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La Porsche 911 2.0T SWB n°210 qui remporta le » Rallye de Monte Carlo » en janvier 1968 donna à la marque sa première grande victoire en rallye. Et à Vic Elford sa première grande victoire internationale. Le tout dans une ambiance qui reflète le contexte de ces années, celles  d’une décennie follement libératrice, joyeuse et insouciante, celle des dix années qui séparent la présentation de la 911 à Stuttgart en 1963 et le choc pétrolier de 1973… Voici donc le récit de cette course mythique.  

 

Par Jean – Marie Chatelain

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Porsche 911

 

Trop c’est trop,  » Sometimes you just have to start fresh » se dit Vic suite à sa série presque ininterrompue d’abandons sur Ford en 1966, le dernier encore du aux facéties de l’allumage Lucas «  Knight of the dark ».

En ce début septembre, de nombreuses équipes profitent de la fin de l’été dans les palaces de la Croisette à Cannes. Porsche loge à l’hôtel Martinez. Et Vic sait exactement ce qu’il veut, comme toujours. Comme il l’a fait en 1961, il choisit de briser la fatalité lorsqu’il rejoint le baron Fritz Sittig Enno Werner von Hanstein, plus connu sous le nom de Huschke von Hanstein, au bord de la piscine du Martinez.  Dans la vie, comme dans la course automobile, il faut savoir virer car c’est toujours dans les virages que l’on gagne du temps. Le regard, la trajectoire, les freins et les mains doivent permettre de tirer le maximum d’avantages du transfert de masse. Les forces qui s’exercent sur le véhicule doivent être instantanément ressenties puis utilisées pour sortir de la courbe en sécurité, en vitesse, et dans la meilleure position possible pour aborder le prochain tournant. Il faut jouer avec ces mouvements de balancier, jusqu’à les provoquer et en tirer profit. Ce n’est pas la vitesse qui fait la rapidité, c’est l’agilité. Et à ce sujet, Vic à sa petite idée en tête…

 

Je ne sais pas comment il a pu en avoir l’intuition, étant donné qu’il n’en avait jamais conduite, mais lorsqu’il demande ce jour-là à rencontrer le chef du département compétition de Porsche, Huschke von Hanstein, alias « racing baron », ancien coureur automobile ayant notamment gagné les « Mille Miglia » de 1940 en BMW 328, Elford pense que la 911 est l’outil idéal pour courir en rallye. Certes, Vic a aussi pris la précaution d’engager quelques discussions avec Renault qui courre cette année avec des R8 Gordini, et avec BMC dont la Mini Cooper S s’impose sur les podiums depuis 1964, mais rien qu’à la regarder, à l’écouter, il sait que la 911 possède tous les attributs d’une gagneuse. C’est le « Power of Balance » qu’il conceptualisera plus tard.

 

Reste à convaincre Hanstein, qui relaie la position de la direction : on ne croit pas vraiment à une carrière de la 911 en rallye malgré des premiers résultats prometteurs. En 1965, un seul exemplaire a couru pendant la saison, une seule fois, lors de la 34ème édition du « Monte Carlo » (obtenant une belle 5ème place). En mai de cette année 1966, deux 911 ont été engagées au « Rallye des Tulipes » (4ème et 6ème au général) et une autre 911 termina 2ème au « Rallye des Alpes Autrichiennes » du même mois. Le « Rallye des Alpes » de septembre, qui vient de s’achever sur une déconfiture de Vic Elford avec sa Ford Cortina, a vu une 911 finir en 6ème position et 3 autres sont déjà inscrites pour le « Drei-Stadt Rallye » (Munich-Vienne-Budapest) en octobre. La saison en est presque à sa fin, les équipes sont constituées depuis longtemps et la demande de Vic ne tombe pas spécialement à pic !

