Soufflerie Eiffel
27 mars 2024

La soufflerie Eiffel par Monsieur Peter

La soufflerie Eiffel : Ecrasé par le poids que représente Eiffel, sa Tour, ses ponts, les affaires, la fin du 19ème siècle, nous pensions Jules Verne alors que nous allions fréquenter Marcel Hubert, Jacques Laffite, Ferdinand Piëch et Henri Pescarolo. Il faut bien avouer que notre mantra automobile nous fit orienter l’échange avec Martin Peter sur la partie la plus automobile et sportive de l’activité de ce lieu chargé d’histoire.

Jean-Paul Orjebin

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Soufflerie Eiffel
Monsieur Martin Peter © Jean-Paul Orjebin

“Savez-vous vous servir d’une règle à calcul ?”
“Oui Monsieur”
“Vous commencerez demain.”

C’est ainsi, après cet entretien sobre et concis, qu’en 1959 sera embauché Martin Peter à la soufflerie Eiffel de la rue Boileau à Paris… à l’essai, il a 22 ans, il vient de quitter l’armée, l’Aéronavale où il s’était engagé après ses études technique à Colmar.

Règle à calcul © Jean-Paul Orjebin

Le mois d’essais se termine, un autre démarre, le jeune Martin se donne à fond quand un matin, un tant soit peu inquiet, il ira taper timidement à la porte de Monsieur Chabonat, le directeur, s’interrogant sur le résultat de cet essai. La réponse est aussi concise qu’au jour de l’embauche : « Puisque je ne vous dis rien, c’est que votre travail nous convient ». Autres temps autres méthodes.

Technicien d’essais, puis assistant du directeur jusqu’à Directeur-Propriétaire de la Soufflerie. Aujourd’hui, c’est un conservateur admirablement conservé qui nous accueille dans le saint des saints de l’aérodynamique française.

Soufflerie Eiffel
La soufflerie © Jean-Paul Orjebin

C’est cet homme qui nous accueille ce mardi de fin janvier 2024, veille de l’ouverture de Rétromobile, là où souffle depuis plus de 100 ans le vent de l’histoire de l’Aéro. Ecrasé par le poids que représente Eiffel, sa Tour, ses ponts, les affaires, la fin du 19ème siècle, nous pensions Jules Verne alors que nous allions fréquenter Marcel Hubert, Jacques Laffite, Ferdinand Piëch et Henri Pescarolo. Il faut bien avouer que notre mantra automobile nous fit orienter l’échange avec Martin Peter sur la partie la plus automobile et sportive de l’activité de ce lieu chargé d’histoire.

Dès 1961, Martin Peter participe à une reprise d’essais sur une maquette de l’Etoile Filante Renault qui avait battu le record du monde de vitesse en 1956. Hélas équipé d’un bruleur à gaz pour simuler la turbine d’origine, l’ensemble prendra feu et les essais prendront fin.

Stand Renault – L’Etoile Filante – Rétromobile 2024 © Olivier Rogar – Classic Courses

Il faudra attendre 1965 pour voir revenir les maquettes d’autos avec les CD de Charles Deutsch et les Alpine de Jean-Rédélé, la silhouette de Marcel Hubert en blouse blanche hante encore les passerelles de la soufflerie. Martin Peter se souvient, l’œil brillant de malice, des tours de périph de nuit à 200 km/h à côté d’Hubert en Alpine pour vérifier un nouvel aéro.

Marcel Hubert à droite à la presentation de la A364 © DR
Soufflerie Eiffel
Maquette CD © Jean-Paul Orjebin

Ce sera l’aventure de la Matra 640 et ce terrible accident de Pesca le 16 avril 1969. Martin Peter que je provoque timidement en lui demandant si par hasard, Robert Choulet n’aurait pas fait une petite erreur de calcul, me répond d’un non catégorique et rappelle que l’on était en phase de déverminage et que l’aérodynamicien, consultant de Matra, avait donné des instructions de montées en vitesse progressives. D’autant qu’il avait remarqué une mise en dépression des portes lors d’un run précédent sur le tarmac de la base militaire de Marigny le Grand et que cela exigeait de revoir certains réglages de portances.   

