17 mai 2015

Monaco – Formule « e » : Une première en Europe

« J’aime [Monaco] au mois de mai Quand les bourgeons renaissent, Qu’une nouvelle jeunesse S’empare de la vieille cité Qui se met à rayonner … »

Monsieur Aznavour me pardonnera-t-il cet emprunt ?  La principauté me pardonnera-t-elle cette touche bucolique ? L’univers de bruit et de fureur déchainé par 20 000 chevaux poussés dans leurs derniers retranchements n’est plus une image en cour lors des Grand Prix F1. Quelques milliers d’entre eux (6000 ?) se sont échappés au nom des économies d’énergie et de la préservation de l’environnement. Ceux qui restent sont dans le collimateur de la bien-pensance occidentale. Organiser un Grand Prix en ville relève désormais du suicide politique pour tout élu européen, d’où une migration vers des horizons chargés d’or noir ou déchargés de considérations environnementales. (Les deux à la fois aussi…).

Olivier Rogar

https://youtu.be/38K0QI6gnHs

Si l’avenir des énergies fossiles a la couleur du charbon, celle de la fée électricité reste aussi bleue que l’azur. Produire proprement cette dernière et la stocker durablement sont encore des défis que la technologie doit résoudre. L’enjeu écologique et technologique est important. L’engagement louable. Ces paramètres font -ils partie de la genèse de ce nouveau championnat mondial de « Formule e » ? Ils le pourraient en effet ; quel meilleur terrain de développement, d’expérimentation et d’essai que la compétition ?

Mais comment innover sans fausser cette dernière ? On a pu le constater, le championnat F1 hybridé a engendré la domination d’une équipe et fait exploser le niveau des budgets de toutes les autres. Enfin, de celles qui n’ont pas encore mis la clé sous la porte. Conséquence, la F1, malgré son aura,  voit ses revenus diminuer en même temps que le nombre de ses spectateurs. Une formule intermédiaire déjà existante, n’aurait pas survécu à un tel changement. La création d’un nouveau championnat dédié, initié, encouragé, soutenu et porté par la FIA de Jean Todt, s’imposait logiquement.

Formule « e »

Fait exceptionnel et probablement provisoire, ce championnat émergeant est le seul qui ne fasse ni la promotion d’espoirs du sport automobile ni celle d’un constructeur.

Quinze des vingt pilotes inscrits ont déjà couru en F1. Et la formule est monotype. Coque conçue par Dallara, groupe propulseur par McLaren Electronic Systems, systèmes d’énergie par Williams Advanced Technology, assemblage technologique par Renault, assemblage coque par Spark. Deux des plus grandes écuries de F1 ainsi qu’un fournisseur de moteurs majeur sont impliquées dans un programme qui relève de l’avenir plus que de l’anticipation.

Budgets autour de 5 millions d’euros par an et par écurie. Celles –ci sont au nombre de dix. Le championnat se dispute sur dix Courses et dix circuits : Pékin (Chine), Putrajaya (Malaisie), Punta del Este (Uruguay), Buenos Aires (Argentine), Miami (Etats-Unis), Long Beach (Etats-Unis), Monaco puis Berlin (23 mai), Moscou (6 juin) et Londres (27 et 28 juin). Une belle manière de faire venir ou revenir la compétition automobile au centre (au cœur ?) des villes.

Les Formules « e » ont le format des GP2, 800 kgs de coque carbone et de batteries, un moteur de 270 ch (aux essais, ramené à 200 ch en course), une boite de vitesses –  Précisions nécessaire car ce n’est pas évident avec une propulsion électrique – . La formule étant monotype, seule la couleur des sponsors permet la différenciation. Celà ne veut toutefois pas dire que les performances sont égales : réglages, style de pilotage, sauvegarde des pneus et du carburant (oui !) font autant la différence que dans les autres disciplines automobiles. Chaque course nécessite un changement de voiture à mi-parcours. Leur autonomie optimale dans ces conditions d’extrême sollicitation étant réduite à environ 45 kilomètres.

Le monde du silence ?

Ciel bleu, fraicheur de l’air, des couleurs et des odeurs. Rues calmes et presque désertes. Comment imaginer une course ici et maintenant ? Mis à part un déploiement policier conséquent, rien ne le signale. 19 000 spectateurs et on entendrait presque les mouches voler.  Presque, en effet. Sitôt franchi le périmètre des rues jouxtant le circuit on est confronté à la (trop ?) bonne sonorisation des bords de piste. Quatre commentateurs nous décrivent avec plus ou moins de précision et de compétence ce qui se passe – j’aurais du mal à juger des propos du commentateur allemand, mais pour l’italienne et l’anglais, ça peut aller. Ne parlons pas du français.

Donc pour le silence c’est raté. Et pourtant je peux dire ne pas avoir été le seul à y aspirer à ce calme si déroutant et séduisant à la fois. Mais la nécessité de nous expliquer ce que nous avions sous les yeux prévalait. Verba otiosa. (Pour faire plaisir à certains). Et nous n’avons pu goûter que très momentanément aux bruits que peuvent faire des voitures de courses sans les décibels de leur moteur. Ceux d’entre nous qui ont eu le bonheur de voir évoluer les F1 à effet de sol, lorsqu’elles avaient encore leurs jupes en Lexan, se souviennent – ils du bruit de frottement si particulier qu’elles généraient, moteurs coupés, lorsqu’elles regagnaient leurs stands ? De façon comparable la formule « e » nous a fait découvrir ses bruits de suspension au passage sur les vibreurs, de boîte de vitesses au rétrogradage, de pneus martyrisés, de freinages tardifs…Impression visuelle d’extrême rigidité des autos. De lourdeur peut-être aussi.

