23 avril 2018

F1 1973 : les goûts et les couleurs

Les miniatures que l’on collectionne sont une façon de représenter l’histoire du sport automobile. Mais l’environnement qu’on leur donne dans une vitrine peut aussi permettre d’y revenir par des chemins détournés et sous l’angle de l’anecdote. C’est ce à quoi je vous invite pour la saison 1973 de Formule 1.

Olivier Favre

Modéliste

F1 1973. Certains ici le savent, je suis un collectionneur modéliste depuis près de 40 ans. A l’origine spécialisé dans les sport-protos et GT, je me suis diversifié ensuite, sans doute trop. C’est ainsi que j’ai aussi rassemblé des F1 en me limitant néanmoins à la période 1970-75. Mais le champ était encore trop large et je l’ai donc réduit à une seule année : je ne collectionne plus que les F1 de la saison 1973. Le but est donc de reproduire une grille de départ-type de cette année-là au 1/43. Comme on peut le voir ci-dessous, l’affaire est bien avancée.

F1 73-6

F1 73-2

En parallèle des miniatures elles-mêmes, j’agrémente la vitrine qui leur est consacrée avec des pièces d’ « automobilia » liées à cette saison de Grands Prix : autocollants, billets d’entrée, dépliants, programmes. C’est ainsi que j’ai récemment acquis le programme du Grand Prix d’Autriche 1973. Il m’a paru intéressant d’en parler ici car il se distingue des trois autres que j’ai – Monaco, Grande-Bretagne et Allemagne – par plusieurs caractéristiques.

D’abord par son format supérieur et son épaisseur (80 pages). On sent que les Autrichiens ont voulu « faire sérieux ». Habituellement destiné à être plié, froissé, annoté puis jeté une fois la course passée, ce type de publication est en général « léger » : quelques pages de petit format. Alors que là nous sommes en présence d’un opuscule impossible à glisser dans une poche et qu’on est tenté de conserver en souvenir. Et c’est heureux pour le collectionneur qui s’y intéresse 40 ans plus tard !

De la F1, vraiment ?

Programme-RAutre curiosité, contrairement aux Allemands (« Grosser Preis von Deutschland »), les Autrichiens ont gardé l’appellation d’origine française reprise par les Anglais : « Grand Prix von Österreich ». Enfin, on remarque deux autres marques sur cette couverture : les cigarettes Memphis en haut et l’anti-rouille Dinitrol en bas. Soit deux produits qui n’étaient pas des sponsors réguliers de la F1 en 73 et qui, sauf erreur de ma part, ne figuraient sur aucune carrosserie. Au total, si l’on ajoute à ça que l’inscription « Formel 1 – Weltmeisterschaft » n’est pas particulièrement apparente, on peut dire que la F1 ne saute pas aux yeux sur ce programme.

Passons aux pages intérieures maintenant. Elles contiennent beaucoup de publicité bien sûr. Pas seulement pour des produits automobiles d’ailleurs. On trouve moult annonces relatives à des commerçants et artisans locaux : hôtels-restaurants, bijoutier, caisse d’épargne, boutique de mode, armurier, auto-école, opticien, chauffagiste, boucherie, … Mais aussi, après l’inévitable édito du dirigeant local de la province du Steiermark où se situe le circuit, beaucoup d’infos. D’abord la liste complète de tous les responsables du bon déroulement de la course, depuis les commissaires sportifs (parmi lesquels le bien connu Fritz Huschke von Hanstein) jusqu’au responsable de la presse, de la procédure de départ, du chronométrage, en passant par le téléphoniste en chef et les médecins de course.

Huschke von HansteinEgalement classiques et attendus sont les horaires des trois jours, les conseils de sécurité aux spectateurs, le plan du circuit et les listes des engagés dans les courses du week-end : F1 mais aussi Formule Ford 1600 et Formule V 1300. Des listes où l’on ne trouve quasiment aucun futur nom (un peu) connu, hormis les Néerlandais Michael Bleekemolen et Arie Luyendijk, l’Autrichien Hans Binder et le Suédois Slim Borgudd. Une illustration supplémentaire de l’adage « beaucoup d’appelés mais peu d’élus » …

Mario, pilote fantôme de 1973

Stewart

Mais plus intéressante est la façon dont sont présentés les pilotes de F1. Notons cependant qu’ils n’y sont pas tous et que d’autres au contraire ne devraient pas y être. Ainsi Oliver, Purley, Beuttler et Jarier sont absents. Alors qu’Andretti et Schenken y sont. L’Américain a pourtant fait l’impasse sur cette saison 73 et l’Australien ne disputera que le GP du Canada un mois plus tard. La présence de Watson (qui a débuté à Silverstone) et de Pescarolo (participations épisodiques, en particulier 15 jours plus tôt au Ring) est plus compréhensible. Quant à Adamich, les rédacteurs n’ont semble-t-il pas intégré que sa saison s’était terminée dans le carambolage de Silverstone.Peterson-Hulme-Fitti

Côté mensurations, Arturo Merzario est sans surprise le jockey de la bande avec ses 50 kg, alors que la plupart de ses concurrents pèsent environ une fois et demie plus lourd. Parmi ceux pour lesquels on a l’info, Hulme et Hill sont les deux plus massifs (respectivement 90 et 87 kg), alors que Pescarolo et Peterson sont les plus grands : 1,84 m, juste devant Cevert et son 1,83 m.

