5 mars 2016

Trophées de France 1967, Formule 2, Albi

C’est une bien agréable surprise que vient de nous faire l’INA en nous permettant de visionner et télécharger la retransmission télévisée des Trophées de France 1967,  Formule 2, Albi. Je suis sûr que cela va remplir de nostalgie un bon nombre d’entre vous qui ont adoré le sport automobile de cette époque. C’est la raison pour laquelle je me fais un plaisir de partager avec vous quelques morceaux de cette retransmission en les accompagnant de quelques commentaires personnels, comme je l’avais fait il y a quelque temps avec le Grand Prix de Monaco 1963.

René Fiévet

 

Au bon vieux temps des Trophées de France de Formule 2
Grand Prix d’Albi, 24 septembre 1967

Je signale au passage qu’il n’y a rien de plus facile que d’acquérir ce film : vous ouvrez un compte à l’INA, vous passez commande en réglant une somme modique, et ensuite vous téléchargez. Dites-vous bien que si j’arrive à le faire, cela veut dire que tout le monde est capable de le faire. C’est ainsi que je me suis constitué la série complète des films ACO sur les 24 Heures du Mans de 1953 à 1973.
La retransmission a duré au total 1h15, divisée en trois périodes: le départ, la mi-course, et l’arrivée, comme il était d’usage à cette époque. On ne sait pas qui est le commentateur, qui ne se présente pas, mais c’est probablement François Janin qui était alors le spécialiste du sport automobile à l’ORTF. Il est assisté par un nouveau venu, Stéphane Collaro, qui se trouve au niveau des stands.

