4 juillet 2014

Grand Prix de l’ACF 1906, premier Grand Prix de l’histoire

La fin du 19è siècle marque l’essor formidable du véhicule automobile. La France n’est pas la dernière nation à disposer de nombre d’initiateurs de projets, les cerveaux bouillonnent de créativité. La compétition technique devient acharnée, les courses entrent dans l’actualité,  il s’agit de confronter ses réalisations. Deux écoles s’affrontent, le moteur à vapeur face à celui mu par la combustion du pétrole. Lorsqu’en 1895 la course Paris-Bordeaux-Paris est remportée par Emile Levassor sur sa voiture à pétrole battant les Bollée père et fils à bord d’un véhicule à vapeur, l’affaire est entendue. 41 heures séparent les deux engins! Les moyennes vont rapidement monter : 25 km/h en 1895, 62 en 1902 lors du Paris-Vienne remporté par Marcel Renault. C’est l’époque des grandes courses sur routes ouvertes ralliant deux villes européennes.

François Coeuret

Les risques étaient bien sûr nombreux et les accidents proportionnels, les vitesses de pointe commençaient à faire frémir, on approchait les 100 de moyenne. Compte tenu des routes de l’époque et des traversées de villes ou villages, les pilotes d’alors étaient confrontés à toutes sortes de périls. Les accidents mortels touchèrent autant les concurrents que les spectateurs. grand prix de l'acf 1906,françois coeuret

La course Paris-Madrid de 1903 enregistrait 275 engagés. Dès le départ le duel entre Gabriel sur sa Mors et Marcel Renault sur la voiture éponyme est acharné. Marcel Renault va perdre du temps derrière la poussière de quelques concurrents, il cravache mais à hauteur de Payré dans un long virage à gauche bordé d’arbres sa voiture déséquilibrée capote, le mécanicien est indemne mais Marcel, gravement blessé, décède deux jours plus tard. Les autorités arrêtent la course à Bordeaux, elle a fait suffisamment de victimes. L’émoi fut tel que les courses de ville à ville furent interdites suite à ce tragique épisode.

La compétition va donc prendre un autre visage. L’américain Gordon Bennett, après avoir inclus sa Coupe dans les courses de ville à ville va mettre sur pied des compétitions en circuit fermé permettant d’instaurer une toute relative sécurité. La Coupe portant son nom dispose d’une renommée internationale, trois voitures par pays producteur sont sélectionnées pour concourir. Ce principe n’arrange pas les français qui comptent une quantité abondante de constructeurs. Beaucoup sont privés de course. Peu après le Paris-Madrid, Jenatzy l’emporte en 1903 à bord de sa Mercedes sur le circuit d’Irlande. La France reprend la Coupe Bennett l’année suivante sur le circuit d’Allemagne en la personne de Léon Théry sur Brasier. Ce dernier réitère en 1905 sur le circuit d’Auvergne.
grand prix de l'acf 1906,françois coeuretLes constructeurs français frustrés vont faire pression auprès de l’Automobile club de France pour organiser des courses ouvertes à tous…

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Les tractations commencent dès 1905. L’Automobile club de France définit les bases d’une course couvrant 1200 km en deux jours sur un circuit fermé privilégiant plutôt la vitesse ce sera le Grand Prix de l’ACF 1906, premier grand prix de l’histoire. Il sera couru en juin 1906. Les candidatures arrivent des principales régions françaises. Après visites de la commission sportive émergent deux circuits, ceux de la Seine Inférieure et de la Sarthe. Début janvier 1906, les membres éminents de l’ACF tranchent et choisissent le circuit de la Sarthe. Il représente un triangle de 100 km liant à ses sommets la banlieue est du Mans, St Calais et la banlieue sud de La Ferté Bernard. L’un des axes longe la voie ferrée desservant Le Mans, permettant à nombre de spectateurs d’affluer vers le circuit. Le tracé est très rapide, les traversées de St Calais et Vibraye posent un problème de sécurité mais la réalisation de contournements revêtus de madriers règlera la situation. Les secteurs incluant des traversées d’ « agglomérations » seront protégés côté public par des barrières en bois…

La course :

Le grand jour arrive en cette fin de mois de juin. Tôt le matin les spectateurs convergent en masse en direction de l’événement. Les constructeurs français ont afflué également, reflétant la santé du secteur automobile, ils sont au nombre de dix : Lorraine Dietrich, Brasier, Grégoire, Panhard-Levassor, Renault, Gobron-Brillié, Vulpès, Hotchkiss, Darracq, Clément-Bayard. La plupart engage trois voitures. La participation étrangère est plus réduite mais de qualité, Fiat et Itala pour les transalpins, Mercedes pour l’Allemagne. Les anglais sont restés sur leur île. Levés dès potron-minet, les acteurs sont prêts, le décor est posé, les concurrents tirés au sort pour s’élancer partiront toutes les 90 secondes. La chaleur va monter au cours de cette première journée de Grand Prix, on frôlera la canicule…

grand prix de l'acf 1906,françois coeuret

C’est Baras sur Brasier qui cravache en début de course, le revêtement avec la chaleur et les passages des concurrents se dégrade vite (1). Les pilotes malgré leurs lunettes souffrent de projections de poussière et de goudron chaud. Des incidents mécaniques, des accidents émaillent le premier tour, le très expérimenté Fernand Gabriel casse la transmission de sa Lorraine Dietrich, Hanriot le moteur de sa Darracq, Fabry retourne son Itala. Les crevaisons sont nombreuses, le nouveau système de jante amovible élaboré par Michelin va favoriser les équipes qui ont fait confiance au procédé dont Renault, Clément-Bayard (2 autos sur 3) et Fiat. Ce système leur fait gagner beaucoup de temps (2). Louis Renault choisit la prudence et modère le rythme de ses pilotes. Au troisième tour, Baras connaît des problèmes d’allumage, la Renault de Sizsz prend le commandement devant la Brasier de Barillier qui a pris le relai de Baras troisième. Suivent Teste (Panhard-Levassor), Shepard (Hotchkiss), Clément (Clément-Bayard). L’équipe Itala a perdu une autre voiture dans l’accident de De Caters. Alors que les six tours de cette première journée vont s’achever, la course impose sa hiérarchie: 26 minutes séparent Szisz de Clément tandis que Nazzaro se place en embuscade concédant 41 mn au pilote hongrois.

