Il n’est pas le premier à s’être penché sur la question, mais certainement le premier en langue française à l’avoir fait de façon aussi pointilleuse et précise. Avec cette superbe Histoire mondiale de la course automobile Tome 1 (1894-1914), Jean-Paul Delsaux nous livre le premier opus d’un véritable travail de bénédictin.
Il fut un temps où les fanatiques de l’Histoire avec un grand « H » ne juraient que par L’Historique de la course automobile 1894-1978 d’Edmond Cohin. Puis, vint Les précurseurs de la Formule 1 1895-1949 par Christian Moity (1). Le « Cohin » comblait les amateurs de détails mais manquait cruellement d’illustration (et de qualité de fabrication). Christian Moity avait du faire, lui, avec la terrible contrainte de caser en un peu plus de 200 pages plus de cinquante ans de course avec en plus la consigne de privilégier l’iconographie ! En 320 pages, Jean-Paul Delsaux s’est offert toute latitude pour décrire avec minutie les vingt premières années des vrombissements mécaniques autour de la planète.
La belle couverture satinée, la maquette claire et aérée, la qualité du papier glacé et, bien entendu, la richesse du sujet traité, tout dans ce livre vous invite à vous plonger avec une curiosité aiguisée dans cette folle aventure que fut celle de la naissance de la course automobile. Comme le rappelle Jean-Paul Delsaux, la notion de course devint évidente bien avant l’arrivée des premières « voitures sans chevaux ». Le concept de confrontation sportive existait depuis l’antiquité, et le XIXe siècle en accéléra la pratique avec l’avènement de disciplines nouvelles telles le tennis, le football, le rugby et… les courses de vélocipèdes, d’abord mus par la simple force musculaire, puis par la vapeur. La notion de sport mécanique venait d’être inventée.
L’un des intérêts de ce livre est certainement d’en apprendre même à celui qui pense « tout » savoir tant est grande l’information fournie sur les origines de la compétition automobile. Des dizaines d’anecdotes légères accompagnent un texte dont la précision n’a d’égale que la concision. Tout est dit en de courts paragraphes sur les tenants et aboutissants des premières courses, de leur difficile gestation à la description de l’événement en passant par les avatars qui les ont accompagnées. L’autre intérêt est que tout ceci est présenté de façon ordonnée et limpide sans pour autant exclure la fantaisie de mise en page et d’iconographie. Fournie la plupart du temps par les archives des constructeurs, celle-ci alterne clichés peu ou pas connus et belles reproductions d’affiches ou de unes de journaux d’une époque où l’illustration reine n’avait pas encore été détrônée par l’incontournable photographie.
Cette somme de travail – car c’en est une ! – contentera tout le monde. Le connaisseur se remémorera des faits qu’il avait peut-être oublié et les férus d’Histoire ne connaissant que peu celle de ces fous bravant tous les dangers de l’inconnu auront de quoi passer de longues soirées à découvrir cette exaltante période où l’homme apprenait à dominer la furia mécanique, que ce soit sur terre ou dans les airs : n’oublions pas que la conquête du ciel se fit de façon concomitante avec celle des routes et que dans les deux cas, la notion de vitesse et de compétition poussa les humains à se sublimer. Cette exaltante notion de vitesse qui, par ailleurs, supplanta très vite celle de rallier un point à un autre, ce qui se pratiquait « banalement » depuis des siècles.
Tout est naturellement et méthodiquement passé en revue, depuis la première course de vitesse officielle, le Paris-Bordeaux-Paris de 1895 (mais, saviez-vous qu’il y avait eu quelques semaines auparavant une première tentative de la sorte en Italie avec un Turin-Asti-Turin qui, s’il ne rassembla pas beaucoup d’équipages, eut au moins le mérite d’exister ?) jusqu’au prémonitoire Grand Prix de l’ACF 1914, avant que la « Der des der » ne ravage l’Europe et ne fasse passer le continent dans une ère nouvelle.
La création des autodromes (à commencer par celui de Brooklands en 1907), des rallyes automobiles avec le Paris-Marseille-Paris 1896, du Tour de France, des Grands Prix découlant de la fameuse Coupe Gordon-Bennett, de la Targa Florio, des 500 miles d’Indianapolis, des Speed Trials sur la plage de Daytona préfigurant la construction du futur circuit, toutes les bases de la compétition qui perdure jusqu’à nos jours sont là (ne manquent guère que les 24 Heures du Mans qui n’apparaîtront qu’après la première guerre mondiale), dans ces vingt années folles qui précédèrent quatre années terrifiantes.
Jean-Paul Delsaux prévoit un deuxième tome à paraître prochainement, et qui couvrira – logiquement – la période allant de 1915 à 1929. On rabâche qu’en temps de crise, les consommateurs ont tendance à être plus sélectifs sur leurs choix et à privilégier la belle qualité. Voilà une belle occasion de ne pas faire mentir cet adage. D’autant qu’à ce prix-là, le luxe n’en est vraiment plus un !
Pierre Ménard
(1) L’Historique de la course automobile 1894-1978 Edmond Cohin – Editions Fanauto Les précurseurs de la Formule 1 1895-1949 Christian Moity – Editions E.T.A.IL’Histoire mondiale de la course automobile Tome 1 (1894-1914), par Jean-Paul Delsaux – Editions E.T.A.I, 322 pages – 48,00
Crédits photographiques : E.T.A.I
1- L’équipe Mercedes avant le Grand Prix de l’ACF 1914 à Lyon. 2- Couverture du livre. 3- L’équipage Koechlin-Rubichon sur sa Peugeot, 1er au classement général du Paris-Bordeaux-Paris (voiture quatre places selon règlement). 4- Louis Renault au Paris-Rambouillet de 1899. 5- Le premier Grand Prix de l’Histoire, celui de l’ACF en 1906 au Mans. 6- Un site mythique : Indianapolis lors de la 2e édition des 500 Miles en 1912.