11 septembre 2018

Il y a 40 ans, la fin de « Super Swede »

Pour la plupart des gens, la date du 11 septembre évoque instantanément l’image d’avions de ligne s’encastrant dans des tours à New-York. Mais pour les Suédois, elle peut aussi ramener à la surface un autre sombre souvenir, plus ancien : c’est en effet le 11 septembre 1978 que la Suède perdit une grande figure nationale : Ronnie Peterson.

 Olivier Favre

Ronnie Monza

Cela fait 40 ans aujourd’hui qu’un terrible enchaînement de circonstances a causé la mort de Ronnie Peterson, un pilote extraordinaire, que tous ses pairs reconnaissaient comme le « plus vite » et qui, fait encore plus remarquable sans doute, n’avait pas de détracteurs et faisait l’unanimité par son comportement, aussi bien sur la piste qu’en dehors.

Nous connaissons certainement tous la « loi de Murphy », un ingénieur aérospatial américain qui l’énonça ainsi à la fin des années quarante : « Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera mal ». Et nous avons tout aussi certainement eu l’occasion d’en éprouver la pertinence à l’occasion des petits tracas de la vie quotidienne. Mais du 9 au 11 septembre 1978 à Monza et Milan, cette loi sembla vouloir s’appliquer de la manière la plus rigoureuse et impitoyable pour broyer la vie d’un homme.

Dans le tour de formation, sans doute l’une des toutes dernières photos de Peterson au volant. © LAT Photographic

Je ne reviendrai pas sur le récit détaillé de l’accident au départ du Grand Prix d’Italie qui est bien connu, si ce n’est pour rappeler froidement l’enchaînement de circonstances malheureuses :

1) 78 au lieu de 79

Les ennuis techniques, de freins notamment, rencontrés par Peterson avec sa Lotus 79 l’empêchent tout d’abord de se qualifier en première ligne, puis l’envoient dans le décor le dimanche matin, l’obligeant ainsi à partir avec la vieille 78 depuis la 3e ligne, car son mulet 79, pas prêt, est resté à l’usine. Or, dans sa partie avant, la structure de la coque de la 79 est nettement plus rigide que celle de la 78.

2) Un starter trop pressé

Le directeur de course libère les voitures alors que seules celles de la première ligne (Andretti et Villeneuve) ont stoppé sur leur emplacement de départ. Toutes les autres sont en mouvement, à une vitesse plus ou moins élevée.

3) Un départ raté

Sans que l’on sache pourquoi, Peterson rate son départ et perd plusieurs places dans les premières centaines de mètres.

Départ

4) Le goulot d’étranglement

Ultra-large du fait de l’embranchement vers l’anneau de vitesse à droite, la rectiligne de départ/arrivée de Monza permet à plusieurs voitures de se présenter de front, mais se resserre juste avant la chicane qui commande l’accès au circuit routier. Déjà dangereuse en soi, cette configuration ne peut que déboucher sur le chaos avec la procédure de départ viciée : les voitures ayant pris un départ lancé rattrapent celles parties arrêtées ou au ralenti et, dans le feu de l’action, il peut être tentant d’empiéter sur la partie droite théoriquement neutralisée mais qui n’est matérialisée que par une simple ligne blanche.

Crash

5) Une interminable attente 

Extrait de l’épave de sa Lotus par ses camarades pilotes, Hunt en particulier, Peterson est traîné sur le tarmac et attend, sans soins, une ambulance qui met près de 20 minutes à arriver sur le lieu de l’accident, alors qu’à quelques mètres de lui les forces de sécurité empêchent le professeur Sid Watkins1 de lui porter secours (ainsi qu’à Brambilla dont l’état suscite alors davantage d’inquiétude).

Epaves

6) Une opération discutable

Peterson est conduit à l’hôpital Niguarda de Milan où l’on constate plus de 25 fractures aux membres inférieurs, en particulier le pied droit sérieusement touché. Le Suédois est conduit sur la table d’opération le soir même, dans le but de rétablir la circulation sanguine et d’éviter ainsi l’amputation. Mais fallait-il opérer si vite, dans l’état où était le pilote ? L’embolie graisseuse2 qui causera la mort de « Super Swede » le lendemain n’est-elle pas une cause directe de cette opération ? Quarante ans après, la prise en charge médicale de Peterson reste sujette à doutes et polémique.