Entre commentaires et bruits de suspension, une course devait avoir lieu. Circuit réduit à 1.76 km, utilisant la ligne de départ habituelle puis le nouveau virage de Sainte-Dévote qui permet de bifurquer vers la mer au lieu de prendre la  montée du Casino et retour par le bureau de tabac, la piscine et la Rascasse. Temps au tour, environ 53’’.

Deux séances d’essais libres puis enfin les essais qualificatifs. Par séries de cinq voitures et dix minutes par série. Senna, Prost, Piquet…le neveu et les fils respectifs de…..Sarrazin, Heidfeld, Trulli, Alguersuari, Buemi, D’Ambrosio, Liuzzi, Pic, Vergne, Di Grassi, Speed, Chandhok. Autant de noms rappelant quelques saisons de F1. Bird, Dacosta, Duran, Duval, Abt dont le chemin ne les a pas mené en F1 mais qui se sont illustrés dans d’autres formules et en Wec. Ce championnat partageant d’ailleurs nombre de ses pilotes avec le Formule « e ».

Buemi est sorti vainqueur d’une qualification dont le mode de fonctionnement la rend difficile à suivre.

Formule « t@uf » 

Iconoclaste ? Peut-être. Mais avouez : attendant le départ de la course, je suis installé face à la piscine. Longeant la piste, côté mer, je vois arriver un petit bonhomme avec un énorme casque sur la tête. Ou un homme avec un casque encore plus énorme. Je ne saurais dire. Une voix nous annonce le DJ ! Ah. C’est très nouveau ça…

Explication par les fameux commentateurs : au moment du départ les spectateurs sont priés de faire silence. A ce moment je crois que j’ai un début de fou rire en pensant à ce que je vais imposer aux lecteurs de Classic COURSES. Silence parce que, évidemment avec les moteurs électriques, on n’entend pas les moteurs monter dans les tours. C’est donc un groove « rave party » qui donne le tempo du départ, de façon assez réussie d’ailleurs. Il faut juste s’y faire. Mais je vous laisse constater par vous-mêmes. La musique accompagnera toute la course. Espérons qu’elle parlera au public jeune tant désiré sur les circuits.

Un carambolage au départ coutera leur course à plusieurs pilotes, dont Vergne qui se fera piéger, repartira et établira le meilleur tour en course. Senna et Alguersuari en resteront là. Comme souvent à Monaco, les dépassements difficiles, voire impossibles, rendent les courses plutôt monotones. Buemi le pole-man s’imposera donc devant Di Grassi, Piquet, Bird, D’Ambrosio et Prost. On a espéré un temps que Sarrazin, dont l’Ecurie Venturi est monégasque, vienne troubler cette monotonie, avant la mi-course les cinq premiers, étaient regroupés en trois secondes. Malheureusement au changement de voiture, son équipe avait du mal à faire démarrer sa monture et il perdait sa prometteuse 5e place pour finir 7e.

Future is cl@an

Lorsque le 29 avril 1899, Camille Jenatzy battit le record du monde de vitesse sur terre avec la « Jamais contente », à 105.98 km/h d’aucun aurait pensé que l’avenir appartenait à l’énergie électrique utilisée par cette voiture. Il n’en a rien été.

Cent seize ans plus tard, les indices convergent pour faire des énergies propres celles de l’avenir. Si de nombreuses questions se posent encore sur la manière optimale de les produire, sur le recyclage de leurs sources de production (nucléaire) ou de leurs composants (éoliennes, panneaux solaires), il semble vital pour notre environnement de leur substituer une énergie propre. La motorisation des pays émergeants étant susceptible de faire doubler le parc automobile mondial d’ici quelques années avec les conséquences que l’on imagine.

Questions sous -jacentes :

Comment ces pays pourront ils accéder à une technologie dont le coût est élevé ?

La production d’énergie électrique avec des centrales à charbon ou au fuel, prépondérantes, est – elle susceptible de présenter un bilan carbone plus avantageux que l’utilisation directe de ces énergies dans l’automobile ?

Les gouvernements ayant basé une part importante des prélèvements fiscaux sur les carburants fossiles, ne se créée – il pas une entente de fait entre eux et les pétroliers pour conserver un statu quo avantageux ? Les mesures prises au nom de l’environnement (limitations de vitesse, taxation des voitures puissantes, « condamnation » de l’automobile loisir aussi bien que de la compétition  etc…) relevant alors de la communication politicienne…

A Monaco le « e » village installé sur le site de l’habituel paddock F1 présentait simulateurs-jeux, voitures particulières, moyens de livraison, véhicules expérimentaux tous mus par énergie électrique. Ce qui semblait intéresser nombre de très jeunes gens. Représentants d’une génération qui vit instinctivement une communication mondiale ouverte, une instantanéité des impulsions de consommation et de leur satisfaction et, paradoxalement peut-être le besoin d’exister et d’être plus encore que celui d’avoir. (Mises en scène vidéos « go-pro », sports ou actions extrêmes etc…). Une génération dont les modes de fonctionnement convergents associent au quotidien, technologies du futur, préservation et besoin d’être.

Mais tout cela ne nous empêchera pas de vouloir le retour de courses de F1 de 1000 ch avec des plateaux de 24 voitures !

 

Illustrations
Video de tête @ DR FIA
Photos @ Olivier Rogar 2015
Video @ Olivier Rogar 2015
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