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Au retour dans le parc fermé, de nombreux pilotes souffrent des yeux, victimes de conjonctivite, d’ulcérations de cornées. Jenatzy sur Mercedes abandonne suite à des brûlures au visage, il cèdera son volant à Burton, nombre de pilotes passent par l’infirmerie.

A l’aube du deuxième jour, la liste des compétiteurs s’est amaigrie. La course va se jouer entre Ferenc Szisz, Albert Clément et Felice Nazzaro. Les voitures sortent du parc fermé tirées par des chevaux, aucune intervention mécanique n’a été possible depuis la veille. Szisz va profiter de son avance pour s’arrêter peu après le départ afin de réviser son auto (3). L’efficace mécanicien nommé Martau change les pneus à grande vitesse tandis que les pleins d’huile et de carburant sont effectués. La course est plus limpide qu’au premier jour, les concurrents sont partis espacés dans l’ordre du classement de la veille. Clément adopte un rythme élevé tentant un retour sur la Renault mais les pneus de sa Bayard en pâtissent. Il est le seul de son équipe à disposer de pneus Dunlop, par trois fois il faut changer d’enveloppe et perdre beaucoup de temps. Au contraire Nazzaro progresse sur la Renault, équipé aussi du système Michelin, il attaque à outrance. Teste sur la Panhard-Levassor est victime d’une violente sortie de route, se retourne, il est évacué vers l’hôpital tandis que l’Américain Shepard escalade une butte et reste bloqué à cheval sur le monticule. Le revêtement est ravagé en fin de course, les pilotes vont devoir redoubler de prudence.

grand prix de l'acf 1906,françois coeuret

A ce jeu Szisz gère son avance avec dextérité malgré une alerte coté suspension que Martau va rapidement régler(4). L’équipage Renault passe la ligne en vainqueur à plus de 100 km/h de moyenne avec une avance de 32 mn (5). Les vainqueurs sont salués par le patron Louis Renault agitant son canotier (6). Au classement suivent Nazzaro sur Fiat, Clément sur Clément-Bayard, Barillier sur Brasier, Lancia sur Fiat, Heath sur Panhard-Levassor. Ainsi s’achève le premier Grand Prix de l’histoire.

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Une histoire qui se perpétue en quelque sorte… 2006 : à l’occasion du centenaire des compétitions estampillées « Grand Prix », l’écurie Renault remporta le Championnat du monde F1 face à Ferrari. Si le pilote vedette de la Scuderia s’adjugea cette année-là le Grand Prix de France, il s’inclina sur l’ensemble de la saison. Son adversaire espagnol, sans minimiser son talent pour le pilotage, avait reçu l’aide d’un allié en la circonstance. Sa monoplace était équipée de pneus de conception radiale Michelin (7).

On notera que trois constructeurs ont survécu à nos jours : Fiat, Mercedes et Renault qui sont toujours au combat en Grand Prix par le biais de Ferrari pour les transalpins tandis que les français y maintiennent une activité en tant que motoriste.

Notes

1- Les portions de route trop caillouteuses ont été recouvertes de goudron, il résistera difficilement à la chaleur et aux passages des concurrents.

2- En cas de crevaison, la jante amovible Michelin nécessitait entre 2 à 4 minutes pour un changement : le temps de desserrer et resserrer le boulonnage. Le système traditionnel demandait environ 15 minutes pour changer une enveloppe crevée : découpage du pneu endommagé collé le plus souvent par la chaleur, mise en place du pneu neuf, gonflage.

3- Au contraire de la Coupe G. Bennet, seuls le pilote et son mécanicien peuvent intervenir sur la mécanique lors des ravitaillements.

4- A l’approche du dernier tour (il reste 100 km à parcourir !), un ressort de suspension casse sur la Renault N°3A : Martau va consolider l’endroit malade à l’aide de brides.

5- Les 12 tours sont parcourus par le vainqueur en 12H 14mn 07 sec, moyenne : 101,198 km/h

6-Ferenc Szisz prend sa revanche : en 1905 lors de la dernière édition de la Coupe G. Bennet en Auvergne, il ne se qualifia pas pour l’épreuve.

7- Rude confrontation entre les manufacturiers Michelin et Bridgestone qui ont remporté 9 victoires chacun en 2006 (changement de gommes rétabli en course) ; par contre la réglementation 2005 imposait un train de pneu par Grand Prix et les pneus Michelin avaient fait merveille au niveau de leur constance sur 300 km (18 victoires pour le manufacturier français sur 19 GP)

 
Crédits Photos :
 
1 : 1906 ACF – Renault  – Szisz-Martau @ DR
2 : 1903 Paris -Madrid – Marcel Renault @DR
3 : 1905 Coupe Gordon – Benett – Brasier – Léon Thery @DR
4 : 1906 ACF – Renault – Szisz-Martau @DR
5 : 1906 ACF – Parc fermé @DR
6 : 1906 ACF – Vainqueurs Renault – Szisz -Martau @DR
 

GP de l’ACF – 26-27 juin 1906 – F.Coeuret 

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