31 mai 2018

Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990

Le Grand Prix de France 1990 aurait dû être une grand fête : les 20 ans du circuit, des installations et des stands modernisés, une piste au revêtement tout neuf, un succès populaire, un vainqueur français enfin acclamé et une firme légendaire fêtant son 100e succès en F1,  tout aurait donc dû porter à la réjouissance massive. Sauf que pour beaucoup, ce Grand Prix sonnait vraisemblablement le glas de la Formule 1 en Provence.

Pierre Ménard

Classic Courses sur le Paul Ricard :

Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 1/2 
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 2/2
Circuit Paul Ricard – Trophée de France F2 1970
Circuit Paul Ricard – Sports Protos – Jarier en son jardin
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1978

Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1980
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990
Circuit Paul Ricard – Stéphane Clair

« Le circuit Paul Ricard a prouvé ses compétences et sera sans doute plus efficace cette année… […] nous ne mourrons pas aussi facilement… […] nous avons vécu avec la F1, nous saurons vivre sans elle… ». Ainsi s’épanche de façon légèrement désabusée le directeur du circuit François Chevalier dans les colonnes d’un hebdomadaire français une semaine avant le Grand Prix. Même si le conditionnel reste officiellement de mise, il paraît évident aux yeux des observateurs les plus affûtés que le Paul Ricard accueille en 1990 son dernier Grand Prix de France. Les enjeux sont trop importants, décidés à un échelon bien plus élevé que celui du sport automobile. La présence dans le paddock de l’ancien chef de cabinet de François Mitterrand (et alors conseiller du président pour les affaires sportives) fait d’ailleurs tordre le nez à tous les amoureux du Paul Ricard.

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Triste anniversaire

Jean Glavany est officiellement venu sur le plateau du Castellet pour rencontrer les responsables du circuit, Jean-Marie Laborde et François Chevalier, ainsi que Bernie Ecclestone et Jean-Marie Balestre. Il ne cache pas que le circuit de Magny-Cours, récemment rénové (avec de l’argent public) pour entrer en conformité avec les standards de la Formule 1, s’est bien porté candidat à l’organisation du Grand Prix 1991 (Chevalier a fait de même pour le Paul Ricard, avec clause de remboursement des frais en cas de refus de la part des autorités).

En bon politique, Glavany est là pour « apaiser les tensions », en proposant une alternance entre Magny-Cours et le Paul Ricard. La famille Ricard et François Chevalier ne se berçaient pour autant guère d’illusions : avec le président de la république et son premier ministre Pierre Bérégovoy – également maire de Nevers – poussant dans le sens d’un circuit ultramoderne qui redonnerait vie à une Nièvre perdue au milieu de nulle part, le ciel de Provence s’assombrissait grandement au-dessus du Castellet. Puis, lorsque Bernie Ecclestone eut fait savoir qu’il ne voulait plus entendre parler du Paul Ricard, on comprit bien vite dans les garrigues environnantes que la messe était dite. Les flonflons censés célébrer l’anniversaire des 20 ans du circuit allaient du coup sonner un peu creux.

C’est donc dans une atmosphère particulièrement morose que le F1 Circus débarque le contenu de ses semi-remorques aux abords de la piste luisante comme un miroir : elle a été entièrement resurfacée, avec arasement des principales bosses, ce qui jouera un rôle déterminant dans le déroulement du Grand Prix. Mais bien évidemment, personne ne se doute alors à qui cela va réellement profiter.

C’est du billard !

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Après son début de saison tonitruant, le régional de l’étape Jean Alesi était très attendu sur le Paul Ricard. Las ! les pneus Pirelli de sa Tyrrell ne s’accommodèrent que fort peu du billard provençal – © Chronosports

L’intérêt de la course se porte bien évidemment sur ses animateurs les plus prestigieux, les inévitables Ayrton Senna sur McLaren et Alain Prost sur Ferrari, assistés de Gerhard Berger et Nigel Mansell. Prost et Senna en sont au troisième acte de leur âpre bataille pour la suprématie mondiale et, si le Brésilien a largement dominé le début de saison en enlevant trois Grands Prix, le Français a sauvé les meubles avec un succès inespéré au Brésil, mais surtout est revenu dans le bon rythme grâce à sa formidable victoire au Mexique quinze jours plus tôt. Les prometteuses Benetton de Piquet et Nannini sont naturellement en embuscade, ainsi que les Williams-Renault de Patrese et Boutsen, dont le V10 Renault leur vaut les faveurs du public français. Public français attendant beaucoup de la nouvelle star Jean Alesi dont le tonitruant début de saison au volant de la surprenante Tyrrell lui a valu deux podiums acquis de haute lutte dans les rues de Phoenix et Monaco.

