13 octobre 2018

Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1975

Résumer le Grand Prix de France 1975 à un cavalier seul de Lauda serait quelque peu réducteur, tant le spectacle fut au rendez-vous tout au long du week-end provençal de la Formule 1. On put même parler de franc succès après des éditions 1971 et 1973 qualifiées de « rodage » : le temps fut somptueux, le public vint en masse, et les V8 et V12 chantèrent clairs, comme les cigales parsemant la garrigue environnante. Et pourtant, le Grand Prix faillit ne pas se tenir sur le plateau du Castellet !

 Pierre Ménard

Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 1/2 
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 2/2
Circuit Paul Ricard – Trophée de France F2 1970
Circuit Paul Ricard – Sports Protos – Jarier en son jardin
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971
Circuit Paul Ricard - Grand Prix de France 1973
Circuit Paul Ricard - Grand Prix de France 1975
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1976
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1978
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1980 
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1986 
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990 
Circuit Paul Ricard – Stéphane Clair
Circuit Paul Ricard - Grand Prix de France 2018

 

CC 1 GP FRA 75En vertu de l’alternance prônée par la Fédération Française du Sport Automobile, le circuit de Charade avait initialement été choisi pour le Grand Prix de France 1975, après l’édition 1974 disputée – pour la première fois – à Dijon-Prenois. Les autorités françaises voulaient ainsi développer l’idée d’une triple alternance Paul Ricard/ Dijon/ Charade, histoire de montrer au monde la belle diversité de nos circuit nationaux. Idée intéressante à la base… sauf que les pilotes refusèrent catégoriquement de retourner en Auvergne après le désastreux Grand Prix de 1972 (1).

Les volcans s’accrochent

Il était évident que le Paul Ricard proposait des conditions de sécurité et d’organisation bien supérieures à celles du pourtant beau tracé surplombant Clermont-Ferrand. Mais la FFSA, emmenée par son énergique – et têtu – président Jean-Marie Balestre, s’arcbouta sur son choix initial et imposa l’option auvergnate en menaçant carrément d’annuler le Grand Prix de France en cas de refus du GPDA. L’association des pilotes de grand prix découvrait ainsi en Balestre un personnage « singulier » aux méthodes radicales avec qui, sans qu’elle s’en doutât encore, elle aurait à composer dans les années à venir ! C’est à ce moment que les organisateurs de Charade firent preuve de sagesse, à défaut de clairvoyance.

Conscients que leur circuit adoré était condamné à terme – au même titre que le long Nürburgring sur lequel s’abattaient de plus en plus de critiques, ils avaient déjà dans leurs dossiers les plans d’un Charade transformé, plus court et plus en accord avec les nouveaux standards édictés à l’orée de ces années soixante-dix. Ne voulant pas se mettre à dos la fédération internationale en cas de récidive d’accident grave durant un hypothétique Grand Prix, Jean Auchatraire et son comité directeur préférèrent donc se retirer de la course au Grand Prix 1975, pour pouvoir plus tard présenter un dossier solide avec un tracé rénové. On sait malheureusement ce qu’il en fut : ce tracé ne verra le jour qu’en 1989 et, malgré les belles promesses d’alors, il ne recevra aucune manifestation internationale d’importance.

Lauda… oui mais

C’est donc avec soulagement que, dès les tous premiers jours de juillet, la troupe des Grand Prix prend la direction du Paul Ricard. Pour être totalement franc, les participants du F1 Circus – les Britanniques en premier – ne sont pas mécontents de se retrouver dans ce pays où il fait toujours beau, avec la Méditerranée à portée pour le bain vespéral. Pour ce qui est du sport pur et dur, il va par contre falloir trouver les bons réglages et se cracher dans les mains !

