24 avril 2015

Ralf, entre futur et passé

Tous les passionnés l’on connu ce moment de grâce. Cesser d’être un spectateur lambda. Etre au cœur de l’évènement, en faire partie. Discrètement. Silencieusement. Par effraction, hasard ou relation. Moment magique. Faire partie du tableau. Etre dans l’histoire qu’on a déjà envie de raconter. Echanger un regard. Un mot. Ne pas gêner. Ne pas se disqualifier. Persévérer. Peut être gagner une légitimité. Etre là enfin. Voir, respirer, sentir, vivre aussi le rêve qu’Olivier Favre sait si bien nous faire partager.

Classic COURSES

« Vielen Dank und gutes Rennen ! »

3037076282336813809Ralf claque la portière et regarde pensivement la voiture s’éloigner vers le paddock. Finalement, il ne regrette pas d’avoir bêtement loupé son train tout à l’heure. La séance d’auto-stop qui en a résulté sera une parfaite introduction pour son article ; d’autant plus que c’est un pilote inscrit à la course qui s’est arrêté pour le prendre. Dommage que le parcours, assez court, et sa timidité l’aient empêché de profiter de l’aubaine pour en savoir plus. Faut dire que le bonhomme n’était pas très causant non plus. C’est tout juste s’il sait que ce très jeune homme – il ne doit pas être beaucoup plus âgé que lui – est inscrit sur une Porsche. « Tu parles d’un indice ! il y en aura plus de 20 au départ. J’aurais au moins pu lui demander son nom, quand même … Bon, peu importe, l’essentiel est d’être sur place. Commençons déjà par acheter un billet. Tiens, j’aurais pensé que la file serait plus longue. C’est quand même une manche du championnat du monde d’endurance ! Serait-ce parce que Jochen est absent ? Il n’aurait pas jugé la prime de départ assez attractive, paraît-il. » Ralf choisit un billet donnant accès au paddock. C’est un peu plus cher, mais ça lui permettra d’approcher les voitures.

1370486359Un premier coup d’œil sur le programme fourni avec le billet lui suffit pour constater que la liste des engagés n’est pas à jour. Par exemple, l’Alpine et les 2 GT40 y figurent encore, alors que le journal d’hier les a annoncées comme absentes. Il prend son stylo bleu et barre ces trois voitures. « Bon, maintenant que je suis dans la place, n’oublions pas de faire une ou deux photos d’ambiance. Il fait beau, c’est déjà bien, ça change d’hier. » Ralf sort son appareil tout neuf et commence à arpenter le paddock en essayant déjà d’imaginer quelles photos pourraient illustrer son article. S’il aime bien écrire, il n’est pas spécialement doué ni attiré par la photo. Mais il reconnaît volontiers que des clichés réussis sont un plus pour n’importe quel sujet. Malheureusement, les siens seront en noir et blanc : pas la peine d’acheter une pellicule couleur, le journal de son lycée ne sort qu’en noir et blanc. Surtout noir d’ailleurs, vu la qualité de l’impression ! Au moins, ça lui coûte moins cher. Déjà qu’il a dû acheter son petit Kodak. Il se prend à envier les vrais reporters : « eux n’ont pas à financer leur outil de travail sur leur argent de poche ! »

4043392836Enfin, la dépense valait le coup. Il va quand même assister à sa première grande épreuve. C’est autre chose que les petites courses de côte qu’il a déjà pu voir. Cette fois, il y a des grosses écuries et des stars internationales. En particulier Jo Siffert pour qui il a un faible et qui, à son grand bonheur, gagne presque tout cette année avec son compère Redman.« Vraiment chouette que papa ait trouvé ce boulot à Bruck, quand on habitait à Vienne ça faisait loin pour venir en Styrie. Surtout qu’il ne fallait pas compter sur papa pour m’amener ici, la course auto il n’en a rien à cirer. En plus, coup de bol, on emménage juste pendant les travaux du nouveau circuit ! parce que l’aérodrome utilisé avant, bof ! »  Finalement, il ne regrette pas trop d’avoir manqué l’inauguration de cet Österreichring il y a deux semaines. Certes, il y avait plusieurs « Eröffnungsrennen », de diverses catégories. Mais le plateau des protos, le seul qui compte à ses yeux, était quand même moins fourni. Et Seppi n’était pas là. Il n’empêche, ça l’a bien fait râler sur le moment, que ses parents aient justement choisi la fin juillet pour le séjour familial annuel à la mer.« A Rimini, en plus ! pfff, tu parles d’un plaisir ! la foule, le bruit, une routine presque aussi ennuyeuse qu’à la maison. Et Petra qui se pâmait devant le moindre bellâtre italien … Ah, vivement qu’elle aille poursuivre ses études à Vienne, celle-là ! Enfin, ce ne sont sans doute pas les études qu’elle poursuivra … » Ralf préfère ne plus penser à sa sœur aînée, il risquerait sinon de sentir poindre à nouveau ce sentiment agaçant qu’il peine à admettre, mais qui est bien réel : l’envie. Lui qui aimerait bien réussir à établir un début de communication avec la gent féminine, mais qui reste muet et paralysé dès qu’une fille de son âge lui adresse ne serait-ce qu’un regard. Avec les voitures, c’est décidément plus facile …