 

Un accord à minima est cependant trouvé. On lui prête une voiture de série pour le « Tour de Corse » qui se tient en novembre 1966, mais sans aucune assistance. A charge pour lui de démontrer qu’il est bien le pilote qui révèlera la 911 en compétition ! Vic se rend alors à Londres et prend possession de son auto auprès du distributeur local. Il lui reste moins d’un mois pour apprendre à la conduire, avant de s’envoler pour la Corse où il loue une autre voiture pour effectuer la reconnaissance pendant 2 semaines avec  David Stone, son co-équiper retrouvé. Visuellement, « sa » première 911 est très proche de celle qui offrira à Porsche son premier Monte Carlo en 1968, couleur red polo, cerclage de phares noirs, 4 feux additionnels à l’avant, jantes en tôle…

 

Lorsque l’auto arrive en Corse par camion, et que Vic découvre qu’il n’y a rien d’autre que la 911, des roues et des pneus, il se tourne vers Huschke von Hanstein présent sur les lieux et lui dit : « Super ! La voiture à l’air bien. Mais où sont les pièces de rechange ? » Huschke lui répond : « nous n’avons pas de pièces de rechange. Les Porsche ne cassent pas. » Avec un sourire crispé, Vic l’interpelle : « Allez Huschke, tu blagues ! Toutes les voitures de rallye cassent. Même une Porsche a quelque chose qui casse, parfois! » « Non. » lui lâche von Hanstein, « Porsche ne casse pas ». Et il a tout à fait raison : la numero 69 termine à la 3ème place de ce « Tour de Corse », préliminaire réussi d’une double carrière magistrale, celle de Vic Elford et celle de la 911 !

 

Même s’il n’a pas remporté l’épreuve, Vic a réussi son coup et Porsche ne s’y trompe pas. Elford et Stone sont aussitôt inscrits pour le prochain rendez-vous, le premier de la saison 1967, le « Rallye de Monte Carlo » en janvier, avec une 911S cette fois préparée en usine. Sept 911 sont engagées, dont trois versions S. Elles finissent toutes classées. Notons qu’un certain Johnny Halliday participe cette année avec une Ford Mustang qui ne finira pas le rallye, et que Gérard Larousse (que nous retrouverons à un moment crucial de l’édition de 1968) court pour la dernière fois sur NSU, avant d’enfiler les victoires plus tard dans l’année sur Renault Alpine A110, jusqu’à le mener au titre de vice-champion de France en catégorie Tourisme…

 

Du départ de Varsovie jusqu’à la dernière spéciale, Elford et Stone mènent la course. Il faut dire que ces deux là commencent à bien se connaître ! David Stone a remporté sa première épreuve nationale en tant que co-pilote à l’âge de 19 ans, ce qui demeure un record. En 1962, il remporte le « R.A.C. Rally » avec Eric Carlsson sur Saab 96. En 1963, il est recruté par Graham Robson, le Mr Compétition de Triumph, pour faire équipe avec Vic Elford. Jusqu’au fameux « Tour de Corse » de 1966 ils partagent tous deux une insatisfaite soif de victoire, passant de l’écurie Triumph à Ford, accrochant une victoire de classe au « Rallye des Alpes » de 1964, une troisième place au « R.A.C. Rally » de la même année et une deuxième place sur le « Circuit of Ireland International Rally » en 1965.

 

Mais en ce mois de janvier 1967, grâce à une 911S qui est passe de remporter son premier rallye de Championnat d’Europe, ils sentent que la consécration est proche. Pourtant, à la 11ème heure, dans le col du Turini (au même endroit qui leur accordera la victoire l’année suivante), la neige et le vent s’invitent brutalement dans la course, ce que l’équipage n’avait pas envisagé. Les pneus sont inadaptés et deux véhicules réussissent à les dépasser, reléguant finalement la Porsche n°219 à la troisième place au général, mais avec une victoire de classe quand même sur les + de 2000 cm3. La déception est sévère mais tous les signes sont au vert : Porsche renouvelle leur contrat pour tous les rallyes suivants.

 

L’année qui va s’écouler est l’illustration parfaite du chemin qui conduit à la revanche. En mars, il remportent le « Rallye Lyon-Charbonnières », en mai ils s’imposent au « Rallye des Tulipes », en juin ils sont premiers de leur classe au « Rallye de Genève », en novembre ils terminent à la troisième place du « Tour de Corse » sur une 911R. Et même s’ils échouent au « Rallye des Alpes » en septembre pour cause de défaut de transmission, comme quoi tout arrive, même à une Porsche, ils assurent malgré tout la victoire au championnat d’Europe  en Gr 3 !

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En mai, avec Neerpasch comme co-pilote, Vic Elford termine 3ème à la « Targa Florio » sur Porsche 910 et aux « 100kms du Nürburgring », puis 7ème aux « 24h du Mans » sur 906 en juin avec Ben Pon à ses côtés, 6ème aux « 12h de Reims » avec Bradley, toujours sur 906, 3ème au « Grand Prix de Mugello » en juillet sur 911R, et second au « Wills Trophy Croft » avec une 910..