CC 2 GP FRA 75

Sur la lancée de sa victoire à Zandvoort quinze jours plus tôt, Hunt fut le seul à sembler être en mesure d’inquiéter Lauda en course… s’il n’y avait pas eu Scheckter ©DR

Niki Lauda et sa splendide Ferrari 312T arrivent en effet sur le plateau du Castellet en grandissimes favoris : la nouvelle création de Mauro Forghieri est à l’évidence une voiture extrêmement bien équilibrée, au moteur V12 à 180° plus puissant que les meilleurs Cosworth. Le pilote autrichien est devenu, lui, en l’espace de deux saisons à la Scuderia, la nouvelle référence en matière de science de la course. Car au niveau du panache, les grincheux commencent à pointer du doigt celui qu’on surnomme désormais « l’Ordinateur » : ne s’est-il pas contenté quinze jours plus tôt d’une seconde place derrière le surprenant James Hunt, certes excellente au niveau comptable, mais un peu décevante alors qu’il aurait du tout faire pour déloger de la première place le fougueux Anglais grâce à la quintessence de sa Ferrari ? Lauda n’a cure de ce qui se dit dans son dos et fait simplement ses calculs : avec trois victoires cette saison, ajoutées à une grande régularité, il mène allègrement au championnat du monde avec 38 points, contre 25 à son challenger direct Carlos Reutemann et 21 au champion 1974 Emerson Fittipaldi. Il sait que sa monoplace sera à l’aise sur le rapide circuit provençal, et seule une petite grippe – vraisemblablement contractée dans les frimas de la Mer du Nord – lui donne matière à s’inquiéter.

Derrière, les supputations pour savoir qui sera en situation de menacer l’Autrichien vont bon train. Beaucoup de gens s’interrogent sur les performances irrégulières des écuries majeures cette année. Que ce soit McLaren, Tyrrell ou Brabham, aucune ne semble avoir trouvé de solution pérenne pour la mise au point de leurs modèles qui datent tous de l’année précédente. Sans parler de Lotus avec sa 72, version E, vieille de cinq ans ! L’arrivée sur les pistes de la nouvelle Ferrari 312T a relégué ces monoplaces au rang de voitures obsolètes, ce qu’elles ne sont pourtant pas pour la plupart ! On note malgré tout les débuts de la nouvelle Ensign N175, pilotée par Gijs Van Lennep. La fine monoplace blanche tranche nettement avec sa lourde devancière, mais tout le monde sait qu’une longue mise au point l’attend.

Goodyear contre Goodyear

Certains observateurs font également remarquer que la position de Goodyear en tant que fournisseur officiel de facto de la Formule 1 sème le trouble dans la compétition. Le manufacturier américain sait Michelin travailler dans ses nouvelles installations aux Etats-Unis et ambitionner de venir contester son pouvoir sur les Grand Prix. Goodyear développe donc son département recherche et, de fait, la fabrication de ses pneus n’est plus stabilisée. Bizarrement, la plupart des écuries font les frais de ce dérèglement, Ferrari mis à part. De là à dire que l’Italien est avantagé par rapport à ses adversaires, il n’y a qu’un pas que certains osent franchir. Avec le recul, on sait que l’explication est tout autre : Forghieri a conçu sa nouvelle 312T autour des pneus Goodyear là où beaucoup d’autres ont dû adapter à ces gommes leurs modèles datant déjà d’un an. Si on ajoute l’avantage au niveau du moment d’inertie polaire de la boîte de vitesses transversale (d’où le fameux T), on détient les clés de la domination de la Scuderia, qui dispose avec Niki Lauda de ce qui se fait de mieux en tant que pilote automobile (2).

