « So British » grâce à ces ondées arrivées à point pour élire le meilleur représentant de Sa Majesté et grâce aux voitures de Sir Franck nous ayant donné un feu d’artifice en début de course. God Save the Queen.
Écrit par : Flugplatz | 08/07/2015
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(à l’époque composé uniquement de grandes courbes, donc très rapide : Keke Rosberg, le père de Nico, y signa une pole position « historique » à plus de 259 km/h de moyenne en 1985)… Et le lendemain dans L’Equipe, le plus beau « papier » que j’ai jamais lu sur la F.1, signé du maestro Rives, qui se montra aussi virtuose avec sa plume que Keke le fût au volant, qui invitait le lecteur à bord de la Williams, positionné comme une mouche derrière le saute-vent, position enviable s’il en est, pour « vivre » ce tour de folie. Thank you, Mister Rives !… Lire la suite »
Annoblissons Johnny : Sir Rives, désormais ! 😉
Écrit par : Gaston | 08/07/2015
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Rosberg a pu faire illusion lorsqu’ après s’être débarrassé des Williams il revenait sur son équipier. Hamilton menait un train d’enfer depuis le début et ses gommes moins fraîches que celles de Rosberg qui avait dû patienter derrière Massa et Bottas, avaient perdu de leur efficacité sous la pluie. Mais quand les deux équipiers se retrouvèrent avec les mêmes intermédiaires sous l’averse Rosberg resta à distance et ne fut jamais en mesure de contester la victoire du britannique. Hamilton sans le cadeau de son équipe à Monaco aurait 34 points d’avance à l’abri d’un abandon, ce qui reflète sa domination… Lire la suite »
DOUBLE MERCEDES AU GRAND PRIX DE GRANDE-BRETAGNE – UN PILOTE BRITANNIQUE VAINQUEUR : C’ETAIT IL Y A SOIXANTE ANS ! Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… sauf par ouï-dire, ou par lecture interposée. Moins de Grands Prix – et donc moins de banalisation – pour un Championnat du Monde des Conducteurs où la victoire ne rapportait « que » 8 points, où l’on n’en marquait que jusqu’au 5e classé (2 points dans ce cas) et où le record du tour en course en rapportait 1. Cette année-là, plusieurs Grands Prix prévus au calendrier… Lire la suite »
Alfred Neubauer dans son livre « mon royaume La Vitesse » aborde le chapitre Fangio Moss. Il y désigne clairement Fangio comme 1er pilote au Championnat du Monde des Conducteurs et reproche à Moss de se tenir toujours derrière Fangio, trop près à son goût. Mais concernant la victoire de Moss en Grande Bretagne il ne donne aucune explication rapportant laconiquement: « Stirling Moss ne parvint à le battre qu’une seule fois, à Aintree ». Le mystère restera bien gardé mais si quelqu’un connaissait la vérité c’est bien le fameux directeur de Mercedes. » Don Alfredo » ne renierait pas aujourd’hui Niki Lauda à la forte… Lire la suite »
Cher Jacques, Tu aurais dû commencer en précisant « que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître ». L’autre jour, je ne sais plus où, j’ai lu le résultat d’un sondage (?) concernant les meilleurs pilotes de l’histoire. Fangio n’y figurait pas. Evidemment Nuvolari ou Rosemeyer ou Caracciola non plus. Ni Ascari. Les moeurs de ces pilotes « d’antan » qui nous fascinaient paraissent désuètes. Ainsi va la vie. Tant pis pour les plus jeunes. Ils ignoreront toujours ce qu’ils ont manqué. Pour en venir à « l’affaire » d’Aintree 55 j’ai eu l’occasion de poser la question à Fangio. Impeccable comme à son… Lire la suite »
Jacques, d’après le tour par tour(statsF1) concernant le GP de GB à Aintree 1955 Moss et Fangio se sont « disputés » la première place jusqu’au 25è tour… Puis à partir du 26è tour l’Anglais mena sans interruption au terme des 90 tours. Fangio fit en effet certainement un cadeau à Moss et resta dans ses roues,il finit à 2/10è de son équipier.
Écrit par : linas27 | 09/07/2015
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Merci à vous pour vos précisions : Johnny, pour les « moins de 50 ans », eh oui mais je n’ai pas résisté au plaisir d’évoquer la chanson de Charles Aznavour. Merci aussi à « linas » pour son rectificatif sur le tour par tour. En effet, Moss fut en tête de ce Grand Prix à Aintree à partir du 26e ou, selon les sources, 27e tour (dépassement dans le 26e, pointage au 27e ? Qu’importe!), de toute façon longtemps avant le 89e, je vous l’accorde, mais nous sommes tous d’accord pour penser que Fangio a dû bel et bien le laisser gagner chez… Lire la suite »
Fangio, Clark, Senna ? Ça se discute en effet. Amitiés confraternelles…
Écrit par : Johnny Rives | 11/07/2015