Circuit de Charade (Clermont-Ferrand), le 2 juillet 1972
Revenant de Royat où nous avons dîné hier soir pour rejoindre la tente plantée en sauvage quelque part du côté des Grioles, une féerie lumineuse nous saisit.
Elle illumine le massif montagneux où un audacieux nommé Jean Auchatraire a imaginé un circuit de F1 – et l’a construit : lumignons en procession comme autant de phares d’autos qui tournent sur la piste constituée de routes ouvertes.
Patrice Vatan
Folie d’un samedi soir de Grand Prix des années 70 où tout est démesuré, tout est possible.
Guy Royer aventure sa Fiat 128 Rallye dans ce trafic insensé. Ça roule à fond la caisse dans les deux sens, ça se double n’importe comment, les flics absents.
La fantasmagorie avait déjà frappé ce qui deviendrait les monts d’Auvergne une première fois il y a 25 millions d’années lorsque le magma avait eu l’idée saugrenue de crever la croûte terrestre, y creusant des volcans, retombant en myriades de scories de toute nature, dont de petits silex coupant comme des scalpels.
L’un d’eux sortirait du lot, acquerrait même une certaine notoriété une fois sorti d’un ennui pétrifié de 25 millions d’années, appelons-le THX1138, ça fait nomenclature scientifique.
La malchance légendaire de Chris Amon. Les effets de cette malchance – que certains imputent à son comportement peu rigoureux – se lisent sur son visage au soir du Grand Prix de France disputé pour la quatrième et dernière fois à Charade.
La photo prise par Rainer Schlegelmilch est plus signifiante que tous les papiers noircis à propos de cette victoire qui n’aurait pas dû lui échapper. Pourtant il avait arraché une pole démoniaque, battu le record du tour, remonté cinq places, après son arrêt inopiné, comme un boulet de canon sur ses devanciers pour terminer troisième, sautant Peterson et Cevert en un seul élan au bout de la ligne droite.
« La Matra est un avion et Amon un ange », écrirait Jean Thieffry dans Virage.
Entre Rainer Schlegelmilch et nous, y a pas photo. Ou alors s’il y a, ce sont trois malheureux clichés académiques encadrés d’une bande blanche trahissant l’amateurisme.
Disposant d’un Rolleicord 6 X 6, imposé par l’école de photo, votre serviteur rechignait à le coller sous le nez des sujets.

Sur le premier on voit Ken Tyrrell apporter un café à Bert Baldwin, de Goodyear. Le soignait-il particulièrement à la lumière de ce qu’on apprit plus tard, à savoir que la firme d’Akron avait monté sur la 003 de Stewart, le vainqueur avisé, des pneus spécialement renforcés, anti-gravillons ?

En conversation avec Peter Warr, Emerson Fittipaldi est dubitatif. « Rookie » à Charade, il ne placera sa vieillissante Lotus 72 qu’à la huitième place sur la grille mais transformée en une deuxième marche du podium.

