12 janvier 2024

Rallye des Têtes Givrées : Trapadelles en Corrèze

Il faut bien être un peu givré pour venir s’éclater début janvier en Corrèze au volant d’avant-guerres découvertes. C’est l’esprit de l’Ecurie des Trapadelles, venue de sa Provence natale affronter les rigueurs de la Xaintrie lors de leur traditionnel Rallye des Têtes Givrées, avec une incursion dans le Cantal. Toujours dans la bonne humeur car à Cavaillon, on n’a pas le melon.

Pierre Ménard (Texte et photos)

Trapadelle : « Voiture usée, brinquebalante (terme provençal) ». Les trapadelles de l’écurie éponyme ne le sont pas vraiment, usées ou brinquebalantes, mais elles arborent un âge canonique qui incita en 1965 les fondateurs a affubler leur club de ce patronyme imagé. Beaucoup d’autos sont des avant-guerres dont certaines frôlent les nonante hivers, mais, le club de Cavaillon n’étant pas raciste pour deux sous, des propriétaires de modèles plus récents rejoignent la structure pour le plaisir de rouler cheveux au vent. Enfin… quand on dit « cheveux », il vaudrait mieux dire « serre-tête » ou « bonnet », car les membres n’adorent rien moins que de se les cailler menu dans leur cockpit par les froides journées de janvier, comme nous l’explique Christian Agostini l’organisateur de ce 21e Rallye des Têtes Givrées.

La traditionnelle plaque est remise à chaque participant lors du briefing avant le départ.

Des cordes dans les rayons

« Le club est né il y a 58 ans de la volonté d’une équipe de passionnés, dont Maurice Trintignant [Qui avait alors dit : « De toutes les écuries, c’est la plus sincère et la plus amicale », NDLA]. La philosophie du club, c’est une tendance « avant-guerres sportives ». On s’engage sur les Mille Milles, Le Mans qu’on a fait cette année. On roule beaucoup, on évite les concours d’élégance, ainsi que les balades gourmandes où on ne fait que de la gastronomie. On organise par exemple ce Rallye des Têtes Givrées, depuis plus de vingt ans, dans l’esprit du club : un peu sportif, l’hiver, une étape de nuit surprise, un peu dans le style « Neige et glace ». On nous annonce d’ailleurs un peu de neige pour demain, on l’espère ! On a fait un rallye en Ardèche où il y avait trente centimètres. On mettait des cordes sur les pneus, prises dans les rayons, c’est le seul moyen sur ces autos. Et ça nous a permis de rouler. Ça fait de beaux souvenirs !

Bonne humeur et bonnets-gants avant de s’élancer sur l’Alfa Romeo Duetto.

C.C. : Et pourquoi ce choix de la Xaintrie en Corrèze (partie sud-est du département au contact du Cantal) ?

On avait fait un peu le tour des régions limitrophes de notre pays, les Alpes, la Drôme, l’Ardèche. Alors on s’est dit : « Pourquoi pas monter un peu plus haut et découvrir un endroit qu’on ne connait pas ? ». Comme je suis l’organisateur, mais assez occupé car encore en activité, j’ai naturellement fait appel à Corrèze Tourisme qui nous a fait le road-book ».

Têtes givrées
Une première ligne d’avant-guerres constituée d’une MG TF, d’une Singer Le Mans et d’une BSA Scout.

Ils sont pas frileux, ceux-là !

Corrèze Tourisme, on connaît à Classic Courses, et on essaie de médiatiser dès qu’on le peut leur indéniable énergie à faire venir les amateurs de belles mécaniques et de superbes paysages dans ce département accueillant. Après des années de bons et loyaux services (comme on dit), Jean-Paul Brunerie a passé la main à Xavier Courty qui officie à la baguette aux côtés du toujours présent Pascal Breuil, l’homme de l’intendance. Ils ont concocté un joli parcours sur trois journées, dont une dans le Cantal proche (au moment où j’écris ces lignes, nos Provençaux sont à Salers, où il a neigé et ils en sont enchantés). Le départ de cette première journée avec votre serviteur comme témoin se fait de Saint-Privat, au-dessus d’Argentat, et va amener le peloton de quatorze autos sur les bords abrupts de la Dordogne du côté de Spontour, sur des routes bien gras-mouillées, nappées de feuilles sournoises en sorties d’épingles.

Têtes givrées
Franchissement de la Dordogne au pont du Chambon par la belle Austin Healey venue de Savoie (il n’y a pas que des Provençaux aux Trapadelles).
La BSA au passage de la Dordogne à Spontour.