Vient ensuite la cohorte de celles qui participent en espérant toujours le coup de pouce du destin qui leur ouvrira enfin la voie vers des jours meilleurs : les toujours plus décevantes Lotus, les inconstantes Arrows, les Minardi, Dallara, Osella, Brabham et tous les autres, dont les Larrousse et les Leyton House (ex-March). Les premières surprirent avec de bonnes qualifications (la nouvelle usine située à deux minutes du circuit et financée par le groupe japonais Espo a-t-elle donné des ailes à toute l’équipe ?), mais surtout les secondes étonnèrent par leurs performances insoupçonnées : non qualifiées au Mexique et généralement « à la rue » depuis le début de l’année, les deux fines monoplaces de Capelli et Gugelmin filèrent comme le Mistral sur le billard du Castellet !

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Senna (au deuxième plan derrière Nakajima) ne sera pas en réussite au Castellet : le magicien de la pole position ne décrochera « que » la 4e place sur la grille et finira 3e après des problèmes de pneumatiques – © DR

Tout sourire, les pilotes expliquent qu’on a abaissé la garde-au-sol au maximum, raidi les suspensions à bloc, et que les dernières retouches faites par le nouveau directeur technique Gustav Brunner en matière de rendement aérodynamique portent leurs fruits. Mais ils tiennent à rendre également hommage au créateur de cette voiture, l’encore  peu connu Adrian Newey qui vient juste d’être débauché par Williams et qui deviendra bientôt le designer incontournable de la Formule 1.

Les qualifications confirment la prédominance des McLaren et des Ferrari sur le reste de la meute, mais pas forcément comme on aurait pu l’imaginer : le roi de la spécialité, Senna, n’est que 4e, et c’est Mansell qui s’octroie in-extremis la pole devant Berger et Prost. La grosse surprise vient donc de Capelli et Gugelmin qui décrochent respectivement la 7e et la 10e place, plus habitués qu’ils sont aux fonds de grille voire aux non-qualifications depuis le début de la saison. Un feu de paille, commentent les plus blasés. Et les moins avisés !

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Après des qualifications en demi-teinte, Piquet (ici devant Alboreto sur Arrows-Ford) amène sa Benetton-Ford au pied du podium – © DR

Côté français, on peut se réjouir de la bonne prestation de Philippe Alliot qui place sa Ligier sur la 6e ligne à côté de la Lola-Larrousse d’Éric Bernard. On garde un œil indulgent sur la courageuse petite équipe AGS venue du Luc voisin et qui, malgré une bonne volonté évidente, manque de peu de se faire éjecter lors des pré-qualifications : Yannick Dalmas réussit à qualifier sa très modeste JH25 en toute dernière place. Le 14e Grand Prix de France au Paul Ricard peut commencer.

Non-stop !

Le dimanche, le temps est au beau fixe et la température sur la piste mesurée à 40°. Avec ce bitume tout neuf, l’adhérence reste précaire et toutes les équipes équipées en Goodyear choisissent de partir en pneus tendres de type C, à l’exception de McLaren et Williams qui ont opté pour des types B plus durs, sachant qu’il y aura un arrêt à observer obligatoirement. Obligatoirement ?…

La course est d’emblée dominée par les deux McLaren de Berger et Senna, suivies par Mansell, Nannini et Patrese. Prost observe, comme à son habitude, tout ce petit monde depuis la 6e position pour décider du meilleur moment pour attaquer. Au 28e tour, il est le premier du groupe à changer de pneus, imité par les deux McLaren boys. Mais là où les mécaniciens Ferrari ont mis 7’’64 pour équiper la 641 de nouvelles gommes, ceux de McLaren s’emmêlent les pistolets et infligent 12’’73 à Berger et 16’’62 à Senna ! Autant dire que, malgré toute la hargne et la combativité qu’on peut imaginer chez les deux hommes, la victoire vient à coup sûr de leur échapper. Et Prost se retrouve 3e, derrière les incroyables Leyton House. Qui n’ont pas changé de pneus. Et qui vont le faire. Enfin, qui devraient le faire ! Mais au fil des tours, les observateurs, et Alain en premier, doivent se résoudre à l’inéluctable : Capelli et Gugelmin sont partis pour une course non-stop, et ça ne paraît pas les gêner le moins du monde !

