28 mars 2014

Beautés classées

Pourquoi certaines voitures de course nous émeuvent-elles plus que d’autres ? pourquoi les trouve-t-on belles ? C’est a priori très subjectif, évidemment. Pourtant, si l’on faisait un sondage parmi les lecteurs de CC pour définir par exemple les 10 plus belles F1 d’une période donnée, gageons que la liste des « nominées » ne serait pas si longue et qu’elle ne comporterait quasiment que des voitures ayant trusté les podiums.

Pourquoi ? sans doute parce que les lecteurs de CC partagent une culture commune, le même inconscient collectif (la même tranche d’âge aussi, souvent), des valeurs proches, tout ce qui fait qu’ils se retrouvent en pays de connaissance sur CC. Mais aussi parce que, en course automobile, la notion de beauté est rarement séparable de celle d’efficacité. C’est un fait que la plupart des voitures entrées au panthéon de la course sont presque toujours belles, voire sublimes. Qui songerait à remettre en question la beauté d’une Bugatti 35 ? d’une Lotus 25 ? d’une Ferrari P4 ?  

Olivier Favre

Et rares furent les voitures belles qui ne connurent aucun succès. L’échec pouvait alors être mis plutôt sur le compte des circonstances : un développement insuffisant, le manque de moyens pour aller au bout d’une idée qui était bonne. A contrario, y eut-il des autos efficaces mais moches ? pas évident … Oui, en cas de changement de paradigme technologique rendant caduque toute considération esthétique : ainsi la Chaparral 2J « aspirateur » qui tournait autour de ses concurrentes, mais dont l’apparence évoquait plus la boîte à chaussures que l’auto de course. Et, à titre personnel et donc très subjectif, j’ajouterais les  Auto-Union des années 30, que je n’ai jamais pu trouver belles, au contraire de leurs concurrentes contemporaines venues de Stuttgart.

Chaparral 2J.jpg

Mais, si beauté et efficacité vont le plus souvent de pair, on en revient au dilemme de la poule et de l’œuf : dans quelle mesure n’est-ce pas justement cette efficacité qui donne à une auto un supplément de beauté qu’on ne lui aurait pas forcément reconnu en l’absence de résultats probants ? Sans doute y a-t-il un aller-retour : la forme agréable à l’œil découle de la fonction visée et de la fonction parfaitement remplie la forme tire un surcroît de beauté. Mais je me rends compte que je parle au présent. Alors même que ce que je viens d’écrire s’applique au passé. Car le XXIe siècle a rompu cette liaison entre beauté et efficacité. Ainsi, même en se forçant beaucoup, comment trouver le moindre charme aux F1 actuelles ? Il faudrait déjà pouvoir les distinguer autrement que par leur bariolage publicitaire. Chez les protos, c’est quasiment pareil : déceler de la beauté dans les Audi qui ont fait des 24 Heures leur chasse gardée me paraît une tâche plus qu’ardue. J’arrivais à trouver les Peugeot 908 un poil plus gracieuses, mais parler d’émotion esthétique à leur propos serait quand même incongru. Est-ce parce que toutes ces formes sont issues du cerveau froid d’un ordinateur ? Et qu’elles sont donc désincarnées ?

« Pourtant, les Red Bull et les Audi, si ce n’est pas de l’efficacité ! Enfin, c’est quoi ton problème, Olivier ? le même que René, je parie ! » Ah, zut ! le voilà qui revient, l’ange zélateur de la course actuelle …Ouste, dehors ! Et pour le tenir éloigné, venons-en au concret : essayons de mettre en pratique mon hypothèse de départ en définissant à titre d’exemple une liste des 10 plus belles F1 centrée sur les 15 premières années de la F1 trois litres, soit 1966-1981, avant l’ère des turbos. Pourquoi cette période ? parce que c’est celle que je préfère, déjà. Parce que c’est aussi celle durant laquelle les F1 ont radicalement et doublement changé d’aspect : leurs formes ont évolué sous l’influence du progrès technique, notamment en matière aérodynamique ; et, faisant fi des couleurs nationales, leurs robes ont été conditionnées par l’influence croissante du sponsoring extra-sportif. Enfin, parce que c’est celle où le génie créateur pouvait encore emprunter diverses voies et ainsi aboutir à des formes très distinctes. Ce qui permet à n’importe quel connaisseur de cette époque de reconnaître les formes d’une F1 donnée, quand bien même celle-ci aurait été préalablement anonymisée par l’effacement de toute couleur, marque ou numéro.

