21 novembre 2016

British Grand Prix 1958

BRITISH GRAND PRIX 1958 ou LE DILEMME DE PETER COLLINS

Le document que je vous communique ici est assez exceptionnel. Exceptionnel car vous ne le trouverez probablement nulle part ailleurs que sur Classic Courses. Il s’agit d’un documentaire sur le Grand Prix de Grande Bretagne 1958, réalisé par la société Random Films, connue pour avoir produit la célèbre série « Jaguar at le Mans » de 1953 à 1958.

René Fiévet

  1ère partie

Pour une raison inconnue, ce documentaire n’est pas commercialisé, alors que pratiquement tous les autres films réalisés à cette époque sur le sport automobile sont accessibles sur des supports DVD. D’ailleurs, dans ma série « Formule 1, Formule Sport et vidéos » (Classic Courses, février 2014), je vous avais parlé de cet « âge d’or » du documentaire de sport automobile, couvrant les années 50 jusqu’au début des années 60. Je vous indiquais que je pensais avoir fait le tour de la question, et que je n’attendais plus guère de nouvelle découverte dans ce domaine. Pourtant, je savais qu’un film existait pour ce Grand Prix de Grande Bretagne 1958, puisque de courts morceaux étaient repris dans les films historiques sur le sport automobile. Voici maintenant le film dans son intégralité et, ajouterais-je, dans son intégrité. Car il s’agit d’une vraie œuvre cinématographique. Je vous en laisse juges mais, pour ma part, j’ai été enthousiasmé par ce film qui est de toute beauté. Un vrai bijou. Un film émouvant également puisque le vainqueur, Peter Collins, perdra la vie quinze jours plus tard lors du Grand Prix d’Allemagne au Nurburgring.

Pour bien apprécier ce film, on doit évidemment se remettre dans l’ambiance de cette époque. On ne racontait pas le sport automobile de la même façon que de nos jours : le commentaire s’adressait à un public profane, et excluait toute technicité. En outre, le langage était agrémenté d’expressions idiomatiques qui paraîtraient sans doute un peu ridicules de nos jours (par exemple : « not until the hounds find the offending hare », à propos des mécaniciens qui trouvent la panne sur la BRM de Behra). Mais il y a un point sur lequel ce film est remarquable, et fait qu’on peut le regarder avec le plus grand plaisir : il transmet parfaitement bien la dramaturgie d’une course automobile. De ce point de vue, il nous faut, nous Français, reconnaître notre infériorité par rapport aux Britanniques : ils savent raconter une course automobile.

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Pour vous permettre de mieux profiter de ce film, je me suis attelé à la lourde tâche d’écrire les sous-titres en français. J’ai voulu que le texte en français « colle » au plus près avec le commentaire en anglais (ce qui n’est pas toujours le cas avec des sous-titres). Je pense y être arrivé, non sans l’aide d’un collègue anglophone qui, lui aussi, avait parfois des difficultés à comprendre certains passages (1).

Mais revenons à ce Grand Prix de Grande Bretagne de l’année 1958. Les trois personnages centraux sont Stirling Moss, Mike Hawthorn et Peter Collins. Pour bien comprendre le contexte de cette course, je vous communique également cette bande son, issue d’un enregistrement réalisé peu avant le départ : un journaliste interroge Collins sur ses chances pour la course à venir. Ce qui nous permet d’entendre la voix de Peter Collins : l’anglais est d’une grande pureté, et on sent une certaine distinction qui trahit le jeune homme de bonne famille, issu de cette « middle class » qui constitue encore la colonne vertébrale de la société britannique des années 50-60.

Interview de Peter Collins avant le départ

L’interview peut paraître banale, mais révèle néanmoins quelque chose d’intéressant. Peter Collins est dans un dilemme ; ce qui explique peut-être la curieuse façon dont le journaliste formule la question (« … a question I should not ask you »). Collins (3ème à Monaco et 5ème à Reims) a moyennement débuté le championnat, alors que Mike Hawthorn (troisième en Argentine, second à Spa, vainqueur à Reims) est à la lutte pour le titre avec Stirling Moss (vainqueur en Argentine et à Zandvoort, second à Reims). Il sait que sa voiture peut lui permettre de gagner, mais c’est Mike Hawthorn qui est en course pour le titre de champion du monde. En plus, Mike est son ami ; un vrai ami, qui a pris fait et cause pour lui contre Tavoni, lors du psychodrame de Reims, il y a 15 jours (2). La priorité, avoue-t-il, est bien d’aider Mike (« it’s the principal object »). Pourtant, il peut gagner, il le sait. Et surtout, il le veut ardemment. Il lui faut absolument reconstruire une crédibilité au sein de l’équipe Ferrari où sa position est devenue fragile.

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La dernière question du journaliste (« And you can keep going, you think ? ») est difficile à traduire littéralement, car tout est dans la nuance, avec cette utilisation du verbe « to keep », qui signifie que Collins court deux lièvres à la fois. On peut traduire par : « et vous pensez (malgré cela) pouvoir saisir votre chance ? ». « J’en suis sûr », lui répond Collins. La situation est donc compliquée : comment courir pour « la gagne » et en même temps aider Hawthorn dans le championnat ? Comme toujours, les circonstances décideront.

2ème Partie 

On sait ce qu’il advint. Peter Collins, jaillissant de la seconde ligne, prit immédiatement la roue de Stirling Moss. A la fin de la ligne droite qui suit Copse, dans la courbe rapide de Maggots, il prit l’intérieur et dépassa la Vanwall avec une déconcertante facilité. Dès la fin du premier tour il était en tête, et on ne le reverrait plus. Il remporta la course. Je n’ai pas connaissance qu’il eut jamais la moindre intention de laisser passer Hawthorn qui termina second. Après tout, le calcul – s’il y en eut un – n’était pas si mauvais : Moss avait abandonné, et Hawthorn était passé en tête du championnat (30 points contre 23 à Moss). Quant à Collins, il s’était un peu « refait la cerise » (14 points), et pas seulement au strict plan comptable. Une « win-win situation », comme on dit de nos jours.

Mais deux semaines plus tard, au Nurburgring, face aux Vanwall, moins rapides dans les lignes droites mais plus agiles dans les courbes, ce serait une autre affaire.

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Illustrations © DR et Random Films

Notes

Une première version de ce texte a été publiée sur le site Mémoire des Stands le 2 décembre 2009. Elle était axée uniquement sur la bande son de l’interview de Peter Collins. Je ne disposais pas alors du documentaire de Random Films.

(1) Cet exercice de traduction a soulevé parfois de véritables énigmes. A 3 minutes 01 seconde, il me fut longtemps impossible de comprendre le début de la phrase, juste avant « … have arrived with Sir William and Lady Lyons ». Finalement, mon collègue anglophone a cru entendre « Appleyard », et la lumière fut : Ian Appleyard était un « distinguished sportman » des années 40-50, essentiellement pilote de rallye au volant d’une Jaguar, qui était marié avec Pat Lyons, fille de Sir William Lyons, Président fondateur de Jaguar. Pat Lyons fut la coéquipière de son mari, et ils remportèrent ensemble plusieurs fois la Coupe des Alpes au début des années 50.

(2) On se reportera au récit très complet de cette affaire que fait Laurent Rivière sur le site Les amis du circuit de Gueux, dans la rubrique « Carnet du paddock » (www.amis-du-circuit-de-gueux.fr/).

 

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