1 – Présentation

Le premier extrait que je vous propose est « la grille », c’est-à-dire la présentation des pilotes et des voitures. A titre personnel, c’est ce que je préfère dans les retransmissions télévisées : la tension monte, on sait qu’il va se passer quelques choses, on s’intéresse aux protagonistes et on évalue les forces en présence. C’était aussi une époque où on était moins informé. Même si on avait acheté l’Equipe du samedi, on ne savait pas quel avait été le résultat final des essais. Donc le commentateur jouait un vrai rôle d’informateur, alors que de nos jours, on sait tout en temps réel avec l’internet. On notera la grande richesse du commentaire de François Janin, qui était un vrai spécialiste du sport automobile.
En regardant ce reportage, notamment au début, on comprend tout de suite pourquoi on a aimé le sport automobile de ce temps. Ces hommes, qui étaient de véritables stars, des célébrités mondiales, nous apparaissent tellement proches et abordables. En outre, l’ambiance est chaleureuse et décontractée. On reste émerveillé par la richesse du « plateau » pour une course de Formule 2 : Clark, Stewart, Rindt, Brabham, Hill, Beltoise, Ickx, Oliver, Courage, Siffert, Redman, Gardner, De Adamich, Servoz gavin, Schlesser. Même si je ne sais rien de précis à ce sujet, j’ai l’impression que les Trophées de France de Formule 2 étaient richement dotés en primes de départ et de résultat.
Ce reportage est aussi l’occasion de nous intéresser à quelques pilotes moins connus, pour la plupart britanniques, qui étaient des participants réguliers à ces courses.
Alan Rees (29 ans), britannique, reconnaissable entre tous par sa petite taille, connut son heure de gloire en 1964 quand il remporta la course de Formule 2 de Reims devant tout le gotha des pilotes de l’époque. Mais la suite de sa carrière fut plus pâle, et il l’interrompit définitivement en 1969 pour créer l’écurie March avec Robin Herd et Max Mosley, et devenir par la suite directeur d’écurie de course (Shadow, Arrows). Sa cinquième positon sur la grille de départ montre toutefois que l’homme n’était pas maladroit au volant d’une monoplace.
Chris Irwin (25 ans), britannique, fut un très grand espoir du sport automobile et, durant cette année 1967, avait déjà sa place au volant d’une Formule 1 (dans l’écurie BRM). Mais un terrible accident lors des essais des 1000 km du Nurburgring de 1968, sur la Ford P168 3 litres de l’écurie Alan Mann, lui causa de graves commotions cérébrales. Il se remit de ses blessures, mais pas suffisamment pour reprendre le sport automobile.
Robin Widdows (25 ans), britannique, était un champion de bobsleigh, une discipline dans laquelle il représenta son pays aux Jeux Olympiques de 1964 et 1968. Venant de la Formule 3, il fit la saison de formule 2 en 1967 sur une Brabham et remporta une course (Coupe du Rhin à Hockenheim). L’année suivante, il participa au GP de Grande Bretagne sur une Cooper, mais sa carrière ne décolla pas. Il quitta le sport automobile en 1971 pour devenir, plus tard, représentant du groupe Moët et Chandon.
Chris Lambert (23 ans), autre jeune espoir britannique, faisait un peu figure d’intellectuel avec ses lunettes et son diplôme d’ingénieur chimiste. Après un parcours impressionnant en Formule 3, il devint un habitué des plateaux de Formule 2. Mais il trouva la mort quelques mois plus tard à Zandvoort en 1968 lors d’un accrochage avec la Tecno de Clay Regazzoni. Il y eut une suite judiciaire, puisque la famille de Lambert porta plainte devant les tribunaux contre le pilote suisse pour conduite dangereuse. L’affaire dura plusieurs années, jusqu’à ce que les poursuites fussent abandonnées.
Alan Rollisson (24 ans), également britannique, est le moins connu de tous (je pense que c’est le pilote que l’on voit seul au garde à vous pendant l’hymne national). Sans doute trop jeune, il rata son entrée en Formule 1 en 1965, en ne réussissant pas à qualifier sa Cooper pour le Grand Prix de Grande Bretagne. Par la suite, il n’eut plus jamais sa chance en Formule 1, mais s’illustra dans différentes catégories (Formule 3, Formule 2, formules sport et finalement Formule 5000). Il courut jusqu’en 1973.
L’Allemand Hubert Hahne (32 ans) était surtout connu comme un pilote de catégorie Grand Tourisme, dans laquelle il remporta un certain nombre de succès au volant d’une BMW, jusqu’à un titre de champion d’Europe dans sa catégorie. En 1966, il passa à la Formula 2 et obtint des résultats encourageants au volant d’une Lola à moteur BMW. Sa carrière prit fin de façon un peu abrupte : ayant décidé de s’attaquer à la Formule 1, il fit l’acquisition d’une March en 1970 pour participer au GP d’Allemagne. Malheureusement, il ne put se qualifier. Fort mécontent, il porta plainte contre l’écurie March pour défaut de préparation de la voiture. La justice ne lui donna pas raison et, probablement dégouté, il abandonna sur le champ le sport automobile.

2 – Départ

C’est maintenant le départ, et la grande vedette est Raymond Roche, un spectacle à lui tout seul, et pas seulement en raison son apparence physique. Le « briefing » d’avant course s’effectue dans la plus grande bonne humeur, et les pilotes écoutent distraitement les recommandations du directeur de course traduites par Gérard crombac. Il est vrai que ce sont tous des coureurs confirmés, qui courent pratiquement tous les week-ends.
On remarque l’autorité de Raymond Roche lors de la mise en place de la grille. Mais cela prend beaucoup de temps, trop sans doute pour les moteurs qui chauffent. Servoz Gavin adresse des signes d’énervement à Raymond Roche qui n’en a cure. Ce dernier repousse sans ménagement un agent de sécurité incendie qui a dépassé la ligne de démarcation entre les stands et la piste. Il a bien raison car, lors du départ, on voit une voiture déboiter brutalement sur la gauche et frôler les personnes au bord de la piste. Tout ceci semble bien dangereux.
A propos de sécurité, on remarque que Jacky Stewart est sanglé, contrairement aux autres pilotes. C’était un précurseur, et il sera bientôt imité partout le monde. Comme on le sait, il avait été traumatisé par son accident de Spa Francorchamps l’année précédente.