Vic est insatisfait et c’est ce qui le conduit de rallyes en Grand Prix, de Sportscar en F1. Il court pour l’instant après une première victoire de prestige qu’il sait proche. Sa réputation grandissante force le respect de ses pairs et de la maison Porsche. Désormais il spécifie lui-même les préparations de ses autos sur chaque évènement, abreuvant les équipes de données, de graphiques et d’idées d’équipement. C’est un finisseur pour qui chaque détail compte et qui considère que l’efficacité réside davantage dans le travail que dans le talent. Pour le « Rallye de Genève » il fait monter une boite de vitesse avec le 5ème rapport le plus court jamais vu sur une 911S, car il sait qu’il ne peut dépasser les 160km/h à aucun moment sur le parcours. Il passe aussi la majorité du mois d’août 1967 à préparer seul la « Coupe des Alpes », effectuant la prise de notes sur un dictaphone, en versions jour et nuit. Et comme c’est souvent le cas, il en donne la retranscription à David Stone juste avant le départ ! En course, Vic déroule son programme comme il l’a établi. Chaque chose est à sa place, nulle frivolité n’est envisageable. Le regard porte loin sur la route, l’instinct est affûté et seul le monologue de David lisant les notes dans l’intercom constitue leur discussion. Vic répond aimablement à la presse lors des points de contrôle, ou avant les départs de spéciales, mais dès que le drapeau s’abat, son esprit quitte le monde alentours et rien d’autre ne compte que l’objectif d’atteindre le prochain point dans le temps le plus court possible. Ce n’est qu’à la fin de l’épreuve, tirant sur son clope, qu’il retrouve la paix et la sociabilité.

Une certaine T


En 1968, la FIA introduit une nouvelle notion de « Championnat des Marques » en puisant ses épreuves dans le « Championnat d’Europe des Pilotes » existant. Sur les 17 courses, 7 comptent pour le titre de meilleur pilote et 10 pour celui du meilleur constructeur. Par ailleurs, dans le cours de l’année, la publicité est désormais autorisée sur les voitures. Chez Porsche, l’heure des châssis court touche à sa fin. Les premières série B seront livrées neuves quelques mois plus tard. Le modèle T « Touring  » qui constitue la nouvelle entrée de gamme du 6 cylindres, mais avec 20 chevaux de moins que le modèle de base précédent, n’est pas encore assemblé en châssis long. Sa production s’élève au final à 938 Coupé entièrement réalisés par Porsche, 638 sur des châssis produits par Karmann et 521 Targa. Coincé en fin série A, avec le moins de puissance de toute l’histoire des 911, la T présente néanmoins un avantage certain, particulièrement cette année là : une T pèse 52 kg de moins qu’une S et la FIA vient juste de la classer en Groupe 3, dans la même catégorie qu’une S ! L’idée de faire courir une T en rallye prend alors tout son sens…


Cette T/R, qui se différencie de la R conduite au « Tour de Corse » en 1967 en ce qu’elle n’est pas un prototype construite par le département expérimental de Porsche mais le résultat d’un prélèvement sur la chaîne de montage de voitures de tourisme, est équipé d’un moteur de S de 160ch à la sortie usine (901/02) développant 180ch après optimisation. Elle reçoit le Kit Rallye II n°9553 tel que : Pas d’antirouille, pas d’insonorisant au plancher, pas de bumper à l’avant, pas de garniture sur les bumpers arrière, suppression de toutes les baguettes chromées, intérieur en cuir synthétique noir, tableau de bord noir, panneaux de porte allégés, suppression des sièges arrières, du cendrier, de l’allume-cigares, de tout l’éclairage intérieur et des pare-soleil, remplacement des sièges par des baquets Recaro, volant en cuir, ampoules de phare halogènes, boite 5 avec ratios spécifiques, embrayage renforcé, barres stabilisatrices avant et arrières de 15mm, barres anti-roulis, amortisseurs Koni, disques ventilés Ferodo DS 11, plaquettes Textar 1431G, liquide de frein Girling Amber ou ATE, pneus Dunlop SP CP 57 « C », jantes acier non-polies 7″, réservoir essence de 100 l, lampe-veilleuse pour co-pilote, 4 feux additionnels, radiateur d’huile plus performant, système de préchauffage pour éviter que la glace ne bloque les carburateurs, différentiel autobloquant, carburateurs 46 IDA 3C, taux de compression 10.4:1, arbre à came et pistons de la Carrera 6, bielles en titanium, bougies Bosch W 265, le tout pour 923 kg  ! L’ensemble de ces transformations est disponible dans le document d’époque « Information Regarding Porsche Vehicles Used for Sports Purposes », édition de 1968.


