29 mars 2017

Michel Mallier : La force du destin 1/2

Michel Mallier est ce qu’on appelle un personnage dans le sport automobile hexagonal. Mécanicien, pilote, restaurateur, cet homme au caractère affirmé s’est forgé tout seul et a du faire face à tous les coups de boutoirs du destin, pour finalement tracer sa route contre vents et marées. Comme il aime à le proclamer, « parti de rien, il a (presque) tout connu ». Il a côtoyé les plus grands et en a gardé de solides amitiés… pour certains. Ce qu’il y a de fantastique chez Michel, comme chez beaucoup de passionnés, c’est que vous n’avez qu’à appuyer sur le bouton « ON » de votre enregistreur et poser une seule question. Le reste suit.

Propos recueillis par Pierre Ménard

CC1 Michel Mallier 1ère partie

Classic Courses : Comment en es-tu arrivé à devenir mécanicien de course ?

Michel Mallier : En fait, c’est lié à la mécanique tout court. Toute ma famille venait de l’aviation. Mon père était basé à l’arsenal Nord Aviation de Châtillon et travaillait sur le Griffon, premier avion à statoréacteur et dont le pilote d’essai était André Turcat, qui deviendra pilote d’essai du Concorde. Il est ensuite parti au CEP (Centre d’essais et propulseurs) de Saclay et il m’y emmenait tous les jeudis. Pour la petite histoire, c’est là où il y a eu par la suite les bancs d’essai pour le V12 Matra. J’y passais toute la journée, j’avais 12 ans. Après, il me mettait au parc à ferraille où je démontais des vieux tableaux de bord : quand un avion tombait sur le territoire français, militaire ou civil, les restes allaient dans ce parc à ferraille.

Mon frère et moi, on venait de perdre notre mère. Mon frère était plus âgé, mais moi j’avais 10 ans et donc, j’étais très perturbé. Je ne foutais rien à l’école, ça ne m’intéressait pas. Je m’intéressais aux avions et je faisais du modèle réduit, étant assez manuel. A 14 ans, c’était le dilemme pour mon père : « Qu’est-ce qu’on fait de toi » ? Il avait encore quelques bons copains à Nord-Aviation, dont Gérard Ducarouge, qui est devenu un bon pote par la suite. A Saclay, j’avais connu des moniteurs de colos de vacances du ministère de l’air où j’allais, qui sont partis chez Jean-Pierre Richard, l’importateur de tout ce qui était BMC. Il faisait toutes les marques du groupe, Princess, Riley, etc. On m’a pris en apprentissage, dans l’atelier de réfection moteurs. Tous les moteurs des Mini-Cooper qui cassaient – et Dieu sait si ça cassait ! – arrivaient chez Richard, on les refaisait et ça repartait ensuite en concession. On n’était que six, alors que chez Richard au Petit Clamart ils étaient soixante ! J’ai eu la chance d’être intégré à cet atelier monté par ces anciens mécanos de Saclay où il y avait un petit banc de rodage. C’est là qu’ils m’ont appris toute la méthodologie de l’aviation. C’est pour ça que, même sur un moteur que je ne connais pas, je démonte tout, je nettoie tout, j’ai la mémoire visuelle et après je range tout bien comme il faut sur une table. Beaucoup de gens me disent : «  Ah oui, vous rangez ça comme ça pour savoir dans quel sens remonter ». Pas du tout ! Quand tu remontes le moteur et qu’il te reste un petit truc sur la table à la fin, tu remontes pas dans la voiture pour rien ! Ça m’est arrivé une fois sur un moteur boxer d’oublier un clips à 20 centimes parce que le téléphone avait sonné : je me suis recogné 300 heures de boulot derrière, tu vois ?

