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Questionner Gérard Crozier…On sentait bien, au travers de bribes de conversation entendues ici ou là que le personnage avait des choses à raconter. Mais ce ne fut pas simple. Car sa modestie congénitale lui donne à penser que nul ne peut s’intéresser à des histoires de mécano. Qui plus est vieilles de quarante ans… On peut donc saluer la persévérance et l’opiniâtreté de Michel Lovaty.

Classic COURSES

 

 

163051_133339740059863_3847786_n.jpgCC : Comment êtes vous arrivé chez Brabham ?

Je suis arrivé chez Motor Racing Development (La société propriétaire de Brabham) début 1971 pour aider mon ami Bernard Lagier – qui allait être nommé importateur pour la France –  à assembler sa Brabham BT 35 de Formule 3. Dans des ateliers très modestes étaient assemblées des monoplaces de toutes catégories, de la F3 à la F1. Chaque mécanicien avait son coin à lui et montait « sa » voiture. Le châssis posé sur chandelles, les pièces détachées dessous. Mon atelier jouxtait ceux de Patrick Lister affairé au montage de la F3 de Branden Mc Inerney, un pilote anglais (ou écossais !) issu de la Formule Ford et de Joe Simmons.  

Je logeais chez Joe, à Richmont. On se « tirait la bourre » tous les jours. Lui sur une Chevron B8 Bmw et moi sur une Berlinette verte, comme la Martini de mon frère.  Il voulait  que l’on échange nos « caisses ».  Ah si j’avais su !

 

Les locaux de MRD n’avaient rien à voir avec les usines Hi-tech dont disposent les écuries aujourd’hui. Les parkings étaient si exigus qu’à deux reprises pendant mon séjour j’ai vu des murs s’effondrer ! Le camion Tyrrell a été fatal au mûr en briques de notre usine. Ron Dennis qui travaillait sur sa BT 36 de F2 juste derrière, est sorti précipitamment, tout pâle, sa voiture se trouvait précisément à l’endroit de l’impact. Heureusement, plus de peur que de mal. Ron Tauranac a égalé la performance « Tyrrell » avec sa propre voiture faute, lui aussi, d’avoir bien regardé en reculant…

 

CC : Quelle était l’ambiance dans l’usine ?

 

A l’usine le staff technique se composait de James Gresham, chef monteur – Ce diable d’homme avait l’œil sur tout – du magasinier Dave – je n’ai jamais connu que son prénom – de Alan Feen, surnommé le « beatnik » qui officiait comme chef des ventes. Et puis, bien sûr, au bureau d’études, last but not least, Gordon Murray, jeune sud africain barbu, chevelu, vêtu de jeans délavés « pattes d’eph », de souliers ferrés, fan de rock n’roll et – déjà- amateur de bons vins…français !

Juste à côté de nous, un collègue se chargeait de la BT 36 de formule F2 réservée à Graham Hill. Il venait de s’associer avec Neil Trundle pour monter l’écurie « Rondel » de F2. Autant Trundle se montrait enjoué, sympathique, obligeant, autant son associé, un certain Ron Dennis pour ne pas le nommer, affichait vis-à-vis de nous une attitude plutôt distante et silencieuse. Les ouvriers du montage l’avaient d’ailleurs surnommé Ron speak …

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 CC : Avez-vous croisé Jack Brabham ou Ron Tauranac ?

Ron Tauranac, associé jusqu’à fin 1970 à son vieil ami Jack Brabham (d’où la dénomination BT de toutes les Brabham) menait la barque seul désormais. Son associé lui avait vendu ses parts et prêté l’argent pour les payer. Ron était typiquement un homme de terrain, passionné par la technique, peu intéressé par les aspects commerciaux et politique du sport. Trouver chaque saison les 100 000 Livres Sterling nécessaires au financement de l’écurie n’était pas précisément sa « cup of tea ». Ron Tauranac était donc notre patron. Patron par excellence, strict, constamment sur notre dos, nous répétant inlassablement :  «  turn the nut, not the bolt ! »

« Old Jack » qui, à 40 ans, venait de prendre sa retraite en finissant 5e du Championnat du Monde  1970, passait de temps en temps à l’usine. Sans prévenir, bien entendu. Aussitôt une chape de plomb couvrait l’atelier. Ou plutôt un silence religieux. Il se baladait tranquillement, discutait avec « ses » mécanos, « ses » pilotes Graham Hill et Tim Schenken… Moi, de nature timide, je fixais le bout de mes « groles», sans bouger, impressionné par ce « monstre sacré » des sports mécaniques ; il était tout de même le fondateur de l’entreprise qui portait son nom et qui m’employait ! 

 

CC : Approchiez vous les Formules 1 de l’équipe ?

 

Un jour, Graham Hill flasha sur le petit volant « Guesteen » fixé sur la monoplace de Bernard Lagier. Il mandata aussitôt Ron Dennis pour solliciter un échange. Celui-ci s’exécuta très poliment et obtint satisfaction. Ce n’est pas pour autant qu’il fut plus cordial par la suite.

 

Graham, par contre vint nous voir un matin et nous demanda d’un air complice « Do you want to see the BT 34 ? ». L’engin mystérieux trônait dans l’atelier jouxtant le nôtre. « Strictly forbidden !» Cette nouvelle F1 portait en elle tous les espoirs de  l’écurie pour 1971. Quel coup au coeur ! Ses petits radiateurs scindés en deux, positionnés devant les roues avant, reliés par un aileron. Ce choix technique avait été dicté par la forte perturbation du flux d’air qui sortait des radiateurs. Le faire déboucher devant les roues avant, au flux également perturbé,  semblait prometteur pour le reste de l’aérodynamique de la voiture.  Bref la forme inédite qui découlait de cette disposition valut à la voiture le surnom de « Homard ».

 

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Le week-end suivant, à Brands Hatch, lors de la Course des Champions, Tim Shenken  l’amena à une surprenante 4e place.  Puis, une nouvelle fois hors championnat, Graham Hill lui donna sa seule victoire à Silverstone au terme de l’International Trophy.  

CC : Il y avait une activité commerciale importante chez Brabham ?

Au cours de cette période une vingtaine de châssis furent construits.  Ils étaient équipés de moteurs différents selon la catégorie dans laquelle ils étaient engagés. Je me souviens même que dans un coin, un mécano s’occupait d’une BT 24 F1 alignée entre 1967  et 1969, équipée d’un bon vieux « Repco ».

Pour ma part, j’ai fini par acheter une Brabham BT 29 de Formule Atlantique. Elle était en caisse, neuve, son acquéreur initial n’était jamais venu la chercher. Avec Bernard Lagier nous avions l’intention de développer notre propre monoplace, la « Narval »  sur cette – bonne – base. Ron Tauranac nous donna son accord en nous disant «  de toute façon, tout le monde copie Brabham, alors un de plus !…. »  puis  «  you change the nose and the name ! » En juin 1971 je rentrais en France. Une autre aventure commençait !

Propos recueillis par Michel LOVATY

Crédits Photos :

 

1) Brabham BT 35 F3 – Bernard Lagier @ DR

2) Gérard Crozier @ Gérard Crozier

3) Ron Tauranac, Ron Dennis, Jack Brabham @ DR

4) Brabham BT 34 @ DR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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