La 911 T/R prend part à sa première épreuve dès le 4 janvier 1968 au « Rallye de Suède » entre les mains de Björn Waldegård – repéré l’année précédente lors de sa première victoire en championnat national de Suède à bord de sa propre 911 – qui décroche une facile première place. La saison démarre sous les meilleurs auspices. 15 jours plus tard, les engagés sur Porsche à l’édition de 1968 du Monte Carlo sont donc les suédois Björn Waldegård et Lars Helmer sur 911T, Åke Andersson (victime d’un crash au « Rallye de Suède » de ce début janvier) et Sven-Olof Svedberg sur 911T, les anglais Vic Elford/David Stone sur 911T et Norman Harvey/Thomas Hywel sur 911S, les paires finlandaises Pauli Toivonen/Martti Tiukkanen sur 911T et Hans Laine/Pekko Keskitalo sur 911S, les polonais Sobieslaw Zasada/Jerzy Dobrzanski sur 911T et Wlodzimierz Markowski/Marian Wangrat sur 912, les allemands Hans Walter/Werner Lier sur 911S, Wolfgang Knorr et Horst Rack sur une autre 911S ainsi que Helmut Klocke et Ferdi Boekmann sur 911T.

 

Embuscade

 

 

Les villes de départ du parcours de concentration sont les suivantes : Athènes, Monte Carlo, Francfort, Lisbonne, Reims, Douvres, Varsovie et Oslo. Aucun équipage officiel ne s’élance de Lisbonne, Reims ou Monte Carlo. Au soir du vendredi 19 janvier, tandis que Waldegård et Andersson partent d’Oslo, Toivonen se présente à Francfort, Walter et Knorr sont à Athènes et Harvey à Douvres. A Varsovie, trois 911T sont alignées : Elford, Klocke et Zasada, ainsi que la 912 de Markowski. Le roadbook les conduit jusqu’à Monte Carlo en passant par Poznan, Prague, Stuttgart, Strasbourg, Morteau, Bourgoin, Vassieux et Digne. L’hiver recouvre toute l’Europe, la distance à parcourir en 24h pour cette première épreuve avoisinent les 2000kms pour certains. La neige et la glace menacent sans cesse, les autos souffrent et le drame n’est jamais bien loin. Dans la journée du samedi, la Lancia Fulvia de Sandro Munari et de son co-pilote Luciano Lombardini, partis de Athènes, est conduite par Lombardini lorsqu’il tente de dépasser une Mercedes « civile » sur la route de Belgrade, à 20 kms du premier point de contrôle de Skopje en Yougoslavie. Sans aucune explication officielle depuis, la voiture fait une embardée, tuant Lombardini sur le coup et blessant Munari ainsi que les 5 occupants de la Mercedes. Ce même jour, aux environs de Le Mans, Malcom New et Julian Chitty en provenance de Douvres sur Ford Cortina, percute un autre véhicule privé qui s’enflamme, emportant la vie de son conducteur. Les deux pilotes ne sont que légèrement blessés…


Cette année, le règlement n’impose aucune limitation de pneumatiques et les épreuves spéciales de vitesse sur routes fermées, apparues dès 1961 au Monte Carlo, sont devenues déterminantes dans le classement : le vainqueur est désormais déterminé par son classement au scratch et par le nombre de pénalités reçues en conséquence. C’est aussi le début de la couverture en direct du rallye, jour et nuit, par Radio Monte Carlo. Des dizaines de milliers de personnes se pressent sur les bords des routes et dans les parcs d’assistance, l’ambiance est quelquefois hystérique, voire dangereuse pour les spectateurs. On dort dans l’auto, on brave la nuit et le froid autours du brasero, vin et marrons chauds, transistor à l’oreille, on guette les lumières des phares et le grondement des moteurs qui s’annoncent quelques virages plus loin, les voici bientôt, on se rapproche, on s’écarte, tous les regards convergent vers cette furie ambulante, on se dit « il va pas passer », il passe, mais non, il chasse, sa trajectoire se casse, il tape et s’enfourne dans le coton neigeux. On s’inquiète aussitôt. Un essaim de sauveteurs improvisés s’affaire déjà autours de l’auto, poussant et tirant pour la dégager et la remettre en route vers la victoire ! On y est, la voiture est sur ces 4 roues. Elle vrombit. On lève tous les bras dans un hourra commun et ces chevaliers en armure mécanique rejoignent le tournoi qui doit les conduire aux pieds de la Princesse Grace de Monaco. Cette ambiance unique ne cessera pas de s’amplifier au cours des années qui suivront avec l’avènement de « spéciales » dont la légende est en train de s’écrire. Citons en vrac le Moulinon, Burzet, Saint-Bonnet-le-Froid, Saint Appolinaire, la Chartreuse, les cols du Rousset, de Braus, de la Madone, de Bleine, et surtout, l’étape de nuit du Turini…