Difficile lors d’une invitation aussi privée qu’aimable de lancer une discussion risquant de devenir polémique. Nous nous souvenions malgré tout de la réaction de Pescarolo qui 36 ans après l’accident des Hunaudières reprenant le cerceau de la 640 refaite à l’identique par l’EPAF. Apres avoir atteint 295 Km/h, soit 45 km/h de plus qu’au Mans en 69, il descend de l’auto et prononce cette phrase lapidaire : « elle se déleste » et ce, malgré le montage de combinés ressort-amortisseur plus efficaces qu’à l’époque.

Puis ce sera les travaux sur la Porsche 917 qui, aux dires de ses premiers essayeurs, était un piège. Nous retrouverons Martin Peter, inconfortablement assis sur un soi-disant siège passager, en essais sur d’improbables circuits allemands à des heures matutinales avec des bords de pistes parfois enneigés et des autos loin d’être au point. Les enregistreurs que Ferdinand Piëch avait achetés aux USA ne résistaient pas aux vibrations de la 917 alors que les sondes Pitot apportées par Martin de Paris faisaient l’affaire. Laissez faire les pros.

Robert Choulet grâce à la soufflerie Eiffel et fort de l’expérience Matra 640 modifiera de beaucoup la silhouette de la 917 longue queue en la dotant d’un bas de caisse frontal vertical contrairement à la 640 dont le nez rond provoquait un délestage conséquent.

Puis se sera toujours avec la SERA, les visites de Guy Ligier et la fameuse JS5 son bonnet phrygien destiné certes à gaver d’air le V12 Matra mais aussi et peut-être surtout à diriger l’air propre sur l’aileron de la bonne manière. Cette aéro non conventionnelle fut imaginée et conçue rue Boileau.

Une décision de la CSI interdira le bonnet phrygien et la victoire de 1977 en Suède détournera Ligier de la soufflerie Eiffel ; en effet pour fêter cette victoire, le Ministère des Transports allouera a Guy Ligier des heures gratuites de soufflerie, malheureusement plus rue Boileau mais à l’Institut Aéro de St Cyr.

Soufflerie Eiffel
Essais DS3 © Jean-Paul Orjebin

Puis des relations fortes avec Franz Hasler de chez Audi et Peugeot et Renault, la DS3 de Sébastien Loeb, etc, la longue liste risquerait de lasser, sauf à noter une étude on ne peut plus émouvante, lorsque la Soufflerie Eiffel est sollicitée dans un rôle d’assistance technique afin de déterminer les causes de l’accident mortel de Didier Pironi à la barre du Colibri, son bateau offshore, le 23 aout 1987 au large de l’Ile de Wight.

Monsieur Martin Peter durant plus de deux heures qui ont semblé être deux minutes avec cette simplicité des hommes de grand savoir, nous aura fait passer une part de l’Esprit de Gustave Eiffel en particulier à l’instant où nous ouvrant un meuble banal, il nous dévoile les plans de la Tour Eiffel. Il regrette alors l’état dans lequel sont conservés ces trésors, faute de budget de restauration.

Soufflerie Eiffel
Meuble à Plans © Jean-Paul Orjebin
Plans reliés de la Tour Eiffel © Jean-Paul Orjebin

C’est avec une forte intensité de sentiments que nous sortons du 67 rue Boileau, ce lieu magique qui lie les calculs savants et l’esthétique d’une courbe de carrosserie, la poésie du vent et le drame d’un crash, la simplicité d’une règle à calcul et la complexité des formules aérodynamiques. Lieu béni dans lequel l’Art rejoint la Technique.

L’émotion est accentuée encore en quittant la Soufflerie ; nous sommes face au bâtiment de l’ambassade du Vietnam qui a remplacé le joli jardin et la belle maison, où dans sa Bugatti 37 A prêtée par Adrien Maeght, Marcello Mastroianni décide de mourir dans le film » La Grande Bouffe » de Marco Ferreri.

Marcello Mastroianni – Bugatti 37 A © DR

Le vent l’emportera.

Photo 10

Photos JP Orjebin sauf 5 , 7 et 10 archives

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