J’ai eu la chance de faire mon apprentissage très tôt à cette époque où Patrick Vanson, le directeur de Klippan France, roulait avec une MGB préparée pour le Tour Auto, des CC2 Michel Mallier 1ère partieCooper avec Marnat, Le Guellec, etc. Tous ces mecs-là venaient chez nous chercher des pièces. J’avais bien des photos de course sur mon banc, mais je n’y connaissais rien, à la course. Plus tard, et parallèlement à mon job de mécanicien, j’ai commencé le karting sur les pistes de Villacoublay, j’avais 16 ans. Il y avait une piste de loc’, avec des trucs à la con genre moteurs de Vespa, et une piste de compétition. Et là, je suis tombé sur des mecs sympas, et c’est parti comme ça. Chez Richard, mon maître d’apprentissage s’appelait Jean-Claude Guénard. Il courait encore en moto, il avait un break 403 bleu avec marqué dessus Bultaco. Le lundi matin, il arrivait vers 10/11H00, arraché de partout ! Quand moi j’arrivais le lundi, on me disait : « Allez ! Va bosser » ! Je disais : « ben non, Jean-Claude n’est pas là ». C’est lui qui m’a fait connaître la moto, qui m’a parlé de compétition de bagnoles. En avril 1965, on m’a emmené aux essais du Mans où j’ai découvert les 24 Heures. Et là, j’ai eu le flash : « C’est ça que je veux faire » !

Un jour, Potocki [Adam, NDLA] est venu acheter une Mini-Cooper. Il a vu les photos au-dessus de mon atelier, on a discuté, et il m’a débauché de chez Richard pour la maintenance de sa Mini. On a fait sept/ huit courses en Groupe 5, et ensuite il a acheté une Brabham neuve pour courir en F3 en 1967. Il a embauché Tony Kilburn, l’ex-mécanicien de Jack Brabham sur les Brabham-Honda F2 en 66, qui était un peu rayé des cadres en Angleterre et qui était venu se planquer en France –  j’ai jamais vraimentCC3 Michel Mallier 1ère partie su trop pourquoi. C’est comme ça que j’ai appris la mécanique de course avec Kilburn : un mec « difficile » qui m’en a vraiment fait voir, mais qui m’a appris un tas de trucs, notamment dans l’art de la démerde ! Là-dessus, est venu se greffer Alain Franceschi, qui avait acheté l’ancienne Brabham de Tony Lanfranchi, qui a été moniteur à Brands Hatch et ensuite couru en F5000. Franceschi habitait Nice où il était fleuriste. Il a fait un deal avec Potocki : les voitures étaient entretenues chez Potocki, et moi, on m’a affecté à la voiture de Franceschi. Très vite, je me suis rendu compte que les meilleures pièces que Franceschi avait achetées se retrouvaient en fait sur la voiture de Potocki, et je trouvais ça injuste. J’en ai parlé à Alain, qui se doutait un peu du truc. Je n’ai pas fait toute la saison 1968, je me suis barré parce que je me suis engueulé avec Potocki.

Entretemps, Franceschi avait repris son matos mais il n’avait pas de mécano. Pour la saison 1969 de F3, il s’associe avec Lionel Noghès, avec deux Tecno. Il me propose de descendre à Nice pour que je m’occupe des deux voitures. C’était du boulot ! J’ai quitté mon travail, mon père, j’ai donné mon kart à un copain, je suis parti en 48 heures ! Ils m’ont trouvé une piaule à Monaco, et moi qui sortait de rien, j’ai découvert Monaco : j’avais un break DS aux couleurs de Radio Monte Carlo, c’était la belle vie ! J’étais payé une misère, 1000 balles alors que je touchais 2500 balles à Paris. J’ai encore les lettres où il me dit : « Michel, nous t’attendons. Tu seras payé 1000 francs par mois, mais bien évidemment tu ne seras pas déclaré à la Sécurité Sociale ». ‘Faut être gonflé de l’écrire, hein ? Je gagnais pas un rond, j’avais une chambre de bonne pourrie, mais j’ai fait toute la saison 69 avec eux.