 

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A l’issue du parcours de concentration, sur les 200 autos inscrites, il n’en reste que 153 au départ du parcours commun. Les anglais Harvey/Hywel n’ont pas été contrôlés à Montbrisson avec leur 911S. Hans Walter sur 911S doit abandonner en raison de la légère attaque cardiaque de son copilote Werner Lier durant le trajet. Wolfgang Knorr déclare également forfait. En cette année 1968, le rallye quitte l’Isère et sa Chartreuse pour cause de Jeux Olympiques d’Hiver à Grenoble. Le parcours commun passe donc pour la première fois en Ardèche pour une boucle Monaco – Vals-les-Bains – Monaco de 1492 kms, comprenant 17 sections routières et 7 spéciales.

A l’issue de la ZR1 de St-Auban dans les Alpes-maritimes, Léo Cella est en tête sur Lancia Fulvia. Ce pilote italien, double vainqueur du « Rallye des Fleurs » en 1965-1966 et 4ème au général du Monte Carlo de 1967, trouvera la mort un mois plus tard sur le circuit de Balocco. Il est talonné par Toivonen et Elford puis par Gérard Larousse sur Alpine A110. Après une étape de plus de 400 kms, c’est Gérard Larousse qui termine premier de la ZR2 du col de Fayolle en Ardèche. Elford est troisième à presque 1mn du français, juste derrière Aaltonen sur Mini Cooper S. Larousse l’emporte encore dans la ZR 3 de Burzet, Elford finissant à la seconde place avec 4 secondes de retard. Jean Vinatier sur Alpine et Toivonen sur 911T les suivent avec le même écart. 300 kms plus loin, la ZR4 du col de Perty dans la Drôme est enfin conquise par Vic Elford, juste devant Toivonen à 2s et Larousse à 6s. Avant Gap, la ZR5 de La Madeleine est à nouveau remporté par Elford. Toivonen, Aaltonen et Larousse sont à plus de 20s. Dans la ZR6 de St Appolinaire, Léo Cella signe le meilleur temps, Elford recule derrière Larousse, Vinatier et Toivonen. Enfin, après une ultime liaison de 300 kms, la ZR7 de Levens, à quelques tours de roues de Monaco, est brillamment maîtrisée par Elford qui relègue Toivonen à 6s et Vinatier, Larousse et Aaltonen à plus de 15s.

Au général, après le parcours commun, le classement ne comporte plus que 79 voitures, dont 25 ne sont pas encore pénalisées. Larousse est premier avec 8040 points, Elford est en embuscade avec 8054pts, Toivonen se maintient troisième avec 8103pts et Aaltonen suit avec 8157pts. Zasada est 8ème sur 911T, Vinatier est 10ème avec 8468pts tandis que Cella obtient un excellent résultat de 8118pts mais auxquels s’ajoutent 360pts de pénalité. Waldegård avec sa 911T écope de 8393pts et de 240pts de pénalité également. L’équipage Laine/Keskitalo sur Porsche 911S, malgré de bons chronos jusque là, n’ont pas participé à la ZR7… Globalement, les écarts d’une centaine de points qui séparent les concurrents du groupe de tête permettent encore tous les pronostics.


Nuit magique

 

 

60 équipages se présente au départ de l’épreuve finale Monaco-Monaco le 25 janvier à partir de 19 heures. 623,6 kms de montagnes en pleine nuit, 11 sections, 6 spéciales, un parcours en boucle qui emprunte deux fois les mêmes routes avec jusqu’à trois passages au col du Turini ! 5 Porsche sont encore dans le jeu mais Zasada ne participe malheureusement pas à ce dernier round décisif car il doit rejoindre d’urgence la Pologne où son père vient de décéder.