Masquant Peter Schetty et conversant avec un homme à identifier, qui lui même cache malheureusement Catherine, Jacky Ickx, toujours très en pointe à Charade, était dans les roues de Stewart au 25e tour lorsqu’il creva.
Ce matin, au moment où, montant du paddock, les moteurs cognent dans les défilés volcaniques, pour les essais libres, Guy Royer décide que nous assisterons à la course depuis une falaise rocheuse entre Champeaux et le gauche du Petit Pont.
Charade n’a rien de Nivelles ou du Ricard. C’est une piste creusée parmi les volcans, d’un côté la falaise, de l’autre le vide, souvent.
En plus d’un pied marin naturel, L’ami Guy présente des caractéristiques propres à la chèvre des montagnes, moins en raison du physique que par sa sûreté de pas en terrains escarpés.
Aussi entraîne-t-il dans un crapahutage surhumain votre serviteur, plus à l’aise à la terrasse du Voltaire ou dans les fauteuils clubs du Gaumont-Les Halles ; un serviteur regimbant, maugréant mais ébloui par le panorama qui s’étire au loin entre le Puy de Dôme et l’agglomération clermontoise : grandiose circuit de Charade.
À quelques mètres sous nos pieds ballants dans le vide passent à intervalle régulier de moins de trois minutes, à travers le feuillage, les trois hommes de tête : Chris Amon dont la Matra MS120D a retrouvé une deuxième jeunesse, Denny Hulme sur sa McLaren M19C et Jackie Stewart, Tyrrell 003.
Un écart de dix secondes avec les suivants emmenés par Jacky Ickx.
Mi-course, cette fois la Matra va gagner, Amon va conjurer le mauvais sort qui le prive depuis toujours d’une victoire en Grand Prix. Nous exultons sur notre rocher, projetant inconsciemment de minuscules cailloux en bas.
C’est alors que notre vieille connaissance THX1138 choisit cet instant pour casser sa routine minérale. Positionné en bord de piste, il darde sa pointe sur un des Goodyear trop tendres de Chris Amon, le perce, condamne le Kiwi à l’arrêt au stand, engendre une réaction en chaîne qui, causée par la déception immense de cette défaite impossible, aboutira à l’abandon du programme F1 de Matra à la fin de l’année.
La tête basse, nous descendons vers la voiture, Guy Royer trimballant sa vache à eau sous le bras, remplie de l’eau des monts d’Auvergne. Le détail a son importance, souvenez-vous-en lors du prochain GP.
Image © Rainer Schlegelmilch
Un petit bijou d’article ! 🤗
La plume de Patrice Vatan n’a pas tremblé alors que pourtant les volcans d’Auvergne regardaient par dessus son épaule …😉
cris era in testa alla gara. foro’ dovette cambiare una gomma. poi arrivo’ terza. senza la foratura avrebbe vinto
La « malchance » de Chris Amon ! Lors d’une interview à Nigel Roebuck dans Autocourse 1983, Jackie Stewart revenait sur cette soi-disant poisse qui collait aux bottines du Kiwi : » La piste, on le savait, était parsemée de cailloux très coupants. Je me suis contraint à conduire constamment à l’intérieur des trajectoires, afin de les éviter. D’accord, je n’ai pas fait une course brillante ce jour-là. Mais j’ai gagné la course, et si Chris l’a perdue, selon moi, ça n’a pas été par malchance ». Pour en avoir discuté avec des gens de chez Matra qui savaient de quoi ils causaient,… Lire la suite »
Pierre me paraît bien sévère avec Chris Amon. Il ne me semble pas qu’il ait laissé le souvenir d’un coureur au pilotage désordonné, voire spectaculaire, bien au contraire. Ce qui était désordonné chez Chris Amon, c’était semble-t-il sa vie privée (d’où peut-être certaines critiques au sein de l’équipe Matra). En ce qui concerne sa course à Clermont Ferrand, il me parait nécessaire de donner la parole à la défense (Classic Courses : Chris Amon par lui-même 3/3 – 15 septembre 2016) : « Le V12 Matra était vraiment un moteur merveilleux en termes de bruit, mais pas si performant en termes de puissance.… Lire la suite »
Typique d’AMON : et d’autres hélas . Jamais de leur faute , toujours celle des autres .
Pareil à Monza ou ce n’est bien sur pas lui qui s’est arraché la visière !!
ça suffit : ce fut une grossière erreur de casting de Lagardere , à moins qu’il ne l’ait fait exprès pour justifier son arret de la F1 ou son V12 fut un bide total dans ces années
Chacun son opinion, bien sûr René. Mais je peux t’assurer que ce qui avait fortement déçu les dirigeants de chez Matra était l’incapacité d’Amon de leur fournir un retour technique profitable (sa vie privée, ils s’en tapaient). Il faut dire qu’ils avaient été habitués pendant deux ans à celui de Stewart, on peut les comprendre.
Le retour technique de Stewart c’est l’équipe Tyrrell qui le recevait, la structure britannique Matra international … La MS 80 était tellement différente de la MS 120… Les équipes qui les géraient également . Stewart en essayant la MS 120 a tout de suite jeter l’éponge, c’est dire s’il ne se voyait pas travailler sur cette base, il ne voulait probablement pas prendre le risque de décevoir et être déçu après son succès de 69.
Peut-être, Pierre. Toutefois, d’après ce que je crois savoir, Chris Amon était plutôt un excellent metteur au point. C’est d’ailleurs Jackie Stewart qui avait conseillé à Matra, par l’intermédiaire de Crombac (toujours au centre de ce genre de négociation), d’engager Chris Amon.
Quoi qu’il en soit, même si j’ai tort sur ce dernier point, cela ne règle pas la question de la course de Clermont Ferrand, qui est le seul objet de l’article de Patrice Vatan. Avec un bon avocat, Chris Amon doit pouvoir s’en sortir avec les circonstances (très) atténuantes, en dépit du réquisitoire du procureur Jego.
Très atténuantes en effet…Sans vouloir jouer les avocats il faut dire qu’Amon à Charade n’avait pas d’autre choix que l’attaque après sa pole… Un excès de carburant en début de course, la pression de Matra en France… Pas question de jouer la course d’attente en soignant ses trajectoires avec Stewart, Hulme, Ickx …aux fesses…Lors de ce GP Redman, Depailler, Adamich, Ickx ont subi une crevaison aussi…J’ai pas l’impression qu’ils soient non plus des pilotes si inefficaces que cela ?!!! Et pour Stewart après coup il était facile de critiquer Amon surtout s’il disposait de gommes plus adaptées comme le bruit… Lire la suite »
Amon pouvait aussi les laisser passer et attendre que sa voiture s’allège .
et essayer de combler un écart qui s’avérerait peut-être rédhibitoire avec des pneus en fin de vie ??
Ce qui fut , fut . Pour moi de Charade 72 , il en reste un souvenir inoubliable de ma lointaine jeunesse . Une entrée » gratuite », une déambulation continue , comme dans un rêve dans le champ en contrebas , au contact direct avec les voitures (au sens propre ) , presque au coude à coude avec les mécanos ( pas trop quand même ! ) en croisant au hasard d’un détour , et Ickx , et Pescarolo , et Cevert, et ….et Amon ,et oui , lui même . Sur l’instant il m’avait semblé qu’il nous dévisageait ,… Lire la suite »
J’ai vécu avec un ami hélas trop tôt disparu la même expérience des GP F1 d’une toute autre époque. Entrés sans payer le samedi comme le dimanche après une nuit de camping à Ceyrat ! Le samedi, pendant la séance d’essais de l’après-midi, nous étions bien calés le long du rail, à l’extérieur de Gravenoire ……pour mieux apprécier le talonnage des F1 avec de belles gerbes d’étincelles et en prendre plein les oreilles avec les divers V12 Matra et BRM, flat 12 Ferrari et Tecno et V8 Ford. Le dimanche, rebelote à l’épingle du pont et le soir, toujours sans… Lire la suite »
J’apprécie toujours les supputations au sujet du degré d’affûtage d’un gravillon, de la concentration du pilote de la Matra ou de ce qu’il aurait dû faire s’il avait été malin, mais on rappellera aussi que ce jour-là, les cailloux ont fait le malheur, autrement plus grave, d’un pilote de BRM.
Merci pour cet article, Patrice, en attendant d’en savoir plus sur le devenir de l’eau des Monts d’Auvergne.