18 mars 2017

Vallelunga F1 1972

Ferrari plombe la république !

Vallelunga F1 1972 : Voilà une course qui a toutes les chances d’être tombée dans l’oubli. Il faut dire que 7 voitures au départ pour une course « bouche-trou » organisée au pied levé sur un circuit peu connu … Et pourtant, par la magie de YouTube, il y a des images !

Olivier Favre

Vallelunga ?

Vallelunga, c’est un circuit situé à Campagnano di Roma (environ 30 km au nord de Rome), au débouché de la vallée du Treja, qui bénéficie d’un classement en parc naturel régional pour protéger son patrimoine naturel et historique (nombreux sites archéologiques). A quelques km à l’ouest se trouve le lac volcanique de Bracciano, qui connut sa petite heure de gloire en 1804 quand un grand ballon lancé du parvis de Notre-Dame à Paris, à l’occasion du couronnement de Napoléon, vint s’y poser.

Lago di Bracciano

L’histoire du circuit commence quelques années après la Seconde Guerre Mondiale, quand un riche homme d’affaires romain y crée un hippodrome.Années 50-2 En 1951 on a l’idée d’y faire rouler des motos et des voitures sur la piste en sable, à l’instar de ce qui se fait outre-Atlantique pour les courses de midgets. Le succès ne se fait pas attendre : sevrés de compétitions (Monza, alors seul circuit permanent d’Italie, est loin), les Romains s’y déplacent en masses.

Forts de cet engouement, l’Automobile Club de Rome et la Fédération Italienne de Moto décident en 1957 d’en faire un véritable circuit asphalté et c’est Piero Taruffi, le « renard argenté », qui est chargé de le dessiner. Dès l’origine, il s’agit d’accueillir aussi bien des courses que des séances d’essais de constructeurs. On y implante aussi la première école de pilotage d’Italie, qui sera dirigée par Nino Farina. Mais c’est encore un tracé très court, d’à peine 1,8 km de long et qu’il faut pouvoir agrandir si l’on veut espérer y accueillir des événements d’une certaine ampleur. C’est pourquoi on achète des terrains à la commune de Campagnano di Roma pour y réaliser une extension qui porte la longueur du tracé à 3,2 km.

Vallelunga 58Vallelunga école

Achevés en 1963, ces travaux sont inaugurés en mai par une course de F1, le GP de Rome. Cela dit, le terme « Grand Prix » est bien flatteur pour cette épreuve ; car si les monoplaces au départ sont bien des F1, le plateau réuni fait pâle figure comparé à n’importe quelle épreuve de F1 de l’époque, même hors championnat. On n’y voit que des concurrents privés peu connus, voire totalement obscurs, avec des machines souvent anciennes ou assez improbables (BKL Lotus 18 à moteur Borgward, Gilby-BRM, De Tomaso). Fort logiquement, ce sont les deux plus aguerris qui s’imposent, Bob Anderson (Lola-Climax) devançant Carel de Beaufort et sa Porsche.

Ensuite, un GP de Rome sera organisé chaque année en fin de saison mais pour les F2 (ou F3 en 1966). Ainsi, c’est à Vallelunga que Johnny Servoz-Gavin remporte la victoire qui lui assure le titre européen F2 en 1969.

Entretemps, le circuit est devenu la propriété de l’Automobile Club d’Italie (ACI), qui lance un gros chantier de modernisation en 1970. Déplacement des stands et du paddock à l’intérieur du tracé, creusement d’un tunnel pour y accéder, construction d’une tour de contrôle et d’une nouvelle tribune avec 10 000 places assises, aménagements de sécurité (glissières, aires de dégagement), le circuit change de peau. Et aussi de sens puisqu’il tournera désormais dans le sens horaire.

Pourquoi pas le GP d’Italie ?

Ce Vallelunga newlook est inauguré par deux courses de F2 à une semaine d’intervalle en octobre 1971. Mais pourquoi ne pas viser plus haut ? Avec ce nouvel équipement, l’AC de Rome se verrait bien profiter des difficultés de Monza pour récupérer le GP d’Italie. Car Monza a des soucis en ce début des seventies. La victoire de Gethin en 1971 a une fois de plus démontré l’inanité des courses à l’aspiration qui se jouent sur un coup de dés dans le dernier virage, il faut absolument y remédier en modifiant le tracé afin de le rendre un peu plus sélectif. Mais cela nécessite d’abattre des arbres et Monza est un parc classé, d’où polémiques politiques et lenteurs administratives.

Vallelunga 67

Début 1972, l’AC de Rome voit une fenêtre de tir apparemment idéale pour organiser une course probatoire, en vue d’obtenir le GP d’Italie l’année suivante. En effet, faute d’avoir réalisé les aménagements de sécurité demandés par la CSI, les organisateurs du GP des Pays-Bas voient leur course exclue du championnat du monde et préfèrent dès lors l’annuler, libérant ainsi la date du 18 juin. Une semaine après Le Mans, sans course de F2 ce week-end là ni course de F1 le week-end suivant (Charade étant prévu début juillet), les Romains ont quelques raisons d’être confiants.

Malheureusement pour les organisateurs, prétextant des essais à mener à Zeltweg en vue du GP de France, Enzo Ferrari reste sourd à « l’appel du 18 juin » : pas de Ferrari à Vallelunga ! FittipaldiTollé dans la presse ! des essais à Zeltweg pour préparer Charade ? alors que le tracé de Vallelunga s’y prêterait parfaitement ? Non, il ne peut y avoir de raison valable, ce camouflet n’est qu’un caprice, une dérobade d’un Commendatore dépité par un début de saison F1 peu probant et qui a peur de se mesurer à la Lotus de Fittipaldi, qui domine ce début de saison.

