Monthléry
3 novembre 2020

Autodrome de Linas-Montlhéry, le 18 octobre 1970

Ok avait lâché Achille Fouillous le 30 septembre, ce qui scellait un contrat moral -> https://bit.ly/3kcsjJm

En ce dimanche matin d’un automne roux qui enflammait le plateau de Saint-Eutrope, il grimpait la côte de l’autodrome, parquait sa R8 bordeaux, escaladait un arbre qui poussait judicieusement contre le mur d’enceinte (sur le conseil de ce nouveau collègue qui revenait de l’armée, Patrice V.), qui l’accompagnait, traversait la frange boisée séparant ladite enceinte de la piste en remontant sa braguette pour faire croire aux gendarmes en surnombre à la satisfaction d’un besoin naturel.

Et là…Un souffle brûlant lui passe sous le nez, à la hauteur des Deux Ponts, s’étire en expansion continue le long de la ligne droite, dans le miaulement que produirait un tuyau d’orgue de type chamade. “La Matra 660 de Beltoise” hurle Patrice V. Les 11 000 tours soutenus par le V 12 en alliage léger et titane ne faiblissent pas au passage de la courbe Ascari, survivent au lointain en dépit de l’isolation phonique naturelle que constitue le feuillage encore fourni en cette fin octobre, puis se réduisent en hoquets rageurs quand le pilote manoeuvre la Hewland ultra-légère pour négocier l’épingle de Lapize qui ramène la Matra sur le rectiligne de retour. Les deux 660 seront les seules machines dont on percevrait la musique tout au long des 7,821 km du tracé.

Achille Fouillous sent qu’il se passe un truc depuis ce matin. Un truc qui le tiendrait toute sa vie. Ray-Ban, cheveux longs de rocker suburbain, il s’abîme – sur la droite du cliché – dans la contemplation d’une voiture de course bleu nuit tranchée en son centre d’une large bande orange ; une automobile trop basse, trop large, trop belle. Il sourit d’un air entendu en découvrant les noms des pilotes : “Big Al” et Snake”. Des faussaires comme lui. De l’autre côté de Ford GT40 MK1 P1078 s’active, clope au bec, Graham Wycombe, mécano au Snake Speed Racing depuis deux ans. Les boss sont à la direction de course pour une sombre affaire d’assurance.

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Monthléry 18 octobre 1970 – Ford GT40 @ Patrice Vatan

Snake, son patron et Big Al font penser à des répliques de Brett Sinclair et Danny Wilde. Le premier fait commerce d’autos, en collectionne, court sur certaines d’entre elles, par dépit, pour se venger d’un type, coureur automobile, qui lui avait piqué sa petite amie. Dans quelques mois sa Lola T210 du Speed Racing brûlerait au cours de la Targa Florio. Il serait extrait du brasier par un paysan sicilien, son oeil droit amoché aurait du mal à rester ouvert durant la nuit du Mans, en juin 71.Quand à Snake, he is the rich man. Héritier d’un magnat de l’acier américain, sa belle-mère a épousé un écrivain célèbre, Jerzy Kosinski.

GT40 #1078 attend que ça se passe. Plus de deux ans qu’elle est aux affaires, couturée de partout, du chatterton comme éléments quasi permanents de carrosserie. Elle a débuté aux fameux 1000 de la BOAC 68, vous savez la course que Jim Clark aurait mieux fait d’honorer. Big Al l’a rachetée l’an dernier au Stathaven LTD de Mike Salmon, elle était alors de couleur vert bornéo. Montlhéry est son quatrième engagement de l’année après les 1000 km du Nürburgring, les 500 km de Vila Real, les 1000 km de Zeltweg. Partie dernière ce dimanche elle finira peinarde à la 7e place. Et ce sera sa fin. Snake la crasherait très sévèrement en novembre à Silverstone. RIP.

Monthléry
Monthléry 18 octobre 1970 – Matra 660 – JP Beltoise @ Patrice Vatan

Tirant la langue, Patrice V. cadre #1078 tant bien que mal sur le dépoli malcommode de son Rolleicord 6X6, seul format autorisé par l’école de photo qui lui avait permis d’intégrer la Documentation française comme laborantin photographe. Les pellicules coûtant cher, il engage une seconde photo au départ de la course, rendu dans le public (ce qui ne durerait plus longtemps). Il parvient à être plus rapide que Beltoise qui entre à peine dans le cadre, pourtant parti en trombe devant la Porsche 917 psychédélique de Van Lennep. On distingue sur la gauche la Bauer super 8 tenue par Achille. Le sieur V. arrêtera vite la photo pour le plus grand confort des yeux de ses contemporains.

Il existe deux courses fondatrices, primordiales où se sont forgées tant de carrières, sont nées tant de passions, les 1000 km de Paris 70 et 71 à Montlhéry, “The Place”. Tous ceux qui firent la presse, le journalisme, la photographie, le cinéma, la télé, la radio pour les décennies à venir, convergèrent vers l’autodrome ces deux jours-là. Parmi eux un étudiant en droit de Nancy, Michel M. Il avait Jack Lang comme professeur mais aussi dans une autre discipline d’autres Maîtres nommés Moss, Brooks, Behra, Portago, Musso. Il marcherait sur les traces de son père, notaire dans les Ardennes. Et natif de Gueux, près de Reims, la précision est d’importance. Derrière son viseur qui cadrait un Jack Brabham victorieux mais en phase terminale de carrière et un François Cevert dressé vers une gloire assurée, se profilait un certain Professeur au nom imbriquant ses trois circuits intimes.

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Monthléry 18 octobre 1970 – Matra 660 – J.Brabham – F.Cevert @ Professeur Reimssparing

FIN

Avec par ordre d’apparition : Achille Fouillous : Guy Royer- Patrice V. : Patrice Vatan – Big Al : Alain de Cadenet – Snake : David Weir – Michel M. : Professeur Reimsparing

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