2122875879A propos de voitures, il n’y en a plus tant que ça dans le paddock. Juste trois ou quatre qui font le plein, avant de partir rejoindre les autres, sur la piste. « Voilà ce que c’est, quand on rate son train ! bon, où aller pour voir les voitures, maintenant ? » Il y a évidemment les gradins naturels offerts par le relief entourant le circuit, mais il aimerait bien voir le départ, dont l’heure approche. L’idéal serait d’accéder au balcon qui surplombe les stands, mais l’escalier en est gardé par un cerbère à la mine peu engageante. Planté là à quelques mètres, Ralf ne sait que faire. Mais il faut croire que son souhait s’est affiché sur son visage ; en effet, un homme élégant en veste marron qui vient de descendre du balcon se dirige vers lui et lui propose par gestes de monter. Surpris et intimidé par le regard de cet homme au crâne dégarni qui doit être un peu plus âgé que son père, il parvient à peine à balbutier un« ja » étouffé et passe devant le garde qui s’efface avec déférence. Ce n’est qu’à la 4e ou 5e marche qu’il se rend compte qu’il n’a pas remercié son bienfaiteur. Mais celui-ci a déjà disparu dans la pénombre d’un stand.

2447321573832672027Arrivé en haut, Ralf se dit qu’il a vraiment de la chance : ce balcon est manifestement réservé à quelques privilégiés triés sur le volet car on y trouve beaucoup moins de monde qu’on pourrait le penser étant donné la vue idéale qu’il offre sur la piste. Ralf n’a donc pas grand mal à se trouver une petite place contre le garde-corps et à se pencher au-dessus d’un stand. Il n’y voit pas grand-chose, si ce n’est des gens désoeuvrés. Manifestement, leur voiture est en piste. Le stand voisin est plus intéressant. On y voit du rouge, un coup d’œil à son programme : « OK, ce sont les deux Alfa Romeo du Racing Team VDS, elles viennent de Belgique. » Deux voitures, une rouge et une verte, passent en pleine accélération, presque collées l’une à l’autre, et le jeune Ralf éprouve pour la première fois de façon aussi intense ce grondement qui résonne dans la poitrine. « Verdammt, quel bruit ! Voyons … ah, n°32 et 33, c’était les deux Lola T70. » Ralf aimerait bien entendre aussi la Matra, le seul V12 en lice puisqu’il n’y a aucune Ferrari. Mais il n’y a pas beaucoup de voitures en piste. C’était une séance d’essais libres pour ceux qui voulaient peaufiner leurs réglages et elle vient de se terminer. Ah, une voiture s’arrête juste en-dessous de lui !  « Ce doit être une Porsche, guère de risques de se tromper vu leur nombre … » Ralf consulte à nouveau sa liste : « hmm… oui, n°25, c’est une 910, engagée au nom du Bosch Racing Team. » Et qui ne paraît plus de toute première fraîcheur. Le pilote s’en extrait et commence à donner des directives au mécano qui s’approche de lui. Puis il appelle quelqu’un dans le stand et Ralf voit alors apparaître dans son champ de vision un autre pilote : « Na so was ! c’est mon chauffeur de tout à l’heure ! »Marrant comme coïncidence !« voyons, n°25, ce sont des Autrichiens, Otto Stuppacher et Niki Lauda. Bon, comme le nom Stuppacher apparaît sur les flancs de la voiture, c’est sans doute lui qui dirige les opérations, en tant que propriétaire de la voiture. Donc, le jeune serait Lauda. » Ralf redouble d’attention envers le jeune homme en combinaison blanche et se prend à rêver d’être au départ lui aussi, dans quelques années.2459058047

Il est 11h30, encore une demi-heure avant le départ. Toutes les voitures sont arrêtées, mais l’un ou l’autre moteur gronde encore. Puis, peu à peu, le silence se fait et les voitures commencent à être dirigées vers la grille de départ. Ralf sort de sa rêverie quand le speaker commence l’énumération des voitures et équipages en lice, dans l’ordre des temps des essais. Il ressort alors son stylo pour corriger sa liste, mais pas facile de comprendre tout ce qui sort des haut-parleurs. Autre souci : sa vessie qui commence à exprimer une certaine impatience. Mais s’il descend se soulager, il risque de ne pas pouvoir remonter ici. Tant pis, il attendra. Sous un soleil éclatant et de plus en plus chaud – « J’aurais dû prendre une casquette … » – la grille se remplit dans un mélange de couleurs chatoyantes. Les haut-parleurs annoncent que le départ sera donné par Juan-Manuel Fangio. A ces mots, Ralf dirige son regard vers un homme en veste marron posté devant les 36 voitures, avec un drapeau rouge et blanc enroulé dans sa main. « Donnerwetter ! C’était lui ! » Eh bien, Ralf ne va pas manquer de matière pour son article dans le numéro de rentrée du Landskron Nachrichten !

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Olivier Favre

Illustrations :

Photos NB et photo d’ouverture © Arthur Fenzlau
Technisches Museum Wien :http://www.technischesmuseum.at/motorsport-in-oesterreich/veranstaltung/articleid/2437
Dernière photo : © Rainer Schlegelmilch

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