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Intense bagarre à l’issue incertaine en tête entre Ivan Capelli sur Leyton House-Judd et Alain Prost sur Ferrari – © Steve Domenjoz

Alléchés par la bagarre qui s’annonce, les spectateurs s’attendent à ce que la Ferrari fonce sur les voitures bleu et vert et les dévore toutes crues, comme la logique le dicterait. Mais de logique, il n’y aura pas ce jour-là sur la piste ultra plate du Paul Ricard : avec leurs suspensions raides et leur aileron avant un peu plus braqué que d’habitude pour combattre le sous-virage, les Leyton House semblent hors d’atteinte. D’autant que pour Prost, la tâche n’est pas facile, passant le plus clair de son temps dans la traînée de ses deux adversaires avec tous les problèmes inhérents à ce type de position inconfortable : la mécanique chauffe, l’équilibre aéro est perturbé, et il faut périodiquement lâcher du lest pour remettre tous les voyants au vert.

Le secret du Beausset

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Soulagé, Prost reçoit son quatrième drapeau de vainqueur sur le Paul Ricard – © Chronosports

Le premier coup de théâtre a lieu au 53e tour lorsque le moteur de la Leyton House de Gugelmin rend l’âme, ce qui permet à Prost de se rapprocher de Capelli. Mais le petit Italien est au volant d’une voiture extrêmement bien réglée et confortable, et le Français sur sa Ferrari a beau essayer l’intimidation dont il connaît par cœur tous les ressorts, rien ne perturbe la marche en avant de cette monoplace incroyable qui est en passe de gagner un Grand Prix alors qu’elle peinait à se qualifier lors des précédents ! D’autant que le V12 de la Ferrari commence à donner des signes de faiblesse en accélération, l’alternateur ne fournissant plus assez d’énergie à la boîte de vitesses électromagnétique très vorace en électricité. A quelques tours de l’arrivée, Prost se dit que casser maintenant serait stupide et que, finalement, une deuxième place est ce qu’il peut attendre de mieux. Au moment même où le V8 Judd de la Leyton House commence à hoqueter.

Capelli a été informé que son copain Gugelmin a abandonné sur rupture de moteur, et il craint à tout instant que le sien ne coupe définitivement : son témoin de pression d’huile s’allume maintenant de plus en plus souvent. Alain sent évidemment qu’il se passe quelque chose dans la Leyton House et se reprend à espérer. Prost est certainement le pilote qui connaît le mieux le Paul Ricard et ses subtilités : il sait par exemple que dans la longue ligne droite du Mistral, il faut imperceptiblement changer de ligne pour aller chercher un petit dévers invisible à un œil non averti et qui fait gagner quelques fractions de seconde précieuses. Il connaît aussi la trajectoire idéale dans le double droit du Beausset pour surprendre un adversaire, comme il l’avait fait avec succès sur Senna en 1988. A trois tours de la fin, il passe Signes à fond intégral, se blottit dans l’aileron arrière de la Leyton House et fait l’intérieur à l’Italien. Le sort du Grand Prix est désormais scellé : Alain Prost gagne ainsi son 5e Grand Prix de France, son 4e au Paul Ricard, et le 100e pour Ferrari, que des records !

GP France 19903Le podium est gai : Prost savoure ouvertement les ovations du public qui ne l’a guère ménagé par le passé, et apprécie cette victoire qui le ramène à trois points de Senna. Senna qui a réussi à grimper sur la troisième marche du podium et fait bonne figure, mais peste intérieurement sur ses mauvais choix de pneus, et surtout sur leurs changements calamiteux. Mais le plus rayonnant est évidemment Ivan Capelli qui, s’il regrette d’avoir vu une victoire méritée lui passer sous le nez pour trois malheureux petits tours, reconnaît qu’avant le week-end il aurait signé des quatre mains pour un tel résultat ! La fête aurait dû être belle, mais beaucoup des habitués des circuits se demandent si le tourniquet qu’on leur propose dans la Nièvre leur fera oublier ce beau circuit inondé du soleil de Provence. En tout cas, François Chevalier ne l’a pas éludé dans son interview la semaine précédente : « Cela ne nous empêchera pas de poursuivre notre important travail de modernisation… […]. Faute de Grand Prix, nous resterons le circuit d’essais le plus efficace ».

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Malgré sa deuxième place, Capelli est fêté comme un vainqueur par toute son équipe – © DR Chronosports

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