Il y a des voitures de série qui donnent leur moteur, amélioré évidemment, à des automobiles de course et celles de course qui donnent leur mécanique à celles de série. L’Alfa Montreal fait partie de ces dernières, infiniment plus rares….
Patrice Vergès
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La Montreal, c’était d’abord un son magique suivi d’une silhouette qui l’était tout autant !
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Si l’Alfa Romeo Montreal était sortie en 1967 ! Hélas, fin 1971 quand les premières furent livrées aux premiers clients le soufflet était un peu retombé. Sa silhouette qui avait fait sensation sur le concept-car lors de l’Exposition Universelle de Montréal début 1967 avait un air de déjà vu et revu d’autant qu’entre temps Bertone avait dévoilé sa sublime Carabo sur la base de l’Alfa 33 Stradale. En 1971, son moteur V8 n’avait déjà plus d’image car il traînait la malédiction du prototype 33. Ce dernier n’avait guère convaincu depuis ses débuts en 1967 en gagnant une seule et unique victoire après avoir envoyé de surcroît quelques pilotes de renom dormir avec les anges.

Spectaculaire

Ça c’est un jugement de journaliste dépassionné et blasé. Ce n’était pas celui de la rue ni celui d’un type qui avait signé un chèque de 60 000 francs en 1974 (environ 80 000 euros 2007) et voulait se déculpabiliser de son achat. Lorsqu’une Alfa Montréal généralement de teinte vive, se pointait quelque part, les hommes se taisaient, les femmes curieuses (pléonasme) tentaient de deviner qui se cachait derrière les glaces teintées, les enfants lâchaient leur ballon, les chiens partaient en hurlant.
A coté une banale Porsche 911, trop vue, trop lisse, trop entendue ne détournait aucun regard. Avec en fond sonore les brèves palpitations des 8 cylindres émises par les deux sorties centrales d’échappement, ses paupières de phares qui se relevaient tels des yeux d’une créature venue d’un autre monde, ses grosses griffures latérales, sa prise d’air de capot Naca surmontant une large bouche béante surplombant un spoiler, cette Alfa suscitait les regards admiratifs.

Seule sa garde au sol trop élevée liée à des voies trop étriquées choquait les esthètes. D’ailleurs, c’est de là que vint tout le drame de la Montreal qui trouva péniblement un peu moins de 4000 acheteurs en six années de vie. Ce n’est pas beaucoup 4000 exemplaires par rapport à une Porsche ou une SM. Ce drame était de cacher sous cette robe magnifique des dessous que les exégètes trouvaient indignes d’une si belle mécanique.
De la course à la route
A l’origine le concept car Montreal était dérivé d’un coupé Giulia 1600. A partir de sa plate- forme, le bureau de style de Bertone avait dessiné une silhouette très réussie et avant-gardiste qui se caractérisait par ses fameuses paupières de phare striées et rétractables et ses impressionnants extracteurs d’air latéraux. Face à l’accueil enthousiaste, la firme au Quadrifoglio décida de la produire en série. Trois longues années furent nécessaires pour que la voiture définitive vit le jour et quatre pour que les premières soient enfin livrées aux clients. C’était trop ! Entre temps, la concurrence ne s’était pas endormie.


Ce V8 tout en alliage léger cubant 2,6 l comptait 4 arbres à cames en tête, était lubrifié par carter sec, et alimenté par une injection mécanique. Bien sûr, sa puissance avait salement chuté de 300 à 200 ch. Mais c’était encore pas mal du tout aux débuts des années 70 quand on se rappelle qu’une Porsche 911 S 2,2 l et une SM de 2,6 l n’en donnaient pas plus de 180.

Mais, si la carrosserie du modèle définitif reprenait grosso modo la silhouette du concept car, si le châssis était sensiblement le même que celui de l’Alfa 1600/1750 GT avec quelques modifications, sous le capot le bon vieux 4 cylindres double arbres jugé plus assez puissant avait laissé la place à un magnifique V8 directement emprunté au prototype 33 2,5 l et aussi à une Formule1 (McLaren). Bien que civilisé, il avait conservé son architecture de moteur de course.
Un miaulement saccadé
Dès les premiers essais, il apparut rapidement que si le moteur était dans le coup lui permettant de frôler les 225 km/h avec le 1000 mètres départ arrêté en 28 secondes, le châssis ne l’était plus. Malgré l’artifice de pneus larges (195X14) montés sur de bien belles jantes en alliage léger, le rajout de barres anti-roulis à l’arrière, de freins renforcés, le châssis et surtout le train arrière propulseur malgré l’aide d’un autobloquant avait beaucoup de mal à digérer tous ces chevaux de feu.

La Montreal offrait un comportement routier assez flou, sous-vireur, avec une certaine propension à se dodeliner autour de ses suspensions souples, un train avant lourdingue avec de surcroît une direction à circulation de billes pas très précise. C’était plus une grande routière qu’une sportive malgré son cœur de sprinter. Les jugements de la presse auto la flinguèrent tout de suite.

Pourtant ceux qui allèrent au-delà et signèrent un chèque furent moins déçus. Certes, leur voiture avait des dessous roturiers mais un cœur de voiture de course hélas masqué par un imposant filtre à air lorsqu’on ouvrait le capot.
Il lâchait une sonorité étrange faite de sons graves et saccadés teintés d’aigus pour se rapprocher de la musique d’un V12 mal accordé au fur et à mesure des montées en régime. Comme ce V8 avait très peu d’inertie, le moindre coup d’accélérateur qui envoyait balader l’aiguille blanche du gros compte-tours vers 7000 se transformait en la plus belle symphonie de la terre.
Exotique

L’habitable tendu de noir méritait le déplacement. La relative mauvaise position du pilote était compensée par la sublime vision de la planche de bord. Derrière le grand volant en bois il y avait une kyrielle de manos et de cadrans aux formes futuristes qui le renseignaient sur la vie intime de la mécanique. La large console centrale d’où émergeait le court levier de la virile boîte ZF à 5 vitesses accueillait une ribambelle de touches basculantes qui laissaient deviner tout ce que la belle offrait en matière d’accessoires.

On se doute que la crise de l’énergie de 1974 qui limita la vitesse ne lui fut guère propice. Touché aussi par la mévente et la coûteuse mise en chaîne de l’Alfasud, Alfa avait d’autres chats à fouetter que de perfuser sa Montreal qui vivota jusqu’en 1977 sans laisser de descendances. Dommage. Car elle aurait peut-être concurrencé Ferrari sur son terrain. Sur la piste, la 33 V8 toujours barrée par les 12 cylindres des Ferrari et Matra dut attendre un surpuissant 12 cylindres à plat de 520 ch. pour devenir à son tour championne du monde des circuits. Un moteur qu’on aurait souhaité voir et entendre sous le capot de sa descendante. Avec des si….











