10 mars 2018

27- Patrick Tambay, The Ferrari Years

C’est de notre faute, nous le reconnaissons bien volontiers: nous avions eu le livre de Patrick Tambay dès sa sortie, nous l’avions aimé, et nous nous sommes rendus compte à l’occasion de ce Rétromobile 2018 que nous ne l’avions pas chroniqué ! Cette période de la Formule 1 est pourtant une des plus passionnantes de l’Histoire de ce sport et, au travers de ces superbes pages, on la vit pleinement de l’intérieur. En rouge, aux côtés d’un pilote sensible et à fleur de peau. Alors, mieux vaut tard que jamais : Andiamo !

Pierre Ménard

 

CC n°27 1Seize mois. Patrick Tambay n’a passé en tout et pour tour « que » seize mois fièrement habillé d’une combinaison rouge frappée du Cavallino Rampante. De fin juin 1982 à la mi-octobre 1983 exactement. Ça peut paraître court, vu de l’extérieur, mais vécu de l’intérieur, ce fut une période extrêmement faste et exaltante pour ce pilote qui s’est investi corps et âme dans un rôle que beaucoup ne voyaient pas taillé pour lui. Lui à qui certains avaient par le passé reproché une trop grande perméabilité aux événements extérieurs allait-il pouvoir relever l’intimidant défi qui lui était confié en ce mois de juin 1982 ? Un défi autant technique qu’affectif. Un petit retour en arrière s’impose.

Reprendre le flambeau

Le 8 mai 1982, Gilles Villeneuve vient de devenir le passager impuissant de son effroyable cabriole à Zolder au-dessus de la March de Jochen Mass. Le sport automobile perd là son pilote le plus charismatique. Chez Ferrari, la peine et la douleur sont incommensurables tant le Québécois était aimé de tous. Il faut évidemment continuer. Lors des trois Grands Prix suivants, une seule 126 C2 est alignée sur la grille, la n°28 de Didier Pironi qui est en train de se battre en tête du championnat du monde. Mais il faut d’urgence trouver un remplaçant au volant de la n°27. Didier pense alors à Patrick, qui était un ami intime de Gilles depuis qu’il l’avait découvert en Formule Atlantic au Canada en 1977. Le Cannois avait conseillé à son nouveau « chum » d’aller voir le « vieil homme » à Maranello, car lui venait de refuser le poste pour cause de signature chez McLaren.

Leurs trajectoires respectives vont vite s’éloigner puisque Gilles deviendra en quelques mois la coqueluche de toute la Formule 1 alors que Patrick va s’exténuer au volant de voitures non-compétitives à grappiller quelques points par-ci, par-là. Au tout début de 1982, lors du fameux premier Grand Prix à Kyalami et sa drôle de grève des pilotes, Patrick jette l’éponge, écœuré par l’ambiance que font régner les instances dirigeantes sur cette discipline. Il balance aux journalistes interloqués qu’il part courir aux États Unis et qu’il ne daignera revenir que si « Ferrari ou Renault le lui demandent ». Fanfaronnade ? Galéjade ? Les rieurs ont le bec cloués quand ils apprennent en juin l’incroyable nouvelle dans un communiqué émanant de Maranello : Patrick Tambay a signé avec Ferrari pour disputer les huit derniers Grands Prix de la saison 1982. Dans la n°27, celle de son ami Gilles !

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1982, Tambay entouré par les dirigeants de sa nouvelle équipe : (de G à D) Franco Gozzi, Piero Ferrari, Marco Piccinini (son « Iscariote », selon lui) et Dario Calzavara – Archives Patrick Tambay.

Du sport, mais pas que…

C’est dans cette aventure a priori inconsidérée que Patrick nous emmène, via le jeune journaliste italien Massimo Burbi. Patrick raconte, et Massimo écrit. Il écrit bien, son style est vivant et maintient le lecteur en haleine dans l’attente de la prochaine révélation. Le lecteur sachant lire l’anglais car, autant le préciser tout de suite aux allergiques à la langue de Shakespeare et Hunt réunis, le livre n’est pour l’instant disponible qu’en cette version. Cela dit, c’est un anglais assez simple à comprendre pour qui possède une maîtrise correcte de la langue. Mais la belle profusion de photos venant des archives Cahier père & fils offre également une superbe vision de cette période apte à réjouir les amateurs de beaux livres. On regrettera simplement une focalisation excessive sur la Ferrari 27 : même si elle est la vedette incontestée du livre, quelques clichés de plus sur ses concurrentes auraient enluminé une iconographie parfois plombée par une certaine monotonie. Puisqu’on en est au chapitre des réserves, parlons de celle concernant les interventions des protagonistes, comme ça ça sera fait.