Merzario-2

Ginger ale, samba et ski nautique

Les préférences gustatives ensuite. On apprend que la boisson favorite d’Emerson Fittipaldi est le jus d’orange, alors que Niki Lauda préfère le jus de pomme, Tim Schenken le lait et Jacky Ickx le ginger ale. Sans surprise, Beltoise et Cevert sont plutôt amateurs de vin rouge, et plus précisément le Château Haut-Brion 1943 pour le second nommé1 ! Leur plat favori ? De la viande surtout : escalope de veau (Lauda), bifteck (Regazzoni, Fittipaldi, Hulme), canard rôti (Cevert), foie de poulet (Ickx), côtelettes d’agneau (Hill). Pour Beltoise, c’est tout simplement la cuisine française.

Côté musique, la pop domine dans les préférences et il n’y a guère de surprises chez Stewart (Beatles), Fittipaldi (samba), Cevert (classique et en particulier Beethoven). Quant à Beltoise et Hailwood, ils sont amateurs de jazz et Lauda aime « Rita Franklin » (qui doit être Aretha Franklin). Pour Ickx et Andretti, c’est selon l’humeur.

Stewart-tir

En guise de loisirs, les pilotes entretiennent leur forme en pratiquant de nombreux sports : le ski, alpin (Beltoise, Cevert, Lauda) ou nautique (Fittipaldi, Hulme, Amon, Revson), la chasse, la pêche et le golf (Stewart, sans surprise), la moto (Ickx), l’aviation (Hill), la natation et le tennis (Rega), … Mais certains font aussi de la musique (piano et guitare pour Hailwood) ou regardent la télé (Hulme).

Ce qu’ils aiment avant tout ? Là encore, pas de surprises : Cevert-Andress

  • Stewart : le sens de l’humour
  • Cevert : les belles femmes
  • Fittipaldi : les plages brésiliennes
  • Ickx : la liberté
  • Beltoise et Regazzoni : la vie de famille
  • Hill : un bon coup au golf
  • Pescarolo : la nature

Et qu’est-ce qui les énerve, les met en colère ? Qu’on s’immisce dans sa vie privée (Hill), les conflits raciaux (Fittipaldi), les gens qui se prennent trop au sérieux (Cevert), les gens malhonnêtes (Beltoise), l’intolérance (Ickx), ceux qui roulent à gauche sur l’autoroute (Regazzoni), finir deuxième (Andretti), voyager (Hailwood, un peu gênant pour un pilote de F1). Pour Lauda, avant même d’intégrer la Scuderia Ferrari, ce sont les intrigues, déjà ! Quant à Tim Schenken et Henri Pescarolo, ils sont en complète opposition : rien n’énerve l’Australien, alors que beaucoup de choses font sortir Pesca de ses gonds. Et Peterson, lui, déteste les voitures sous-vireuses !

Et leurs voitures?

Enfin, les voitures que les pilotes conduisent à la ville vont du plus simple (Austin 1100 Estate pour Hulme, Mini Cooper et Ford Zephyr pour Hill) au plus ostentatoire (Ferrari GTC pour Ickx, Daytona pour Andretti, Dino pour Rega). Ou original : une Citroën SM pour Mike Hailwood, qui était décidément francophile : il appréciait la cuisine française et son pays préféré était la France (avec l’Afrique du Sud). Stewart, Cevert et Schenken conduisent des Ford, pour les deux premiers nommés c’était contractuel. Quant à Pescarolo, il est censé disposer du coupé Peugeot de son père !

Hailwood et Lauda en 1973 - © Ian Dawson

Hailwood et Lauda en 1973 – © Ian Dawson

Voilà pour les goûts et préférences de ces messieurs. Bien entendu, le spectateur peut aussi compléter ce fascicule en inscrivant la liste des engagés réelle et la grille de départ. S’il est très attentif (et ultra rapide), il a même la possibilité de renseigner son propre tour par tour. Et, prenant de la hauteur, les dernières pages du programme l’invitent à essayer le parachutisme au départ de l’aéroport de Graz et à guetter les apparitions des deux avions de voltige aérienne qui viendront meubler les temps morts sur la piste.Quant au « fanatique » d’aujourd’hui qui souhaiterait se remémorer cette course qui vit la B3 Forghieri effectuer sa première sortie et Fittipaldi perdre l’essentiel de ses espoirs de conserver son titre, il peut la revoir intégralement ici :

https://youtu.be/6UW87xrU1xg

Photos : © DR

Note

1 – Ce Château Haut-Brion 1943 donne une idée de la manière dont les concepteurs du programme sont allés chercher leurs informations. En 1970 François Cevert tenait une chronique régulière dans Sport-Auto. Et qu’y raconte-t-il dans le n° 105 d’octobre ? Qu’au lendemain du GP de France il s’est rendu avec d’autres collègues pilotes chez Pierre Bardinon au Mas du Clos. Et qu’il y a passé l’après-midi du lundi au bord de la piscine, « pour y digérer un assez sensationnel Château Haut-Brion 1943. » Merci à Pierre de m’avoir rappelé cette chronique et ainsi permis de faire ce lien !

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