Fin 69, Franceschi n’avait plus trop de sous, Noghès passait en F2 ; je me suis donc retrouvé sans boulot et suis remonté sur Paris. J’ai refait de la Mini dans un garage pendant six mois, et là, je vois une petite annonce dans un journal : « Roger Loyer recherche mécanicien passionné ». J’y vais à tout hasard, et je vois des Ferrari, des Porsche, des Lamborghini ! J’en n’avais jamais vu. Je lui ai raconté ce que j’avais fait, il m’a fait confiance et je suis resté deux ans, jusqu’à ce qu’on ferme. Parce qu’on a été expropriés par la Semarelp de Balkany (déjà !) pour que soit bouclée la dernière partie du périf’. J’ai beaucoup appris là-bas, et puis je rentrais chez moi, dans la cité où j’habitais à Viroflay, en Daytona, en Miura, en 330 GT ou en Cobra ! Tu imagines ? A 22 ans ! A l’époque, personne n’en voulait de ces bagnoles. J’allais les chercher chez le client, je les ramenais chez Loyer, je passais deux ou trois nuits à les refaire nickel, et en échange il me les prêtait.

Donc, plus de boulot à nouveau. J’avais un petit box où je faisais des trucs au black, c’est là que j’ai refait la Type E de José Rosinski, puis celle de Claude Furiet. Je faisais tout, sauf la carrosserie, train avant, boîte, suspensions, moteur, etc. Comme n’importe quel vrai mécanicien qui se doit d’être. Puis en 1973, je suis entré au garage Volkswagen Michel Ange, porte de Saint-Cloud, car ils voulaient créer un service Porsche. Le fils du patron, qui s’appelait William Thorpe, m’a envoyé faire un stage à Nantes sur les K-Jectronic qui venaient de sortir, et le challenge était de créer ce service Porsche. Sauf que chez Michel Ange, il y avait des vieux mécanos qui ne faisaient que des Volkswagen et qui ont vu un jeune de 23 ans débarquer. Ils m’ont un peu pris pour un con, ils ne savaient pas ce que j’avais fait avant. Manque de pot, je connaissais déjà pas mal de monde. Chez Loyer, j’avais fait la connaissance de gens du showbiz, Fugain, Hugues Aufray, Christophe, etc. Donc, je mets en place le magasin de pièces détachées où je forme un mec, puis j’ouvre l’atelier. Je me cognais les pièces, le boulot et la réception des clients, et tout de suite j’ai fait venir un tas de gens connus. Et ça les a gonflés, les autres ! Ils me mettaient tout le temps des bâtons dans les roues, heureusement j’avais William de mon côté. Manque de pot, six mois après que je sois arrivé, il s’est tué sur les quais de la Maison de la Radio en essayant une Porsche. Le père était catastrophé et du coup, il a fermé le service Porsche ! Il m’a bien proposé de me garder sur des Volkswagen, mais j’allais pas m’emmerder sur des Coccinelles. Et du coup, je suis parti !

CC4 Michel Mallier 1ère partie

De nouveau en recherche de boulot, mais il faut rappeler que c’était une époque où t’allais chez un patron à dix heures, t’avais du boulot à quatorze. Là, je retourne sur les circuits et je tombe sur Cudini qui cherchait un mécano pour son Alpine F3 qu’il avait gagnée. On a fait deux courses ensemble, mais il m’a tellement gonflé que je lui ai jeté ma caisse à outils sur les jambes à Magny-Cours ! C’était un excellent pilote, mais un caractère spécial ! Comme j’étais bien pote avec les mécanos d’Alpine, je suis descendu avec eux à Pau pour leur filer un coup de main sur les deux Alpine d’usine. Le lundi, ils m’ont remonté chez moi à Viroflay avant de repartir sur Dieppe. Je suis retourné dans mon box pour bidouiller à droite à gauche. Et là, j’ai un coup de fil de Serpaggi qui me dit que l’an prochain en 74, il monte en F2 avec Leclère chez De Chaunac et me propose d’être avec eux. C’était les Elf 2. Hugues est intéressé, il va être dans un petit atelier au milieu de la zone industrielle de Gennevilliers et le challenge est de monter les deux voitures de Leclère et Serpaggi. En face, il y aura Daniel Champion chez Colin Montrouge qui montera la Jabouille et la Tambay. Je signe donc.