Voici ma liste, assortie pour chaque voiture d’une tentative d’explication, de justification de son classement. Justification non pas esthétique (comment expliquer une émotion esthétique ?), mais portant sur le reste : la technique, le contexte historique, le palmarès. Et aussi le(s) pilote(s), qu’il est parfois difficile de séparer de la voiture. La Maserati 250 F serait-elle aussi belle, aussi marquante, sans le 5e titre de Fangio ? la Lotus 25 sans l’éclosion de Clark ? Donc, en partant de la 10e place et en précisant l’année de l’apogée esthétique (car plusieurs de ces monoplaces ont eu une carrière de plusieurs années, inimaginable aujourd’hui !) :

10) Lotus 49 (1967) : la première F1 à moteur porteur et la dernière de Clark, la monoplace qui va poser les bases techniques (Cosworth-Hewland) de la F1 pour 15 ans et qui introduit le sponsoring extra-sportif (en 68). olivier favre,classic courses,f1

9) Ferrari 312 T2 (1976) : la renaissance de Ferrari, l’accident et le retour de Lauda pour un 2e titre. Même si la renaissance date de la 312 B3 de 74, qui me plaît plus sur le plan purement esthétique. Mais qui n’a pas le palmarès de la T2. Ni de la T, qui mériterait aussi de figurer dans ce classement.olivier favre,classic courses,f1

8) Brabham BT44 (1974) : une F1 quasi vierge de publicités à une époque où cela devenait anachronique, une forme pyramidale tranchant avec ses concurrentes, le premier succès d’un jeune ingénieur nommé Gordon Murray. olivier favre,classic courses,f1

 7) Lotus 79 (1978) : la révolution technologique de l’effet de sol, le dernier chef d’œuvre de Chapman, une F1 copiée (bien ou mal) par tout le monde.

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6) Eagle-Weslake T1G (1967) : la personnalité attachante de Dan Gurney, l’Américain idéal, celui auquel les Européens veulent croire, la première véritable offensive américaine en F1, formule européenne par excellence. La seule F1 dont les formes (le bec d’aigle) rappellent le nom.olivier favre,classic courses,f1

5) BRM P160 (1971) : le chant du cygne de la firme de Bourne, l’élégance sobre de la robe Yardley, le duel Siffert-Rodriguez pour lesquels elle fut la dernière F1.

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4) McLaren M23 (1973) : la dernière Mclaren à arborer partiellement la couleur papaye chère à Bruce. Une extraordinaire longévité au sommet : des victoires pendant 4 ans. La seule F1 qui fut conduite par 5 champions du monde : Hulme, Scheckter, Fittipaldi, Hunt et Piquet (et deux vice-champions : Ickx et Villeneuve).

3) Ferrari 312 B (1970) : la première et la plus pure de la lignée des Ferrari à moteur à plat, l’équilibre parfait entre les formes pures et sobres des années 60 et les développements aérodynamiques des années 70, le duel Ickx-Rindt.olivier favre,classic courses,f1

  2) Lotus 78 (1977) : une flèche noire d’une classe extraordinaire, intrinsèquement, peut-être la plus belle de toutes les F1, toutes périodes confondues. Devancée dans ce classement par la 72, en vertu de son palmarès supérieur, ce qui illustre le supplément de beauté que confère la gloire.olivier favre,classic courses,f1

 1) Lotus 72 (1972-73) : quelle version préférer ? la première, celle de Rindt ? ou bien celle de Fittipaldi et Peterson ? Disons la version JPS, première F1 noire, sublime avec les filets or. Seule F1 ayant remporté des Grands Prix sur un intervalle de 5 saisons et dans deux configurations visuelles totalement différentes. 

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 Tel est mon classement. Il y aura des contestations, c’est sûr ; des oublis, des absences me seront reprochés. A cet égard, je précise que j’aurais bien aimé intégrer d’autres F1, et notamment la Williams FW 07, la Matra MS10, la Ferrari 312 B3 (1974), la McLaren M19 (en Yardley), la Brabham BT24, la Ferrari 312 de 1968, … Mais un top ten, ça se limite à 10 !

Photos @ DR

Cette note d’Olivier Favre, donnera exceptionnellement lieu à un post scriptum, les photos étant quasiment impossibles à insérer dans les commentaires. Sans remettre en cause le classement d’Olivier qui est parfaitement subjectif mais rejoint cependant l’avis de la plupart d’entre nous au sujet des plus belles F1, voici les F1 citées dans les commentaires ( et faisant partie de la période concernée : 1966 – 1981) :

Classic COURSES

Ligier JS 11 1979 ( Hugues Mallet)

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Tyrrell 003 1971 ( JS)

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 Ferrari 312 B2 1972

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Ferrari 312 T4 1979 (Pierre Ménard) olivier favre,classic courses,f1

Tyrrell 008 1978 (Francis Rainaut)

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Ferrari 312 T 1975

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 McLaren M7A (Olivier Rogar)

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Wolff WR1 1977

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Brabham BT 46 1978

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Arrows A2 1979

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 Brabham BT 49 1981olivier favre,classic courses,f1

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