La ZR1, entre Sospel et Le Moulinet, dans les gorges du Piaon, est remportée par Toivonen en 6’59 ». Larousse est second en 7’03 », Vinatier est à 7’10 » et Elford à 7’11 ». On enquille immédiatement sur la ZR2, premier passage au Turini. Vinatier claque un 19’34 », devançant Larousse à une seconde, et Toivonen à 2s. Elford est à nouveau en retard de 10s. Les Alpines ne sont pas prêtes à laisser s’échapper la victoire. Davantage focalisé sur sa déception de l’année dernière que sur son pilotage, Vic Elford a du mal à trouver son rythme. Durant la longue liaison entre Saint-Sauveur et le début de la ZR3 se déroule un entretien crucial avec David Stone. Son ami et navigateur de bord semble lire en lui comme dans un livre ouvert . C’est Elford lui-même qui racontera plus tard tout l’histoire de cette spéciale : à la manière d’un vieil oncle, David lui dit : « Tu essaies trop fort ! Tu me balades de droite à gauche parce que tu es en train de penser à la vitesse plutôt qu’à bien équilibrer la voiture comme d’habitude ! Oublie l’année dernière, oublie la glace et la neige ! [ils avaient passé la nuit précédente à reconnaître la route et inscrire les formations neigeuses et les plaques de verglas dans leurs notes de course] Il y en a aura peut-être moins, mais pas plus. Oublie que c’est le Monte Carlo, conduis comme tu le fais normalement dans les montagnes, où tu sais que tu es le plus rapide, à la montée comme à la descente ! » Au départ de la ZR3, David tient les nerfs de Vic sous contrôle et tandis qu’ils attendent le signal, Elford est complètement détendu. Il sent qu’il peut marcher sur l’air.

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Etroite et sinueuse en montant, avec le longues portions roulantes dans la descente, la spéciale du col de la Couillole est un test formidable pour les hommes et les machines. la nuit est magnifique et la lune se reflète étrangement sur les bancs de neige qui jalonnent ce ruban d’asphalte de 27 kms. La route est pratiquement sèche partout mais il reste encore de larges parcelles de neige et de glace, particulièrement dans la descente. Ils savent cependant tout à fait où elles se trouvent et ils choisissent de partir en pneus course, sans clous. 10 minutes plus tard, ils surgissent au sommet et plongent dans la descente vers Beuil. Atteignant alors des vitesses de 190km/h, avec ses pneumatiques dérivant sur les surfaces glissantes pour reprendre du grip dès qu’ils retrouvent le bitume sec, Vic utilise l’effet pendulaire du moteur arrière de la 911, comme on se balance sur une corde raide. La moindre erreur et c’est la dégringolade. Mais la voiture, les pneus et l’équipage est à 100%, utilisant même les surfaces de neige comme tampons quand ils abordent trop vite les virages. il terminent la spéciale en 17’17 », 40s devant Toivonen et une minute devant Larousse ! le Monte Carlo est dans la poche ! Elford met presque 5 minutes avant de pouvoir s’allumer un clope. Puis enfin relachés, Stone et lui analysent leur course : « combien de virages crois-tu qu’on aurait pu prendre plus vite ? – Ben, trois je pense… – Non, deux ! »

Après une longue boucle passant par Puget, Roquesteron et Saint-Martin-du-Var, la ZR4 repasse par le Turini mais en sens contraire. C’est alors que ce produit un de ces moments qui marquera à jamais l’histoire du Monte Carlo et qui fera de cette spéciale une apothéose mythique du rallye. les Porsche viennent de marquer un grand coup à la Couillole, mais rien n’est perdu pour Larousse et les Alpine. Pourtant, tandis qu’il se bat encore sur les flanc du Turini, des spectateurs – que l’on dit français – ont généreusement recouvert la route de neige afin de garantir plus de spectacle. Lorsque Larousse se présente avec ses pneus slick, il est littéralement happé par la dérive et l’Alpine n°43 devenue incontrôlable termine sa course dans un mur avec des suspensions hors service. L’épisode qui s’ensuit est une longue bagarre aux poings entre le pilote et le public, qui ne s’achève qu’avec l’arrivée des gendarmes et qui lui vaudra pour longtemps une réputation tout à fait imméritée ! La course est définitivement perdu pour lui. Toivonen termine premier à 19’35 ». Il devance Eflford de 8s, Vinatier est à 25s, Cella et Aaltonen sont loin derrière et Waldegård encore plus.