Comme nous le rappelle un des heureux participants sur sa Riley Grebe Special : « Quel que soit le temps, interdiction de capoter aux Têtes Givrées ; on n’en a pas dans la Riley donc la question ne se pose pas, mais si vous en avez une, interdiction de la sortir. Et on roule quelles que soient les conditions, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Il faut être un petit peu fou… ». Devant les suivre, voire les précéder pour les photos, je décapote par solidarité. Mais aussi parce que j’approuve sans réserve cette philosophie : une décapotable, c’est fait pour rouler décapotée, hiver comme été. Ma MX5 ayant un excellent chauffage et des sièges chauffants (le confort moderne), je ne serai pas sujet aux morsures du froid. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des équipages qui ont prévu serre-têtes, bonnets, vestes en cuir, pulls, écharpes, gants et chaussures bien chaudes pour parer aux rigueurs hivernales dans leurs habitacles ouverts aux quatre vents. D’ailleurs, au passage d’un village, un autochtone amusé lâche : « Eh bé, ils sont pas frileux, ceux-là » !

Têtes givrées
La Singer mène le bal.
Voiture faisant partie des modèles “récents” (selon les critères de l’Ecurie), la Triumph Spitfire fait toujours bonne figure dans un rallye.

Que la force soit dans les bras

La caravane hétéroclite des têtes givrées est composée de MG, Singer, BSA, Spitfire, Austin-Healey, Riley, Mercedes, Porsche, Alfa Duetto et d’une exceptionnelle – car unique – Milano (on va y revenir) a parcouru soixante-dix bornes en un peu moins de trois heures, ce qui nous fait une moyenne très « promenade ». Le côté sportif réside plus dans l’état des routes empruntées (étroites, défoncées, glissantes, épingles serrées) que dans l’allure adoptée. Nous avions donc des autos datant des années trente, dont cette élégante Riley assez sophistiquée pour son époque dont son propriétaire nous fait faire le tour.

Têtes givrées
Cette magnifique Riley Grebe Special a disputé Le Mans Classic à quatre reprises, dont l’édition du centenaire qui a laissé un souvenir impérissable à son propriétaire.

«  C’est une Riley Grebe Special de 1935, qui a été construite pour disputer le TT sur l’Île de Man. Le moteur, le châssis et les roues sont d’origine. Par contre la carrosserie n’est plus la même, c’est ce que les Anglais appellent des « Special ». Le moteur est un 6 cylindres de 1726 cm3, ce qui assez rare car il y a beaucoup de 4 cylindres. La voiture roule bien et vite, mais freine mal comme toutes celles de son époque. Elle a la particularité d’avoir une boîte Wilson pré-sélective. Même principe que la Cotal, mais cette dernière était tout électrique, là il y a une partie mécanique. C’est très agréable en course car ça permet de sélectionner le bon rapport avant le virage et donc d’avoir le volant bien en main parce que tourner sur ces autos, ça demande un peu de force compte-tenu du poids qu’on a sur l’essieu avant. C’est un maniement un peu particulier au départ mais au final, c’est assez sympa ».

La Riley bien entourée par la MG TF et l’Alfa Duetto dans la montée vers la Dordogne.

La Milano maudite

Autre particularité dans ce peloton, cette étrange Milano. Une barquette rouge très épurée évoquée par son conducteur du jour : « Milano, c’était le nom d’un carrossier de Toulon – qui existe toujours, les petits-enfants ayant pris la suite. Dans les années cinquante, se déroulaient les Douze Heures de Hyères sur un circuit aménagé au-dessus de la presqu’île de Giens [Circuit des Îles d’Or, NDLA]. Milano connaissait Louis Chiron, et ils ont décidé de concevoir une voiture pour cette épreuve. A l’époque, je ne sais pas quel moteur ils avaient monté dessus, là elle a un Simca Montlhéry. Malheureusement, l’année où elle devait être alignée, il y eut un mort aux essais et elle ne fut pas engagée. Elle fut ensuite rachetée dans l’idée de faire les 24 heures du Mans avec un gros moteur. Mais le nouveau propriétaire ne réussit pas à boucler son budget et, du coup, la voiture n’a jamais pu courir ! Cet exemplaire est donc unique » ! Quand le sort s’acharne…

Têtes givrées
Un pur produit de la Provence, cette Milano.

A ces ancêtres, s’ajoutaient une Alfa Romeo Duetto, une Triumph Spitfire, une Austin Healey 4 cylindres, et des plus récentes Porsche Carrera décapotable, Mercedes 450 SL, et même une BMW 320. Mais toutes ont respecté la loi des têtes givrées : capote ouverte et bon humeur affichée des participants. Ainsi que me le confiait un des conducteurs : « Retrouver les copains. c’est aussi un bon moteur : on partage la même passion, rouler tête au vent en avant-guerre, et l’ambiance est tout sauf guindée, surtout dans ce genre de manifestation où on affronte les éléments ». Bon vent donc, messieurs-dames !

L’organisateur, Christian Agostini, au volant de sa Mercedes 450 SL.
Têtes givrées
Sur le chemin du retour à la nuit tombante. Le lendemain, les participants auront droit à une véritable étape de nuit !
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