Jarier en pointe

Pour le public français venu en masse dès les essais, les chances de voir un pilote tricolore bien figurer sont, hélas, assez minces. En l’absence définitive du héros Beltoise, parti régler la future Ligier et qu’on espère bien revoir l’an prochain ici-même, seul Jean-Pierre Jarier sur sa Shadow semble assez armé pour contrecarrer les plans de Lauda. Jacques Laffite et François Migault n’ont pas entre les mains le volant qui leur permettrait de briller : tous deux sociétaires de la désargentée et désorganisée écurie Williams, ils prient juste pour que leur voiture tienne le coup jusqu’au bout du week-end. Peine perdue d’ailleurs pour Migault qui explosera son Cosworth en qualifications et devra faire banquette pour le Grand Prix, Frank Williams n’ayant tout simplement pas les moyens de faire réparer le bloc cassé ! Quant au bizuth Jean-Pierre Jabouille, qui débute en F1 à l’âge vénérable de 33 ans grâce au ferme soutien d’Elf, il semblera perdu dans les réglages de sa Tyrrell (gérée par Neil Trundel, l’ex-associé de Ron Dennis en Formule 2) et n’arrachera qu’une qualification en fond de grille.

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On attendait beaucoup des talents de metteur au point de Jean-Pierre Jabouille. Peut-être trop ! Le néophyte parut relativement dépassé par l’événement ©DR

Pour revenir à Jarier, le Français fait honneur à son surnom de « Godasse de plomb » en faisant claquer le vendredi un superbe 1’48’’44 qui laisse tout le monde arrêté. Seul Scheckter réussit à s’en approcher avec 1’48’’55, suivi par Fittipaldi (1’48’’75) et Regazzoni (1’48’’77). Lauda n’a tourné qu’en 1’48’’84, mais son état physique moyen l’a empêché de s’employer à fond. Ce qu’il va faire le lendemain. Samedi, le Mistral s’est levé et toutes les équipes installent des démultiplications longues sur leurs voitures. Niki a évacué le gros des miasmes qui l’anesthésiaient la veille et fait parler la poudre avec un imbattable 1’47’’82. Il sera le seul à descendre sous la barre des 1’48’’. A ses côtés, partira Jody Scheckter, et derrière lui, James Hunt et Jean-Pierre Jarier. On connaît les qualités de combattant de Scheckter et Jarier, et on a découvert à Zandvoort celles de James Hunt. Le Grand Prix s’annonce donc passionnant !

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Le départ vient d’être donné. Lauda, Scheckter et Hunt ont déjà disparu, tandis que Jarier (17) et Mass (2) mènent le peloton qui s’élance ©DR

Un bouchon tenace

Plus de 70 000 spectateurs sont recensés dans les tribunes et gradins du Paul Ricard le dimanche pour applaudir la victoire en Formule Renault Europe du jeune Didier Pironi, devant Marc Sourd et Jean Ragnotti, et se préparer pour le Grand Prix. Lorsque les feux passent au vert, hormis l’infortuné Migault, tout le monde est là, et Niki Lauda propulse immédiatement son élégante monture rouge et blanc en tête du peloton. Suivent Scheckter, Hunt, Mass, Pace et Regazzoni. Au premier passage devant les stands, la belle de Maranello a déjà collé la bagatelle de trois secondes à ses poursuivantes qui semblent former un joli petit train derrière la Tyrrell de Scheckter. Le Sud-Africain est en fait aux prises avec une voiture extrêmement difficile à conduire. Il ne doit qu’à la puissance exceptionnelle de son Cosworth de rester devant le peloton dans les rectilignes (il fut le seul durant les essais à avoir été chronométré à plus de 300 km/h dans la ligne droite du Mistral, 306,38 km/h exactement) alors que dans les enchaînements, sa Tyrrell 007 se comporte presque comme une chicane mobile ! Hunt, qu’on imagine bouillir d’impatience, fait le forcing pour dépasser la monoplace bleue, mais c’est finalement Regazzoni qui, grâce à la cavalerie de son V12, réussit à passer tout le monde en quelques tours pour se retrouver deuxième derrière Niki. Le doublé Ferrari ne durera, hélas, qu’un seul petit tour puisque le bloc du Suisse explosera pile-poil devant les stands… exactement comme la veille lors des qualifications !