CC5 Michel Mallier 1ère partie

On avait les BMW Schnitzer qui cassaient comme du verre, face aux March qui avaient les vrais moteurs M12/7 de Paul Rosche qui marchaient fort. Et ça nous a poursuivi toute la saison – on n’a d’ailleurs pas fait toutes les courses. On cassait souvent, on n’avait pas d’argent pour le développement, on était assez largué pour tout dire. L’ambiance était sympa entre les pilotes, mais au niveau des résultats, ça ne reste pas une saison fabuleuse.

Fin 74, Hugues me dit : « J’ai pas de budget pour 75, je ne sais pas ce que je vais faire ». Rebelote, pas de boulot, je retourne dans mon box pour du black, mais je commençais à en avoir plein le cul, tu vois ? Pas de stabilité et en plus payé avec un lance-pierre. Or à Viroflay, je connaissais de longue date un petit garage qui avait fait faillite sur faillite. Il y avait eu notamment eu un mec qui s’appelait Jean-Pierre Blais et qui préparait des BMW dans les années soixante, ça s’appelait TSC. Le garage était donc à vendre et ça m’interpelle. Or un jour du début 75, dans un cinéma des Champs Elysées, je tombe sur Jean-Pierre et Jacqueline [Beltoise, NDLA] ! C’était au moment où il était en train de tester la Ligier-Matra, et de se faire virer comme un malpropre, soit-dit en passant. Comme je lui dis que j’ai pas de boulot, il me dit : « Téléphone à Jarier, il y a de grandes chances qu’il fasse débuter la Shadow-Matra en F1 ». J’ai toujours aimé les Matra, parce que c’était juste à côté de chez moi et que j’étais tout le temps fourré là-haut. A ce propos, il faut que je précise un truc : beaucoup de gens pensent que j’ai été mécano chez Matra, surtout quand j’ai roulé plus tard avec les Matra d’Humbert. C’est faux ! J’ai été mécano chez Alpine, pas chez Matra.

Je téléphone donc à Jarier qui me confirme qu’ils cherchent des mécanos. Il me file les coordonnées de Don Nichols, qui me propose de monter en Angleterre discuter avec eux. Je me suis posé la question : Qu’est-ce que je fais, je tente à nouveau le coup ? J’avais tout fait, de la R8 Gordini à la F2 en passant par les protos et la F3, et je rêvais d’aller en F1. Surtout que Champion m’avait dit que Renault s’apprêtait en venir en F1. Et puis un matin, j’ai décidé que non, j’irai pas. Je ne sentais pas les Anglais, Jarier je l’avais côtoyé en Coupe R8 et je pensais que ça ne collerait pas entre nous. Et du coup, je suis allé voir le garage à Viroflay.

 

(Suite : De l’autre côté du volant)

 

MRM (Michel Racing Mallier)

84 Avenue Jean Jaurès, 78390 Bois-d’Arcy Tel : 01 30 58 44 45

garage-mrm@aliceadsl.fr

 

Illustrations :

Carrousel- Michel Mallier MRM Bois d’Arcy © Pierre Ménard
1- Michel Mallier MRM Bois d’Arcy © Pierre Ménard
2- Tout bien ranger pour ne rien oublier © Pierre Ménard
3- 1968 Kart à Thiverval © Archives M.Mallier
4- 1972 chez Roger Loyer © Archives M.Mallier
5- 1974 Hockenheim, Leclère sur Elf 2 © Rainer Schlegelmilch

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