La liaison suivante recroise le village de Sospel, frôle Peille puis s’engage dans la plaine du Var jusqu’à Saint-Martin et le parcours retourne sur ses pas vers Saint-Sauveur et la ZR5 du col de la Couillole laquelle est à nouveau gagnée par Toivonen en 17’33 » devant Elford à 17’46’. Le troisième est Tony Fall, jamais bien loin depuis le départ sur Mini Cooper S à 18’16 », Vinatier est quatrième, juste devant Aaltonen et Waldegård. A moins d’un miracle, il n’y aura pas d’Alpines sur le podium cette année-là. On effectue encore le trajet par Puget, Roquesteron et St Martin et voici enfin les concurrents à l’assaut du Turini pour la dernière fois, toujours dans le sens nord-sud. Tel le parachèvement d’une course maîtrisée, Vic Elford s’impose en 19’21 » et Toivonen se place second avec 19’49 ». A 50s du premier, la troisième place de cette ZR6 est âprement disputée entre Aaltonen, Fall et Vinatier dans une fourchette de une seconde, le finlandais et l’anglais finissant même à égalité. Waldegård est à une minute, Cella un peu plus.

 

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Sur les 60 véhicules engagés dans ce parcours final, 45 sont présents à l’arrivée, soit moins d’un-quart de la flotte au départ de la concentration. Le rallye a couvert plus de 5400 kms en 7 jours. Le classement définitif s’établit ainsi : Elford/Stone vainqueur sur 911T avec 14116pts, Toivonen/Tinkkanen second sur 911T avec 14192pts, Aaltonen/Liddon troisième sur Mici Cooper S avec 14451pts. Tony Fall est 4ème, Vinatier est 7ème, Cella 8ème. Waldegård et Helmer sont 10ème sur 911T, Anderson et Svedberg sont 12ème sur 911T également, et Klocke/Klapproth toujours sur 911T sont 34ème. Le doublé Porsche est une immense satisfaction. D’abord parce qu’il s’agit du légendaire Monte Carlo et que gagner ici – en tout début de saison- augure souvent d’une consécration au championnat annuel, ensuite parce c’est la première fois qu’un moteur arrière s’impose dans ce rallye, parce que c’est la première victoire de Porsche et la première d’une 911 dans la Principauté ! ici ont régné les Hotchkiss, les Ford, les Saab et les Mini Cooper, voici venue l’heure de Porsche !

 

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C’est aussi le début d’une guerre fratricide avec les Alpines Renault qui ont livré cette année un combat annonciateur de conquêtes futures. Il leur faudra cependant attendre encore deux ans avant de pouvoir recevoir la coupe du vainqueur au Monte Carlo : l’année suivante, en 1969, Porsche réalisera encore le doublé avec Waldegård/Helmer en première position et Larousse/Perramond pour la seconde place, tous deux sur Porsche 911S. Ils récidiveront en 1970, avec Waldegård et Helmer s’octroyant encore la tête du classement et Larousse/Gelin une nouvelle fois seconds, toujours sur 911S


Les témoignages des moments qui ont suivi l’arrivée à Monaco de cette édition 1968 ont échappé à ma sagacité mais ont peut facilement entrevoir ce qui a pu se dérouler. Il est très tôt ce samedi matin, bien avant le lever du soleil. Le parc automobile situé quai Albert 1er se remplit au rythme des rescapés de la nuit. Elford et Toivonen sont les nouveaux princes du Rocher, les télégrammes de félicitations de vont pas tarder à arriver. Tandis que l’on débouche une bonne bouteille au cul des autos on se congratule en s’extasiant sur la performance, on se remémore à chaud les instants précieux qui viennent de s’écouler. On ne peut pas encore concevoir l’impact qu’ils auront sur l’Histoire mais on réalise pleinement ce qu’ils ont d’exceptionnels. C’est la dernière fois qu’un pilote anglais remporte le Monte Carlo. Pour Vic, cette victoire est la fin d’une longue période de quête de reconnaissance. C’est le coup d’envoi d’une fulgurance qui vont marquer la décennie, la libération d’une personnalité qui saura profiter à fond de sa collaboration avec Porsche pour s’exprimer sur tous les terrains.

Jean Marie CHATELAIN

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