James le chasseur

Néanmoins, tout ce petit monde part à l’assaut de la Ferrari de tête, Hunt en premier, une fois qu’il a enfin fait sauter le bouchon Scheckter. L’Anglais flamboyant va réjouir le public par son pilotage «  tally ho ! » qui lui permet de regagner petit à petit de précieuses secondes sur son rival autrichien. Va-t-il nous refaire le coup de Zandvoort ? La Ferrari a dégradé ses pneus avant plus que prévu et Lauda éprouve de plus en plus de difficultés à sortir proprement des courbes serrées tant le sous-virage devient patent. On  pousse dans le stand Hesketh derrière James qui réussit en fin de parcours à s’approcher de l’aileron arrière de la 312T. Niki sort un peu large dans le dernier passage au virage du Pont ouvrant sur la ligne droite des stands et James donne toute la puissance de son Cosworth pour tenter de se porter à la hauteur de la Ferrari. Mais l’accélération de celle-ci laisse sur place la monoplace blanche, permettant à Niki Lauda d’enlever, sans trop de problèmes, une quatrième victoire en cinq courses !

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La vue de la Ferrari 312T de Lauda que les concurrents eurent durant tout ce Grand Prix de France ! Malgré une grippe sournoise, l’Autrichien régna en maître sur le Paul Ricard du premier au dernier tour ©DR

Lauda fait ses comptes

James Hunt finit à moins d’une seconde et demie de l’Autrichien, suivi par un excellent Jochen Mass qui complète le podium. Viennent ensuite Fittipaldi, Andretti et Depailler qui aurait pu prétendre à mieux sans un embrayage collé pendant les premiers tours (tombé à la 19e place, il est remonté à la 6e). Résultat somme toute logique tant la Ferrari est actuellement au-dessus des autres, mais la question est sur toutes les lèvres : Lauda aurait-il pu lutter contre la remontée de Hunt si celui-ci n’avait pas été si longtemps obstrué par Scheckter, sachant en plus que le premier termine la course fatigué par sa grippe qui refit surface suite aux efforts fournis ? Le pragmatique Niki doit certainement penser que si sa tata en avait… et se réjouit simplement d’une nouvelle victoire qui accroît son emprise sur le championnat. Et c’est bien ce qui se passera par la suite.

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Niki Lauda, James Hunt et Jochen Mass savourent le podium, tandis que Paul Ricard (à gauche, lunettes et veste grise) semble plutôt apprécier ce qu’il y a au pied du podium ©DR

Niki Lauda fut sacré en fanfare quelques semaines plus tard dans le chaudron de Monza devant des tifosis extatiques de voir enfin le titre revenir « à la maison » onze ans après celui de John Surtees. L’année suivante, James Hunt et Niki Lauda se livraient à une bataille d’anthologie connue de tous, bataille initiée dans la froidure des dunes de la Mer du Nord, puis dans la touffeur d’un plateau de Provence.

Notes

(1) Pour mémoire, si le tracé de Charade resta unanimement loué pour sa grande sélectivité, le Grand Prix 1972 fut, lui, largement critiqué pour ses lacunes dans une organisation jugée bien peu professionnelle, pour ses installations malcommodes et surtout pour la déficience de la part de ses commissaires à nettoyer la piste des petits silex qui en parsemaient les bords, et dont l’un coûta un œil – et sa carrière automobile – au pilote autrichien Helmut Marko.

(2) Lors de l’écriture du livre sur Lauda il y a une quinzaine d’année avec mon confrère Jacques Vassal (Niki Lauda, L’anticonformiste – Ed.Chronosports), Clay Regazzoni nous avait révélé lors d’une interview que Niki allait rendre visite personnellement aux gens de Goodyear et choisissait méthodiquement ses pneus, pneus qui étaient taillés à la main. Là où Clay faisait, lui, confiance à ceux qu’on lui donnait. Résultat : le Suisse était irrémédiablement derrière son chef de file ! « Rega » le reconnaissait : ce n’était pas du favoritisme, c’était simplement un degré de professionnalisme poussé à l’extrême que lui n’avait pas.

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