© Rainer Schlegelmilch

© Rainer Schlegelmilch

Loi de Murphy

Ce catastrophique enchaînement semble illustrer la loi de Murphy d’une manière pure et parfaite : ces 6 circonstances sont autant d’embranchements où le sort pouvait se retourner en faveur du pilote suédois, où la pièce pouvait tomber sur l’autre face. Mais non, à chaque fois c’est le pire qui est arrivé. On ne refera pas l’histoire, mais on peut raisonnablement penser que Peterson ne serait pas mort le 11 septembre 1978 si toutes ces contingences négatives n’avaient pas été réunies. En d’autres termes, supprimons une seule de ces 6 contingences « noires » et Peterson, probablement, s’en sortait. Soit l’accident n’avait pas lieu, soit il avait lieu mais Peterson n’y était pas impliqué, soit ses conséquences étaient moins graves pour lui.

Il est évident qu’on ne pouvait rien aux circonstances 1 et 3, qui relèvent de l’incertitude du sport. Quant à la 4, elle n’était pas maîtrisable à partir du moment où l’on avait admis que le GP d’Italie aurait lieu à Monza, dans sa configuration de l’époque. En revanche, les circonstances 2, 5 et 6 relevaient de l’action des hommes et l’erreur humaine pouvait donc s’y glisser. A cet égard, la 2 et la 5 montraient crûment les failles dans l’organisation d’un sport qui, malgré l’action « syndicale » de Jackie Stewart et d’autres à sa suite, malgré certains accidents retentissants dont celui de Lauda deux ans plus tôt, n’avait toujours pas abordé la question de la sécurité des pilotes avec le sérieux et la rigueur nécessaires.

© LAT Photographic

L’accident de Peterson aura au moins eu la vertu de provoquer une prise de conscience sur ce point. A partir de 1979, la procédure de départ sera confiée à un starter désigné par la FIA et, surtout, une prise en charge médicale rapide et professionnelle sera mise en œuvre avec notamment l’introduction, dès le GP suivant Monza, à Watkins Glen, d’une voiture d’intervention en fond de grille. Démarrant derrière les monoplaces avec à son bord le professeur Watkins, elle pourrait être sur les lieux d’un accident au premier tour en l’espace de quelques secondes et garantir une intervention optimale, quels que soient le circuit et le pays. Mais il faudra quand même encore dix ans et plusieurs victimes (Regazzoni, Jabouille, Pironi, Laffite), pour que l’on proscrive ces F1 où les pieds des pilotes dépassent l’axe des roues avant et se trouvent donc en première ligne en cas de choc.

Nina

Quarante ans après, on ne peut qu’être encore accablé en se remémorant la mort de Peterson. Bien sûr, d’autres pilotes étaient morts avant lui et d’autres (moins nombreux heureusement) se tueraient après lui. Mais pour la plupart d’entre eux, on peut invoquer la rupture mécanique, l’erreur de pilotage, voire la fatalité. Et donc les classer dans la catégorie des faits de courses, certes regrettables mais quasiment inévitables si on les rapporte aux conditions du moment (état de la technique, nature des règlements, critères de sécurité jugés acceptables pour les circuits), voire au simple constat « motor racing is dangerous ». Alors que la mort de Peterson paraissait, elle, parfaitement évitable. D’où ce goût amer, cette impression de gâchis.

Une impression de gâchis encore renforcée par le fait que cette tragédie de septembre 1978 fit une victime supplémentaire : incapable de surmonter la perte de Ronnie, sa femme, Barbrö, mit fin à ses jours neuf ans plus tard. En laissant orpheline leur fille Nina, née en 1975 et auprès de qui Barbrö était par exception restée dans leur appartement de Monaco pour ce GP d’Italie, alors qu’habituellement elle accompagnait toujours son mari sur les circuits.

Mario et Nina, qui ressemble beaucoup à son père

Mario et Nina

Notes :

  1. Neurochirurgien britannique, le Dr Sid Watkins avait été nommé « médecin de la F1 » quelques semaines plus tôt par Bernie Ecclestone. Il sera durant les deux décennies suivantes l’un des grands artisans de l’amélioration de la sécurité des pilotes de F1.
  2. Des fragments de moelle osseuse, très riche en graisse, passent dans la circulation sanguine et vont boucher les vaisseaux pulmonaires, très fins.

Photos : © DR

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