3 – Mi-course

Jacky Stewart est confortablement installé à la première place, contrôlant la situation devant Rindt à quelques secondes, et Clark et Beltoise au coude à coude à une trentaine de secondes. Comme on le voit, il ne se passe pas grand-chose et la retransmission est assez ennuyeuse. Tout l’intérêt du reportage repose sur le commentateur, qui nous narre les péripéties passées et présentes de la course.
Ceci est l’occasion d’évoquer un sujet grave : la pauvreté des réalisations françaises de l’époque en matière de retransmission de courses automobiles. Henri carrier était probablement un excellent réalisateur pour les matches de football et de rugby. Mais le problème, c’est qu’il filmait les courses automobiles comme les matches de football et de rugby : il suivait la balle. Dans ce Grand Prix d’Albi, il ne quitte pas la balle des yeux, c’est-à-dire l’homme de tête. On ne voit rien ou presque de ce qui se passe derrière. Pourtant, on sait qu’une vive empoignade oppose Clark et Beltoise, et on aimerait aller y voir d‘un peu plus près. Par ailleurs, si on souhaite comparer les styles respectifs des grands pilotes dans tel ou tel virage (ce qu’on aimait beaucoup faire à l’époque), on en est pour ses frais. J’ai pu faire une comparaison avec un reportage à la même époque de la BBC pour un Grand Prix de Grande Bretagne à Brands Hatch, et c’est le jour et la nuit : le réalisateur britannique avait tout compris à la dramaturgie d’une course automobile.
Autre chose à remarquer : on sent bien que le réalisateur est tout puissant ; c’est lui qui décide ce qui doit être montré ou non. François Janin n’ose pas lui suggérer de modifier les prises de vue, et d’aller regarder un peu ce qui se passe derrière. Mais peut-être y trouve t-il son compte : ce qu’on ne voit pas à l’écran lui permet de nourrir son commentaire.

4 – Arrivée

Nous assistons aux derniers tours. La course traîne en longueur, et il n’y a pas grand-chose à ajouter aux commentaires de François Janin qui, lui-même, n’a plus grand chose à dire. Le réalisateur continue de se concentrer sur l’homme de tête, Jacky Stewart, dont on peut admirer le style propre, coulé, et efficace. A ce moment, c’était une évidence qu’il était arrivé au niveau de Jim Clark, du moins au strict plan du pilotage, et tout le monde attendait avec impatience la saison 1968 où il pourrait se mesurer à égalité avec Jim Clark sur une voiture Matra dotée d’un moteur Cosworth. On sait ce qu’il advint… Souvenons-nous aussi que cette fin d’année 1967 est la fin d’une époque : l’ère du sponsoring arrive, et de moins en moins souvent on verra les voitures prendre la piste avec les seules couleurs de leur écurie. (1)

Illustrations © INA

(1) A la toute fin du reportage, des images furtives (3-4 secondes) nous montrent Jacques Anquetil en train de se préparer sous les yeux de sa femme Janine. Nous sommes sur le vélodrome de Besançon, le 24 septembre 1967, et Jacques Anquetil, âgé de 33 ans et en fin de carrière, fait une répétition générale sous les caméras de l’Eurovision, avant d’aller tenter de battre le record de l’heure de Roger Rivière. Il battra le record de la piste, avec une moyenne de 45,577 kilomètres. Trois jours plus tard, il se remit en selle sur la piste étalon du Vigorelli à Milan pour couvrir cette fois 47,493 kilomètres, soit 146 mètres de mieux que Roger Rivière. Mais le record ne sera pas homologué par l’Union Cycliste Internationale : Anquetil avait oublié de se soumettre à une petite formalité administrative, le contrôle antidopage.

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