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Hockenheim 1982. Une seule Ferrari présente sur la grille de départ : la n°27 ! – The Cahier Archives.

Il est clair que ce livre est la vision que Patrick eut de son passage à la Scuderia. C’est « sa » vérité, en quelque sorte. Tout au long du récit, les témoignages des gens de son « clan » viennent étayer ses propos. Les Mauro Forghieri, Tommaso Carletti, Paolo Scaramelli ou Brenda Vernor (1) ne tarissent pas d’éloges sur le « gentleman français » qui savait si bien se faire apprécier de tous. Mais pas, ou trop peu, d’espace accordé aux gens de « l’autre camp », celui qui était, disons, moins enclin à considérer Tambay comme un élément moteur de l’équipe. Nous pensons bien évidemment à son coéquipier René Arnoux en 1983, mais surtout au directeur sportif de la Scuderia d’alors, le politique Marco Piccinini, avec qui les relations se compliquèrent au fil de leur cohabitation. Il aurait été intéressant pour le lecteur d’avoir les deux points de vue pour ainsi se faire sa propre idée sur la question – si tant est qu’on le peut dans un tel cas (2).

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Imola 1983. Patrick dut être ramené vers le podium sous la protection de la police locale tant la ferveur incontrôlée des fans pouvait être effrayante – Archives Patrick Tambay.

Mission sacrée

Ceci dit, ces 300 pages sont un régal pour l’amateur de Formule 1 désirant connaître les dessous des carrosseries et les arrière-cours des stands ou de l’usine dans ces années-là. Grand Prix par Grand Prix, on est guidé par Patrick à travers ce maelstrom en rouge, depuis la première course en 1982 à Zandvoort jusqu’à l’adieu à Kyalami en 1983 en passant par l’épreuve terrible d’Hockenheim en 1982 et la superbe réaction de l’humble second soudainement promu incontournable leader, par sa dure épreuve physique après Zeltweg qui aurait pu lui coûter son baquet pour 1983, par les diverses pérégrinations qui vont amener ce pilote fin et méthodique à passer la ligne jaune en quelques occasions et perdre ainsi des atouts essentiels dans son jeu final, sans oublier cette émouvante et incroyable victoire d’Imola en 1983 qui attribua pour toujours le n°27 à son aventure en rouge. (3) Et on réalise pleinement à quel point ce pilote qui avait été donné quasiment mort, sportivement parlant bien entendu, en début de saison 1982 avait accédé à l’Olympe en quelques semaines par la grâce d’un volant dans la plus prestigieuse des écuries.

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L’adieu au Cheval Cabré lors de la dernière course à Kyalami en 1983. Patrick y décrocha la pole – pour la plus grande joie de ses mécaniciens à qui il distribua la prime en dollars – et partit la tête haute vers d’autres cieux – The Cahier Archives.

The Ferrari Years

Car Patrick Tambay n’a de cesse de le rappeler tout au long de ce récit : piloter pour la Scuderia Ferrari, surtout du temps de monsieur Ferrari, était un honneur insigne que tout compétiteur digne de ce nom prenait comme une mission sacrée. S’assoir dans son baquet avec le volant noir au moyeu frappé du Cavallino en face de soi à Monza ou à Imola en entendant la furie de la foule extatique et en voyant les centaines de drapeaux s’agiter dans le vent chaud de l’Italie, ne pouvait que vous faire tomber dans un état second, voire provoquer un torrent de larmes incontrôlables, surtout quand le visage de l’ami disparu revenait hanter les lieux. Et puis il y a cette partie de tennis en trop qui joua beaucoup, selon Patrick, dans le déroulement de l’épilogue de cette aventure. Pour toutes ces raisons, ce n°27 doit être rangé dans la bibliothèque de tout amateur de sport automobile, au milieu des dos de couverture en rouge.

Notes

(1) Respectivement directeur technique, ingénieur de piste, chef-mécanicien et assistante personnelle de Enzo Ferrari.

(2) Contactés, les protagonistes peuvent parfaitement se défausser et passer leur tour. Auquel cas, il est d’usage de la préciser dans les remerciements.

(3) Voir interview de Patrick Tambay à ce sujet : « Vince per Gilles« 

Genève 2018 - Patrick Tambay - Jackie Stewart @DR

Genève 2018 – Patrick Tambay – Jackie Stewart @DR

27- Patrick Tambay, The Ferrari Years, with Massimo Burbi

300 pages couleurs, préface d’Alain Prost, 75,00 euros – Evro Publishing

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