Hélas pour l’AC de Rome, la plupart des écuries entendent elles aussi profiter de cette pause du calendrier pour préparer les Grands Prix de l’été et faire des économies substantielles en frais de déplacement. Ainsi, ni Tyrrell, ni McLaren, ni Brabham, ni Matra ne déposent une demande d’engagement, alors que Lotus et l’usine March n’envoient quant à elles qu’une seule voiture. Ce qui réduit le plateau attendu à 12. Mais de surcroît, quelques jours avant la course, BRM réduit son contingent de 4 à 2 (exeunt Beltoise et Marko), Frank Williams de 2 à 1 (exit Pace) et Surtees se dit en manque de moteur pour Hailwood. Ces forfaits de dernière minute motiveront d’ailleurs une plainte des organisateurs, exigeant des sanctions de la part de la CSI.

La course

Accident LaudaAu final, seules huit voitures sont donc présentes à l’ouverture des essais de cette course appelée « Gran Premio de la Repubblica Italiana » : le mulet JPS de Fittipaldi, les BRM P160 de Ganley et Gethin, la Tecno de Galli, la Surtees privée d’Adamich et trois March différentes : la 721 X officielle de Lauda, la 721 de Frank Williams pour Pescarolo et la 721 G de Mike Beuttler, adaptée de la F2 722. Ce plateau déjà maigrelet est encore réduit d’une unité quand Lauda détruit sa voiture aux essais, en sortant de la route suite à une crevaison. Des essais qui n’offrent aucune surprise : Fittipaldi s’adjuge la pole avec une seconde d’avance sur le 2e, Ganley. Et pas moins de 3 secondes sur la Tecno de Galli, dernier temps.

Banderole FerrariLe dimanche, la course débute en fin de journée pour profiter d’une température plus raisonnable. Mais elle n’en est pas moins élevée chez certains, car on remarque dans les tribunes de grandes banderoles sans équivoque : « Ferrari ! Vergogna !!! », « Ferrari ! non vendere fumo !!! » (ne raconte pas d’histoires).
Manifestement, les tifosi romains ne pardonnent pas l’esquive d’« Il Vecchio ». Quant à la course, elle est facile à résumer et a dû paraître un peu longuette (80 tours quand même) aux spectateurs : surpris au départ par les 2 BRM, Fittipaldi se reprend immédiatement et mène jusqu’à l’arrivée, sans opposition valable. Tecno-grilleC’est déjà la 5e victoire F1 de l’année pour le Brésilien, après l’International Trophy (Silverstone), la Course des Champions (Brands Hatch) et les GP d’Espagne et de Belgique. Le podium est complété par Adamich et Galli qui signe ainsi le meilleur résultat brut de Tecno en F1, Beuttler étant le 4e et dernier pilote à voir le drapeau à damier. Malgré un déroulement aussi « plat », Autosprint réussira à remplir une demi-page avec le compte-rendu de la course tout en lui donnant un titre limpide – « 80 giri senza un sorpasso » – qui dissuaderait plutôt de le lire. Un compte-rendu assorti de commentaires amers fustigeant durement l’absence de Ferrari, « qui a certes beaucoup donné au sport automobile Italien, mais qui a aussi beaucoup reçu et a donc des devoirs, notamment celui de ne pas se moquer des tifosi » (je résume).

Autosprint

Vallelunga no, Monza si

Evidemment, après une telle expérience les espoirs de Vallelunga de concurrencer Monza pour le GP d’Italie sont pour le moins douchés. D’autant plus qu’après l’aménagement de chicanes provisoires pour l’édition 1972, Monza pourra finalement abattre des arbres et modifier son tracé pour 1973 et ainsi conserver sa légitimité de temple incontesté du sport auto italien. Et la place de « circuito numero due » sera finalement prise par Imola une dizaine d’années plus tard.

Mais Vallelunga n’aura pas tout perdu dans cette histoire. Cet ersatz de Grand Prix a quand même permis de valider le circuit pour des épreuves de niveau mondial, ce qui lui permet d’organiser dès l’année suivante la première édition des 6 Heures Sport, première étape du duel Matra-Ferrari pour le titre mondial des marques. Quelques années plus tard, les silhouettes du Groupe 5 fréquenteront elles aussi la « vallée longue », qui restera par ailleurs un pilier du calendrier européen de la F2, puis de la F3000, jusqu’au début des années 90.

Vallelunga today

Ensuite, hormis la reprise à partir de 1994 et jusqu’aujourd’hui des 6 Heures pour les GT, l’Autodromo Piero Taruffi disparaîtra des radars internationaux pendant une douzaine d’années. Mais en 2005 l’achèvement d’un programme de modernisation et d’extension (jusqu’à 4,1 km) lui permettra, en sus de nombreuses épreuves nationales, de recevoir le championnat du monde Superbike et d’être validé par la FIA pour des séances d’essais F1.

Illustrations :

Photos © DR. La majorité des photos sont issues du site italien Vallelunga Unofficial Archive, très riche mais peu ordonné : http://vallelungaunofficialarchive.blogspot.fr/

Et merci à Roy Pagliacci d’avoir mis ses petits films sur YouTube.

 

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