12 novembre 2019

Mon Mans 66

La chronique de Patrice Vatan du 12/11/2019

Répondre à l’appel du 18 juin en 1966 nécessitait moins d’engagement que 26 ans plus tôt : un téléviseur, Télé 7 Jours daté du jour pour la forme et Sport-Auto de juin pour le fonds.

Au moment où je poussais le bouton du Pizon Bros à piles et antenne intérieure que nous avions à Romorantin, Raymond Marcillac lançait le direct depuis la rue Cognacq-Jay, passait le relais à François Janin qui, flanqué de cameramen aux accoutrements de cosmonautes soviétiques, parcourait la grille de départ.

Le Mans, la plus grande course du monde… Cette expression aujourd’hui galvaudée, démonétisée brillait alors d’un éclat ô combien aveuglant et ravalait la F1, animée par de modestes moteurs de 1500 cc jusqu’à l’année dernière, au rang de discipline secondaire.
Aux gros prototypes du Mans venait s’ajouter une monstrueuse auto, présentée comme telle par la presse, la Ford MK II de 7 l de cylindrée.

Je ne pouvais manquer d’associer cette nomenclature vintage aux trois lettres d’argent, MK X, inscrites à la malle arrière de l’énorme Jaguar, autre monstre, domestiqué à Coventry, que mon beau-père, nouvellement entré dans notre famille, avait apporté dans ses bagages – et qui me faisait du phare depuis son garage par-delà les portes-fenêtres au lointain desquelles coulait la Sauldre.

En sommeil depuis mon expérience quasi utérine du Grand Prix du Maroc 1958, la brindille qui allumerait en moi un grand feu mécanique avait grésillé l’an dernier avec la victoire à Reims d’un curieux petit bonhomme claudiquant qui porta dès lors sur ses épaules malingres, tel Atlas la sphère céleste, la charge écrasante d’une France qui renaissait à la course automobile. J’étais fasciné.
Sa geste s’écrivait avec des mots de drame et de sang. Ceux pour exprimer la mort tragique de sa jeune épouse le 1er avril, ceux pour oser décrire sa joie au baisser du drapeau en Principauté un mois plus tard.

Et un cinéaste aussi neuf que prometteur avait soufflé sur la brindille. Palme d’Or à Cannes avec un film moins convainquant par ce qu’il disait que par ce qu’il montrait d’un circuit qui compterait tellement, Montlhéry et de la mythologie qui l’enveloppait.

Le Mans 66, mon Mans 66 dont la caméra des hommes de l’ORTF balayait des voitures qui au mitan des années soixante furent les plus belles, les plus harmonieuses qui s’offrirent jamais aux regards. Quatre Ford MK II aux deux premières lignes. Chrono époustouflant crevant presque le mur des 3’30”. En embuscade les Ferrari P3 que secrètement je voulais derrière, 24 heures plus tard.

Pendant qu’une pensée fugace faisait surgir en moi Walt Hansgen qui s’était tué aux essais d’avril sur une de ces MK II, ajoutant un acte à la dramaturgie générale, François Janin saluait Ken Miles faisant coucou à l’écran, visage en lame de couteau qu’une sortie de route figerait pour l’éternité deux mois plus tard.
Un type nommé James Mangold le ressuscitera demain sur l’écran géant de l’UGC Ciné Cité Les Halles.

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